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économie

Lien publiée le 28 juin 2019

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Découvrez vite l’épisode 19 des « choses lues par Monsieur Marx » !

Dans leur livre La monnaie entre dettes et souveraineté, Michel Aglietta, Pepita Ould Ahmed et Jean-François Ponsot [1] soulignent la portée des nouvelles formes monétaires qui ont récemment émergé soit à l’échelle des territoires avec les monnaies locales complémentaires, soit comme avec le Bitcoin, à l’échelle mondiale et dans une logique tout à fait opposée.

Le développement des monnaies locales complémentaires (il en existe plus de 5000 dans plus de 50 pays du monde) traduit le besoin et la volonté de se réapproprier la monnaie en tant que bien public censé répondre aux besoins de la société alors que « la monnaie créée par les banques n’est plus au service de l’économie réelle » et que « la monnaie officielle n’incarne plus un grand projet de prospérité et de société fondée sur un nouveau paradigme, particulièrement en Europe ». [2]

Le développement de ces initiatives et leur capacité à peser sur la logique globale du capitalisme – y compris là où elles sont mises en place – reste cependant limité par le caractère incomplet de ces instruments monétaires.

Avec le Bitcoin la logique est totalement opposée. Même s’il s’agit là aussi d’une monnaie complémentaire, non plus locale mais mondiale et virtuelle, c’est avant tout un moyen d’enrichissement spéculatif et forcément volatile, dont la répartition est par nature inégalitaire, fondée sur l’idéologie d’un monde économique purement libéral, sans bien commun, et sans institutions politiques.

La mini-Bot italienne de Salvini

Deux initiatives de création de nouvelles monnaies, d’encore plus grande portée, viennent d’être annoncées. Le 30 mai, les députés italiens ont voté, à l’unanimité, le principe de la création d’une nouvelle monnaie complémentaire fiscale et nationale, le mini-Bot (pour mini-Bon du Trésor). Et le 18 juin, Facebook a présenté la cryptomonnaie Libra [3] qu’il compte lancer dès juin 2020. Cela mérite bien quelques commentaires.

Les mini-Bots, dont le promoteur est l’économiste Claudio Borghi conseiller de Matteo Salvini et partisan de l’Italexit, seraient des bons du Trésor émis par l’Etat italien et libellés en euros. Ils serviraient à payer non pas toutes les dépenses publiques mais seulement les retards de paiements de l’Etat qui représenteraient quand même, de 30 à 50 milliards d’euros. Ce ne serait pas un endettement classique de l’Etat : Il n’y aurait pas d’intérêt versés sur les mini-Bots et pas d’échéance de remboursement. Ce serait donc pratiquement une création monétaire en euros par l’Etat italien, pour financer une partie du déficit budgétaire, ce que les Traités européens interdisent. Mais pas tout à fait quand même. Les mini-Bots pourraient être utilisés par ceux qui les perçoivent à titre de moyens de paiement, notamment pour payer leurs impôts, mais ils n’auraient pas cours légal.

L’initiative est proche de celle que Yanis Varoufakis préconisait de prendre en Grèce en 2015 pour résister au diktat européen. Ou de celle préconisée par Attac pour permettre à un gouvernement d’échapper aux diktats de Bruxelles et à l’étranglement des marchés financiers, pour des politiques de transformation sociale et écologique [4].

Les mini-Bots ne seraient pas mis au service d’une politique de ce type. Et, souligne Yannis Varoufakis, au-delà des différences techniques, « la vraie différence entre le régime italien et le mien reste politique. Le système de paiement parallèle que j’ai proposé était conçu comme un moyen de pression pour créer un nouvel espace budgétaire européen et contribuer à la civilisation de l’Union monétaire. Le système italien est le premier pas vers une monnaie parallèle dont l’objectif est d’entrainer la fin de la zone euro. »

Cela ne doit pas surprendre. On sait depuis longtemps que l’argent n’a pas d’odeur. Mais au-delà de ces différences d’objectifs, on peut aussi douter de l’efficacité de tels dispositifs. Pour l’économiste atterré David Cayla [5], « il s’agira d’une monnaie de second ordre, moins intéressante que l’euro et dont les détenteurs chercheront à se débarrasser au plus vite en la rendant au gouvernement italien dès qu’ils le pourront… Pour qu’elle circule, il faudrait soit en imposer l’usage (mais cela est contraire à l’appartenance de l’Italie à la zone euro), soit rémunérer les détenteurs avec un intérêt, ce qui la rendrait intéressante à détenir. Mais dans ce cas, si elle devient trop intéressante, elle risque alors d’être thésaurisée et de ne pas circuler non plus. »

En fait, selon lui, la mise en place des mini-Bots serait perçu comme un casus belli par les autorités européennes – BCE comprise – et elle ferait exploser les taux d’intérêt sur la dette publique italienne. « L’Italie est-elle prête à la rupture, ce qui signifierait financer l’ensemble de ses dépenses publiques (dont le paiement des salaires des fonctionnaires) avec des mini-Bots et, à terme, quitter l’euro ? », interroge-t-il ?

