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Mélenchon, la démocratie, oui... mais pas chez lui ?
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Lors de l'assemblée représentative du mouvement, ce dimanche à Vincennes, le chef de file Insoumis a concédé quelques erreurs… mais balayé les critiques appelant à plus de discussions internes, et promu ses plus fidèles lieutenants.
Jean-Luc Mélenchon enchaîne les pieds-de-nez, ces temps-ci. Après le résultat calamiteux obtenu par son mouvement aux européennes de mai (6,31%), le chef de file des Insoumis avait annoncé attendre "que la poussière retombe" avant de s'exprimer, fixant la date du 6 juin… puis le député a fait traîner, laissant planer le doute sur son retrait de la France insoumise (LFI). Ce dimanche 23 juin à la Chesnaie du Roy, une salle cossue en plein coeur du bois de Vincennes, Jean-Luc Mélenchon a finalement réaffirmé sa volonté de rester le dirigeant phare de LFI lors de l'assemblée représentative du mouvement qu'il a fondé en 2016. "Je suis stupéfait de voir que c'est à moi qu'on demande de s'en aller", a-t-il déclaré, rappelant que "[son] rôle est consubstantiel au mouvement". La forme qu'a pris son intervention était également une manière de rappeler qui est le patron : Mélenchon s'est exprimé en clôture du cénacle, pendant plus d'une heure, sans aucune note, et avec l'aisance tribunicienne qui a fait sa réputation.
Peu de temps aura été consacré, lors de ce week-end rassemblant les cadres de LFI et des militants tirés au sort, à l'analyse de la défaite des européennes. "Flagellez-vous si vous voulez à ma place, je n'y ai aucun goût", a lâché Jean-Luc Mélenchon. Plusieurs évolutions dans l'organisation du mouvement ont toutefois été mises sur la table pour répondre aux nombreuses critiques émises en interne sur le manque de structures démocratiques : création de nouveaux "espaces" de discussion, projet d'assemblée des groupes de militants, et surtout lacement d'une "agora politique" chargée d'être le lieu des débats stratégiques à LFI. Au sein du mouvement, on espère que cette nouvelle structure évitera que les désaccords internes ne se règlent au grand jour et provoquent les départs fracassants qui ont pollué l'actualité des Insoumis ces derniers mois.
Ces évolutions, toutefois, restent fort limitées dans leur ampleur. Jean-Luc Mélenchon l'a assumé, il ne dotera pas la France insoumise de structures réellement démocratiques, où les militants élisent leurs cadres au niveau local et ont un droit de regard plus important sur les décisions stratégiques. L'organigramme proposé reste ainsi flou : la composition, les prérogatives et liens entretenus entre les différentes instances du mouvement ne sont pas précisément établis. La promesse de davantage de votes en lignes pour les militants ne répond pas à l'une des critiques récurrentes : les Insoumis ne pourront a priori toujours pas faire leur choix entre plusieurs textes différents mais n'auront la possibilité de se prononcer que sur une seule motion.
LES PARTISANS DE LA DÉMOCRATIE INTERNE RENVOYÉS DANS LEURS PÉNATES
Surtout, dans son discours teinté d'amertume, Jean-Luc Mélenchon a décoché de nombreuses flèches acérées à l'endroit des nombreux Insoumis ayant émis des réserves sur le fonctionnement interne. Sans jamais être nommées, des personnalités comme Djordje Kuzmanovic, François Cocq, Charlotte Girard, Thomas Guénolé ou Clémentine Autain en ont pris pour leur grade : "Beaucoup de gens qui se sont ensuite plaints de ma prétendue manière impérative s'en trouvaient fort contents à ce moment-là, n'ont jamais rendu de comptes sur les conditions dans lesquelles ils ont été nommés, ni sur leur activité, mais nous avons été amplement informés des raisons de leur départ", a moqué Mélenchon, "consterné par le nombrilisme de certaines critiques". Les vélléités de "big bang à gauche" de Clémentine Autain ont fait l'objet d'un jugement lapidaire : "Aucune simagrée, aucune autoflagellation de convenance tant à la mode dans la vieille gauche officielle, mondaine, ne viendra jamais abattre [la France insoumise]." Quant à ceux qui souhaiteraient voir LFI adopter un fonctionnement plus conforme à celui des partis traditionnels, ils en resteront pour leurs frais : "Ce mouvement restera un mouvement, il ne peut pas être un parti politique, a tranché Mélenchon. Ceux qui aspirent au retour des délices de la bataille pour les virgules, des plateformes où les meilleurs amis s'entre-égorgent dans les couloirs, se sont trompés d'adresse. Ces plaisirs sont disponibles à d'autres endroits. Pas ici, ni maintenant, ni demain, jamais !"
