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La canicule est un enfer pour les SDF et pour les prisonniers

Lien publiée le 30 juin 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

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Pendant les périodes de canicule, certaines catégories de personnes sont plus vulnérables à la chaleur. Les sans-abri sont notamment très touchés. Des associations maraudent pour les soutenir matériellement et, surtout, pour créer un lien social.

La canicule est un enfer pour les <span class="caps">SDF</span> et pour les prisonniers

  • Sevran, Tremblay-en-France, Bondy (Seine-Saint-Denis)

« Allez, prenez une bouteille d’eau ! » Les bénévoles de l’équipe territoriale de la Croix-Rouge Seine-Saint-Denis insistent pendant leur maraude, mercredi 26 juin, pour que les personnes vivant dans la rue pensent à s’hydrater. Durant les périodes de canicule, les sans-abri sont un public très vulnérable face à la chaleur. « Non, c’est bon, j’ai déjà bu tout à l’heure », répondent la plupart des hommes venus se regrouper autour du camion de l’association, sur le parking du centre commercial Beau-Sevran. « Les gens qui vivent dans la rue restent sur l’idée que s’ils n’ont pas soif, ils n’ont pas besoin de boire d’eau », regrette Samuel Macé, directeur territorial de l’action sociale de la Croix-Rouge 93. En file indienne, une dizaine d’hommes se succède pour plutôt récupérer du pain, une soupe, un café ou des biscuits. « Ça va, la chaleur, vous vous sentez bien ? », demande Jérôme, un des maraudeurs, à chaque sans-abri qui se présente devant le camion. « Ça va, merci », répondent-ils doucement.

Sur le parking du centre hospitalier Robert-Ballanger, Hassan, 52 ans, ne se plaint pas non plus de la canicule. L’homme aux yeux pétillants vit dans sa voiture, garée stratégiquement sous de grands arbres, depuis près d’un an. Avec fierté, il pointe du doigt les sièges baissés de l’automobile, recouverts de plusieurs couvertures. « Quand les feuilles des arbres bougent avec le vent le soir, il y a une fraîcheur à l’intérieur de la voiture. Vous n’avez plus envie de partir ! » dit-il en riant. Avec entrain, il explique aux maraudeurs qu’il pense à s’hydrater régulièrement : « Vous passez pour me donner de l’eau, je vais au distributeur automatique de l’hôpital, ou alors je passe à l’épicerie acheter une grosse bouteille d’eau fraîche. Tout va bien ». Hassan trouve un seul inconvénient à la chaleur : la présence des moustiques. « Mais je vais bientôt acheter une moustiquaire », relativise-t-il.

Hassan reste sous les arbres pendant la canicule, pour ne pas souffrir de la chaleur.

« Je suis très fatigué à cause de la chaleur » 

Les bénévoles restent bavarder pendant une demi-heure avec cet homme qu’ils ont appris à connaître au fil de leurs actions. Ensemble, tous évoquent des souvenirs communs et bavardent joyeusement. « On est complémentaires avec les Restos du cœur. On n’apporte pas un vrai repas entrée-plat-dessert, on est plutôt là pour papoter et créer du lien », dit Samuel Macé, en remontant dans le camion. Jérôme, au volant, et les trois autres bénévoles, Samuel, Caroline et Senam, sont à l’affût. Ils scrutent les rues qui défilent pour repérer des personnes susceptibles d’avoir besoin d’aide. Le camion blanc et rouge circule tranquillement, s’arrêtant à chaque lieu où des sans-abri ont l’habitude de se trouver. S’ils sont présents, ils sont rejoints par les maraudeurs, qui descendent discuter et leur proposer une boisson ou un en-cas. Sinon, le véhicule reprend la route.

Caroline et Senam, deux maraudeurs de l’équipe territoriale de la Croix-Rouge Seine-Saint-Denis.

Le soleil se couche lentement, la température redescend progressivement. Un petit vent souffle, rafraîchissant l’atmosphère lourde de la journée. Sur un parking de Tremblay-en-France, assis sur le trottoir à la lumière des lampadaires, Nicolae et Saing semblent attendre le camion de la Croix-Rouge. Les deux hommes adressent aux bénévoles un grand signe de la main en les apercevant. Café, bouteille d’eau, morceau de pain. La routine de distribution recommence. Nicolae réclame également un t-shirt, Saing préfère demander une paire de sandales. « Je suis très fatigué à cause de la chaleur », confesse-t-il. Lui aussi vit dans une voiture depuis quelques semaines. En pleine journée, lorsque le mercure bat des records, il préfère la quitter et s’abriter dans un parc ombragé.

Les maraudeurs distribuent des boissons et des vêtements à Saing.

À Bondy, Fabien subit également une forte fatigue. L’homme grand et barbu ne dort plus dans son automobile, la chaleur y étant trop suffocante. Lorsque la nuit tombe, il installe ses couvertures et l’ensemble de ses affaires entre deux véhicules. Sur le toit de sa voiture trônent une multitude de bouteilles plastiques, remplies de soda, d’eau ou de café. « Ah, ça me fait plaisir de vous voir ! »s’exclame-t-il en reconnaissant les bénévoles. Fabien se lève péniblement de sa couchette, demande gentiment un café à Jérôme. « C’est très difficile. J’ai trop chaud, je suis fatigué », souffle-t-il. « Il faut que tu te mettes au frais pendant la journée, insiste le directeur territorial. Va au centre commercial, par exemple ! Tu bois assez d’eau pendant la journée ? » L’homme acquiesce doucement. C’est décidé, le lendemain, il ira s’abriter dans un parc de Bondy.

