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Le steak du pauvre
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https://blogs.mediapart.fr/jean-luc-gasnier/blog/100619/le-steak-du-pauvre
L'affaire des steaks hachés de la société Voldis illustre l'inégalité alimentaire entre les riches et les pauvres
Dis moi ce que tu manges et je te dirai qui tu es. . .
L’assiette du pauvre ne ressemble pas à l’assiette du riche. L’alimentation varie bien évidemment en fonction des individus et de leur pouvoir d’achat, elle permet, à l’instar d’autres produits de consommation, de discriminer les catégories sociales au sein d’une population. Les habitudes alimentaires ont d’ailleurs évolué au fil du temps en fonction des prix respectifs des produits et de leur plus ou moins grande disponibilité. Certains mets, jadis plutôt rares, sont devenus plus abondants, donc moins chers, donc consommés par de nouvelles couches de la population. L’agriculture industrielle est passée par là : les méthodes de production intensives, notamment dans le domaine de l’élevage, ont rendu certains produits très accessibles en abaissant considérablement les coûts et donc les prix de vente au consommateur. L’exemple du saumon est souvent cité. Mais un saumon industriel, élevé dans des parcs et nourri avec des granulés, n’est peut-être pas tout à fait un saumon sauvage. . . En matière d’alimentation, des prix bas sont rarement synonymes de qualité.
La malbouffe, qui peut être associée à l’agro-industrie, est un phénomène qui touche préférentiellement les plus défavorisés.
La consommation de viande qui a considérablement évolué, influencée par l’élevage concentrationnaire et par la grande distribution, peut aussi illustrer, notamment au travers de l’actualité récente, l’inégalité alimentaire entre les riches et les pauvres.
Jadis, la viande était plutôt réservée aux riches ; les riches mangeaient maigre uniquement le vendredi, les pauvres le faisaient pratiquement tous les jours de la semaine. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : les pauvres mangent de la viande mais elle n’est pas achetée au même endroit et ce n’est pas exactement la même viande.
Quand il mange de la viande et il en mange de moins en moins, le riche ne mange pas n’importe quelle viande. Quand il s’agit de viande de boeuf, le riche mange de la viande dans le filet et il mange de la viande racée, tendre, naturellement persillée, comme ils disent à la télé, de préférence achetée dans une boucherie et non pas dans un supermarché. Pour l’achat de viande, le riche va faire ses courses chez son boucher car il préfère prendre conseil auprès d’un professionnel qui a l’habitude de sélectionner les viandes les plus goûteuses en provenance de races à viande réputées. Comme pour tout le reste, le riche consomme du label et si possible du bio. Au-dessus de l’étal de son boucher, le riche peut même, le cas échéant, apprécier la provenance de son steak en regardant la photo de la bête à viande dans son pré avant qu’elle ne soit transportée pour le dernier voyage. Le riche apprécie la viande avec juste ce qu’il faut de gras pour donner du goût ; du gras, il n’en faut pas trop, le surplus on le donne au chien.
Les industriels de la filière viande, réservent le gras aux fabricants d’aliments pour animaux mais aussi aux pauvres, un marché en pleine expansion. Le pauvre, c’est bien connu, préfère la nourriture grasse “qui tient au corps” ; le pauvre ne mange pas de filet, ni même de faux-filet, c’est plutôt du steak haché qu’il lui faut car le steak haché est bien mieux adapté aux “sans dents”. Quant à l’origine du steak, elle est souvent indéterminée ce qui est bien plus commode pour les industriels qui peuvent ainsi optimiser leurs approvisionnements.
La société Voldis, installée dans les Côtes d’Armor, sait cela. En 2018, elle a passé un marché de 5,2 millions d’euros auprès du Fonds européen d’aide aux plus démunis pour approvisionner en steaks hachés des associations humanitaires (Restos du cœur, Secours populaire, Banque alimentaire et Croix rouge). On apprend aujourd’hui que ces steaks hachés, bien gras et pratiquement sans viande, avaient été confectionnés à partir d’un mélange de différents aliments industriels, ils venaient de Pologne.
On s’étonne, mais qu’y-a-t-il de surprenant à ce que, dans notre belle Europe libérale, des sociétés fassent du gras sur le dos des pauvres ?