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Valls et Colau : "les puissants ne donnent jamais rien en échange de rien."

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Lien publiée le 24 juin 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://blogs.mediapart.fr/antoine-montpellier/blog/230619/valls-et-colau-les-puissants-ne-donnent-jamais-rien-en-echange-de-rien

L'auteur de cette tribune rattache le choix de Valls de soutenir Colau à l'intérêt bien compris des élites sociales ayant appuyé le premier : pour celles-ci, l'indépendantisme est un danger pour leur pouvoir économique dans la mesure où, paradoxalement, il porte, à travers son nationalisme, une logique sociale et politique de rupture "lutte des classes" avec le système.

Les voix de Valls qui se sont portées sur Colau ont bien une contrepartie

Saisir le lien entre le social et le national permet de comprendre pourquoi, pour Valls et les élites, empêcher un Gouvernement indépendantiste à Barcelone est une question de lutte des classes.

Les puissants ne donnent jamais rien en échange de rien.

Les élites savent qu’un éclatement historique de la nation espagnole dans sa forme actuelle et son remplacement par une autre, nouvelle, qu’elle prenne la forme d’un Etat plurinational, qu’advienne une République catalane, etc., signifieraient, dans le même temps, un remplacement de la structure de classe et de la répartition du pouvoir en son sein.

Albert Noguera

eldiario.es 19/06/2019

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Ada Colau : "Je n'engagerai en aucune façon une négociation en vue d'un accord avec Valls ou Artadi [la tête de liste du parti de Puigdemont]"

 La candidature de Manuel Valls a été financée par des patrons et des fonds vautour. Valls était, aux élections de Barcelone, le représentant des élites économiques, avec, pour conséquence que, quand il s’est agi de décider qui bénéficierait de sa voix lors de l’investiture du maire, son raisonnement ne pouvait que l’amener à choisir la candidature qui garantirait la plus grande sécurité juridique aux entreprises de ses mécènes et le statu quo. Si l’on part de cette prémisse, la question est de savoir ce qui a motivé le choix d’investir Ada Colau et d’éviter que la mairie revienne à ERC [Esquerra Republicana de Catalunya, Gauche Républicaine de Catalogne]. Autre question : sa voix [et celle des élus qui lui sont proches] sont-elles « sans contrepartie » ?

La réponse ne se trouve pas en restant sur le seul terrain social. Le programme social d’ERC ne représente pas, aux yeux des puissants, une menace plus forte ni moins forte que celui de BeC [Barcelona en Comú, Barcelone en Commun, le parti de Ada Colau], les deux se ressemblent, par où le choix de l’un ou l’autre devrait leur apparaître indifférent. La réponse ne peut donc venir qu’en s’attachant au profond lien existant, aujourd’hui, dans le pays, entre le social et le national. L’argument de Valls pour rendre possible un gouvernement de BeC était qu’il fallait éviter un gouvernement indépendantiste. Or c’est en saisissant le lien entre le social et le national que l’on comprend qu’empêcher un gouvernement local indépendantiste est, pour les élites, une question sociale ou de lutte des classes.

Il existe certes diverses conceptions de la nation, mais la seule qui nous permet de comprendre ce lien du national et du social qui rend compte du vote de Valls est la notion historico-matérialiste de la nation. Celle-ci se construit en opposition aux trois grands courants qui, traditionnellement, ont dominé sur cette question de la nation : 1/ les théories métaphysiques développées par les romantiques allemands et Hegel, selon lesquelles chaque nation est dotée d’un esprit propre, donc national (Volksgeist) qui détermine sa façon d’être, de telle sorte que l’histoire n’est rien d’autre que l’actualisation de cet esprit ; 2/ les théories psychologiques qui identifient la nation aux phénomènes subjectifs de la conscience et de la volonté d’appartenance : une nation existe parce que ses membres s’identifient à elle et 3/ les théories empiriques qui dénombrent un ensemble d’éléments dont le tout constitue la nation : un territoire habité, une langue et une culture communes, etc.