« Si vous voyez un SDF, regardez-le. Déjà, si vous le regardez, c’est une dignité. Et puis souriez-lui, dites-lui bonjour » 

La maraude s’achève après une heure du matin, à l’hôpital Jean-Verdier, à Bondy. À l’entrée des urgences, cachés sous des tables, dorment Mohamed, son épouse, enceinte de jumeaux, et leurs cinq autres enfants. La famille vient de Gambie et est arrivée en France au mois de mars, après un passage en Espagne. « Je n’en peux plus, dit Mohamed. Pendant la journée, on marche dans la rue, dans les parcs. On se protège du soleil. Et le soir, on dort à l’hôpital. » Il retient ses larmes, manifestement épuisé. Il chuchote qu’il se sent seul et abandonné. Qu’il ne sait plus quoi faire. Les bénévoles tentent de lui apporter du réconfort avec un thé et des biscuits, à distribuer aux enfants. Mohamed les remercie puis retourne se coucher sous les tables.

Nicolae a quitté la Roumanie pour la France en 2002. Depuis, il alterne entre dormir dans les centres d’accueil et vivre dans sa voiture.

La Croix-Rouge n’est pas la seule association à organiser des maraudes dans toute la France pour essayer de protéger de la chaleur les personnes vivant dans la rue. Mais les constats des autres sont identiques. « Je suis intimement convaincu que les SDF souffrent beaucoup plus l’été que l’hiver, dit François Régnier, secrétaire de la fédération de Paris du Secours populaire français. Des couvertures, on en trouve partout. Une station de métro ou un porche [pour se protéger du froid], on arrive à en trouver. Mais quand il fait très chaud (…) on ne peut pas faire grand-chose. » Lorsqu’on lui demande quels moyens pourraient être mis en place pour faciliter ces périodes de chaleur aux sans-abri, il répond tout simplement : changer le regard des gens. « Je pense que s’il y avait un regard de l’ensemble de la population vers les SDF, ce serait déjà énorme, explique-t-il. Et ce regard peut remplacer tous les moyens qu’on mettra en œuvre, parce qu’il peut permettre de développer un contact. J’interviens régulièrement dans des classes de CM1 et CM2pour sensibiliser les enfants au fait qu’il y a des gens dans la rue. Ils me demandent ce qu’ils peuvent faire, et je leur dis : “Si vous voyez un SDF, regardez-le. Déjà, si vous le regardez, c’est une dignité. Et puis souriez-lui, dites-lui bonjour.” Si l’ensemble de la population pouvait regarder les SDF, discuter avec eux, échanger deux mots, leur donner un pomme ou un verre d’eau, ça remplacerait toutes les actions municipales. C’est à nous de décider de faire quelque chose. »


PENDANT LA CANICULE, LES DÉTENUS SUFFOQUENT

Les personnes incarcérées subissent également de plein fouet les périodes de canicule intense. Confinés dans une cellule de 9 m², qu’ils partagent parfois avec deux voire trois autres personnes, ils suffoquent. Les barreaux aux fenêtres, parfois doublés d’un grillage pour empêcher les détenus de se lancer des objets, empêchent l’air de passer. C’est ce qui avait conduit quatre prisonniers de l’établissement de Villepinte (Seine-Saint-Denis) à réaliser et publier une vidéo d’eux dénonçant leurs conditions de vie.

« À toute cette chaleur et ce confinement, il faut ajouter qu’il y a les toilettes dans la cellule, dit Julia Poirier, déléguée régionale du Genepi Île-de-France. Même quand on est seul en cellule, les canalisations sont en très mauvais état, surtout dans les vieux établissements. Elles se bouchent souvent, donc il y a des odeurs immondes. C’est 40, 50 degrés avec ces odeurs-là. »

L’accès à l’eau est parfois difficile. Même si les détenus possèdent un évier et un lavabo dans leur cellule, il peut arriver qu’ils soient déréglés à cause de la chaleur. Ils n’ont alors accès qu’à de l’eau chaude.

En règle générale, les prisonniers sont enfermés 22 heures sur 24 et ont droit à deux heures de promenade par jour. Mais les cours de promenade sont totalement dépourvues d’abri pour se protéger du soleil (ou de la pluie en hiver). En outre, si un détenu décide de sortir en promenade, il ne peut pas partir quand il veut : il doit y rester au moins une heure. Les personnes incarcérées doivent donc faire le choix entre ne pas sortir de la journée, ou aller prendre l’air pendant au minimum une heure, en sachant qu’elles ne pourront pas rentrer même si le soleil tape trop fort.

Un cas particulier existe, encore plus problématique : celui des personnes placées en isolement pour leur protection. C’est notamment le cas des femmes transgenres à la prison de Fleury-Mérogis. « L’été dernier, j’y suis allée. Elles n’ont même pas accès à une vraie cour de promenade. Ces femmes avaient deux heures de promenade qui n’était pas en cour, mais tout simplement dans une salle d’une dizaine de mètres carrés au dernier étage de l’établissement, sans plafond avec un double grillage au-dessus, sans air. »

« Les prisonniers parlent de cette situation avec beaucoup de colère, d’énervement et d’incompréhension », raconte Julia Poirier. Ils voient à la télé que des mesures sont prises contre la canicule en France, et ont l’impression d’en être exclus. D’après Julia Poirier, quelques éléments simples pourraient être mis en place : une distribution d’eau systématique, un assouplissement des conditions de temps de promenade, placer des constructions amovibles pour faire de l’ombre, voire une installation systématique de ventilateurs dans les cellules.