Le message pouvait difficilement être plus clair. Il révèle le rapport complexe entretenu à la démocratie interne au sein de la France insoumise. Jean-Luc Mélenchon, qui a passé plus de trente ans au Parti socialiste (PS) et en a gardé un souvenir cuisant, craint par dessus-tout que l'adoption d'une structure pyramidale ne vienne introduire dans son mouvement les affres de la vie des vieux partis : élan politique étouffé par les luttes d'ego, rivalités internes prenant le pas sur l'unité, création de baronnies locales… Du coup, lorsqu'on lui présente des propositions de mise en place d'instances démocratiques, le double candidat à la présidentielle a vite tendance à voir le spectre du PS se dessiner. Une anecdote rapportée par un ancien membre de l'espace politique de la France insoumise témoigne de cette volonté de Jean-Luc Mélenchon de garder la main : avant les élections législatives de 2017, il demande au chef de LFI quel rôle serait donné aux groupes d'action sur le terrain pour désigner leurs candidats dans chaque circonscription. Regard incrédule du candidat à la présidentielle : "Mais t'es un basiste, toi !" "Pour Mélenchon, dès qu'il y a un sujet important, on ne doit surtout pas laisser n'importe qui décider", juge notre source. La structure "gazeuse" de LFI, laissant beaucoup d'autonomie aux militants sur le terrain mais toutes les grandes décisions stratégiques à une direction non élue, est ainsi conçue pour laisser le plus grand contrôle à "la clé de voûte" du mouvement.
ADRIEN QUATENNENS, PROMOTION D'UN FIDÈLE DE JEAN-LUC MÉLENCHON
Ce fonctionnement avait été dénoncé à plusieurs reprises à LFI, et ce jusque dans les rangs des fidèles de Jean-Luc Mélenchon. Début juin, une note interne révélée par Le Monde dénonçait les travers du mouvement : "Aucune véritable instance de décision collective ayant une base démocratique n’a été mise en place", écrivaient notamment les auteurs parmi lesquels Charlotte Girard, figure historique de la France insoumise. "Les décisions stratégiques fondamentales sont finalement prises par un petit groupe de personnes, dont on ne connaît même pas précisément la démarcation – prérogatives, champ d’action, identité, statut, sans qu’ils aient pour autant reçu de véritable délégation de la part du mouvement pour le faire". Le courrier se concluait sur une note très critique : "Cette prétention de construction d’un mouvement suffisamment 'gazeux'pour être à l’abri des tensions entre “courants” ou “fractions”, et à l’abri des enjeux de pouvoir, est un leurre". Le fonctionnement interne était même jugé "dangereux pour l'avenir" de LFI.
Il est peu probable que les auteurs de la note aient été satisfaits des évolutions de ce week-end. Autre événement notoire : la promotion de deux personnalités ayant fait leurs preuves auprès de Jean-Luc Mélenchon. Mathilde Panot, députée du Val-de-Marne, est promue vice-présidente du groupe Insoumis à l'Assemblée nationale. Adrien Quatennens succède lui à Manuel Bompard et devient le "coordinateur" de la France insoumise. Très apprécié au sein du mouvement, l'élu du Nord a gagné ses galons en remplaçant avec brio Jean-Luc Mélenchon lors de plusieurs débats télévisés. Il est aussi réputé pour être un fidèle parmi les fidèles, ne remettant jamais en cause les choix du leader de LFI, dont il est très proche. Dans une note de blog, il a d'ailleurs confirmé les grandes orientations promues par le député de Marseille, en écartant toute évolution des instances vers une forme plus traditionnelle : "L’essentiel des insoumis qui nous rejoignent chaque mois fuiraient en l’espace d’un instant si nous appuyions sur le bouton qui consisterait à transformer La France Insoumise en parti avec ses tendances, ses perdants, ses gagnants et toute l’énergie qu’il faut employer à l’intérieur et non pas à l’extérieur comme les enjeux du moment l’exigent." Le mode de désignation de Quatennens illustre au passage la persistance des habitudes prises par LFI : le député a été nommé "par consensus" après une réunion des élus Insoumis à l'Assemblée et au Parlement européen. Jean-Luc Mélenchon s'est même permis d'ironiser sur ceux qui auraient souhaité "un appel à candidature, des textes, et ensuite [un vote] à la proportionnelle… (...) Si on peut s'économiser une bataille rangée, tant mieux non ? Alors j'ai dit, 'il vous va' ? Ouais. Et bien alors allez, adjugé-vendu, c'est fait." Clémentine Autain a déclaré sur BFMTV qu'elle "ne savait pas" comment Adrien Quatennens avait été désigné coordinateur ? Ce dernier a répondu sèchement sur son blog : "Quand [les critiques] ne sont pas en adéquation ou qu’elles apparaissent comme en décalage complet avec la situation, elles donnent la malheureuse impression de ne servir qu’un dessein personnel".
Clémentine Autain, très isolée, reste pour l'heure au sein de LFI. Ce n'est pas le cas de Manon Le Bretton. Candidate aux législatives et co-responsable de l'Ecole de formation de LFI, elle a décidé de jeter l'éponge après le week-end du bois de Vincennes. L'espoir de "structuration du mouvement" qu'elle avait vu poindre le samedi a été balayé par le discours de Jean-Luc Mélenchon le lendemain. "Après ses attaques ouvertes sur les réseaux sociaux, la virulence avec laquelle celles et ceux qui ont formulé des critiques ont été taxés dans ce discours de nombrilisme en a glacé plus d’un", critique Manon Le Bretton dans un post Facebook où elle annonce quitter le mouvement, estimant que les partisans de plus de démocratie ont été "sommés d’aller voir ailleurs". Son départ suit de quelques semaines celui de Charlotte Girard, jadis très proche de Jean-Luc Mélenchon, et corédactrice du programme L'Avenir en commun, dont le nom n'a pas été cité une seule fois par les responsables de LFI ce week-end.