Le Libra de Facebook : une monnaie qui fait peur

Avec le Libra, on est sur de la monnaie virtuelle comme le Bitcoin. Mais on change d’échelle : c’est l’appropriation de la monnaie par un géant privé mondial du numérique, Facebook, associé à quelques dizaines de partenaires de même acabit, y compris Visa et Mastercard, le duopole mondial du paiement par cartes bancaires. Cette monnaie rendra des services, meilleurs parfois que le système bancaire actuel. Mais elle ne servira certainement pas à orienter le monde vers un nouveau modèle de développement économique et social. Au contraire. C’est un pas en avant dans la transformation des nouveaux maîtres du monde économique en « entreprises-états ». Toute la question est de savoir si c’est un grand ou un plus petit pas.

Selon Christian Chavagneux, il n’y aurait pas de quoi vraiment s’affoler. Le Libra, dit-il, « n’est pas si révolutionnaire ». Ce sera juste une monnaie électronique. Pas une monnaie complète. La maison Facebook ne fera pas crédit. Pour obtenir des Libras il faudra les acheter avec ses dollars, ses euros ou sa monnaie nationale locale. « Au lieu de payer avec des pièces et des billets, un chéquier ou une carte de crédit, le support des paiements pourra être électronique. Comme le M-Pesa au Kenya, Alipay en Chine... » Il s’agirait donc seulement d’un nouvel opérateur de gestion des moyens de paiement, certes concurrents des banques, mais dans ce seul domaine. Et le Libra permettra des baisses de coût et des améliorations des services pour les utilisateurs (transactions immédiates et quasi gratuites).

Pour que cela marche, le Libra ne devra pas être fluctuant comme le Bitcoin mais représenter au contraire un pouvoir d’achat stable. Sa valeur ne sera pas calée sur celle du dollar, de l’euro ou de yuan mais sur un panier de monnaie internationale. C’est une association des partenaires fondateurs qui apportera des fonds (il faut apporter 10 millions d’euros pour disposer d’un droit de vote) et gérera, à Genève, la stabilité monétaire du Libra comme le ferait une Banque centrale qui ne viserait que le seul objectif de stabilité du change. « En brefanalysent Géraldine Delacroix et Romaric Godintout concourt à montrer que l’on fait beaucoup de bruit pour pas grand-chose ». Selon eux, « Facebook ne cherche pas à créer une monnaie qui prenne la place des monnaies existantes et notamment du dollar ». Il ne s’agit pas de faire de la finance. Le Libra ressemblera plutôt à une sorte de monnaie locale complémentaire mais fonctionnant à l’échelle mondiale. Avec cependant la différence, qu’au lieu de servir la production et le commerce local, Le Libra vise à « favoriser certains usages qui correspondent à l’intérêt des membres les plus puissants de l’association : le transfert de fonds à bon marché, le portefeuille électronique et, in fine, la consommation de biens et services proposés par les partenaires du système ». Ce ne serait déjà pas une évolution mineure.

Mais en réalité les enjeux et les risques ne s’arrêtent pas là. Et ils sont considérables.
Au point que l’institution internationale de réglementation bancaire s’en inquiète. Que des ministres et des « banquiers centraux », comme le gouverneur de la Banque d’Angleterre, réclament de fixer eux-mêmes les règles. Et que certains, comme l’économiste Daniel Cohen et le banquier mutualiste Nicolas Théry, appellent les Etats à refuser la cryptomonnaie Facebook.

Une première menace concerne les pays en développement, cible numéro 1 de de la monnaie Facebook. Le Libra introduira dans ces pays une double circulation monétaire, une monnaie locale fragile et une devise forte et stable. Les expériences de ce type ont toutes été négatives. Facebook vendrait aux citoyens de ces pays « la perspective illusoire d’une réduction du risque de change, alors qu’il s’agirait en fait de privatiser une partie de leur masse monétaire et d’organiser une fuite des capitaux vers une pseudo banque centrale installée en Suisse », analysent Daniel Cohen et Nicolas Théry.

D’autres menaces concernent le blanchiment des capitaux pour lequel le Libra sera une sacrée lessiveuse, la protection des données privées et la mise en place d’un système orwellien de surveillance, de formatage et de sanction des comportements associant les données des réseaux sociaux et celles des systèmes de paiement. C’est ce qui est en train de se passer en Chine. C’est assez terrifiant. Et ce n’est pas parce que ce n’est pas un Etat mais une entreprise qui serait à la manœuvre que ce serait moins grave.

Une autre et lourde menace est qu’évidemment – les promesses n’engageant que ceux qui y croient – en s’appuyant sur le Libra, la maison Facebook battra pleinement monnaie et fera progressivement crédit, assurance et finance. Ce sera une perte substantielle de souveraineté politique et un risque financier majeur. Un acteur gigantesque de la Banque de l’ombre serait né.

Bernard Marx

Notes

[1] Michel Aglietta, Pepita Ould Ahmed Jean-Franois Ponsot : La monnaie entre dettes et souveraineté. Odile Jacob, 2016

[2] Les Economistes atterrés : La monnaie un enjeu politique. Editions Points, 2018

[3] Une cryptomonnaie est une monnaie utilisable sur un réseau informatique décentralisé, de pair à pair. Elle intègre l’utilisateur dans les processus d’émission et de règlement des transactions.

[4] Attac et Fondation Copernic : Cette Europe malade du néolibéralisme. L’urgence de désobéir. Les Liens qui Libèrent, mars 2019

[5] David Cayla est avec Coralie Delaume coauteur de 10 + 1 questions sur l’Union européenne. Editions Michalon, mars 2019