Face à ces théories, la conception historico-matérialiste de la nation considère que l’élément de l’identification ou celui de la langue commune, etc. ne sont pas les fondements originaires de la nation mais des éléments subordonnés au facteur historico-social qui est la cause première déterminant et produisant les autres. Le devenir de la nation est, en premier lieu, constitué par les conditions historico-matérielles dans lesquelles les hommes ont lutté avec la nature pour assurer leur subsistance, par les modalités du travail et les instruments mis en œuvre par celui-ci, par le développement des forces productives, par les rapports sociaux de lutte, etc. Les facteurs de la constitution de la nation sont donc le fruit des actions humaines réalisées dans et à travers les rapports sociaux et de pouvoir de l’histoire. La nation, l’espagnole comme n’importe quelle autre, n’est que la formation sociale par laquelle se concrétise sur le terrain culturel la structure de classe et de pouvoir dont nous avons hérité en tant que fruit du précipité historique. Dit d’une autre façon, la nation est l’objectivation sur le terrain culturel du rapport de force social et de pouvoir où nous sommes arrivés.

C’est à partir de cette idée historico-matérialiste de la nation que nous pouvons expliquer et comprendre les deux raisonnements de Valls qui l’ont amené à appuyer Ada Colau comme maire :

- Le premier repose sur le fait qu’il sait qu’au XXIe siècle la nature des mouvements de masse mettant en danger les bases des régimes nationaux a changé. A la différence des sociétés industrielles où se manifeste une centralité de la question ouvrière et des partis-syndicats socialistes qui constituent le principal noyau de la menace, nos sociétés présentent de multiples et nouvelles identités qui rendent possible la coexistence de mouvements (le féminisme, les Indigné-s du 15M, etc.) qui, tout en n’ayant ni leur origine ni leur référence identitaire dans le socialisme et la classe, sont capables d’agir comme de nouveaux centres de mobilisation rassemblant des foules et exécutant les fonctions de rupture que la théorie classique assigne historiquement à la classe ouvrière. [Le premier raisonnement de Valls part de l’idée que] l’indépendantisme catalan est aujourd’hui, en Espagne, l’un de ces mouvements.

Le second raisonnement de Valls [repose sur l’idée que] la montée politico-sociale de l’indépendantisme risque de poser un nouveau défi démocratique, comme l’a été [le référendum d’autodétermination du 1er octobre 2017], qui mettra en échec l’Etat. Il est conscient que si un tel défi réussissait, un éventuel éclatement historique de la nation espagnole dans sa forme actuelle et son remplacement par une autre, nouvelle, qu’elle prenne la forme d’un Etat plurinational, qu’advienne une République catalane, etc., signifieraient, dans le même temps, un remplacement de la structure de classe et de la répartition du pouvoir en son sein dont jusque là [les élites] étaient les bénéficiaires.

Voilà les raisons pour lesquelles il fallait éviter à tout prix un gouvernement indépendantiste [à Barcelone]. Il n’est pas vrai que les voix de Manuel Valls [et des élus qui lui sont proches, exprimant le choix des élites économiques] qui ont rendu possible l’investiture de Colau comme maire soient dépourvues de « contreparties ». Les puissants ne donnent jamais rien en échange de rien. Colau ne voulait être l’obligée de personne, pourtant, elle a fini par être instrumentalisée en tant que pièce utile des élites pour s’opposer à un mouvement qui, je le redis, tout en n’ayant  son origine ni son identité dans le socialisme et la classe, est capable d’assumer les fonctions de rupture que la théorie classique assigne, historiquement, à la classe ouvrière. Dans notre cas, il procède à la cassure de la nation espagnole qui est aussi la rupture avec la structure de classe et avec le système de répartition du pouvoir dont cette nation est l’objectivation.

L'article en espagnol Los votos de Valls a Colau sí son a cambio de algo (eldiario.es, 19/06/19)

Traduction : Antoine Rabadan

L'auteur, Albert Noguera, est Professeur de Droit Constitutionnel à l'Université de Valence. Membre du groupe Rupture, il a écrit de nombreux textes à caractère scientifique. Son dernier livre est paru en 2017 : El sujeto constituyente. Entre lo viejo y lo nuevo. Le sujet constituant. Entre le vieux et le neuf (éd Trotta).

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