[RSS] Twitter Youtube Page Facebook de la TC Articles traduits en castillan Articles traduits en anglais Articles traduits en allemand Articles traduits en portugais

Agenda militant

    Newsletter

    Ailleurs sur le Web [RSS]

    Lire plus...

    Twitter

    Chronique sur le travail n°2 - Le stagiaire, ce bâtard

    Lien publiée le 30 juin 2019

    Tweeter Facebook

    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    https://blogs.mediapart.fr/lea-calleau/blog/270619/chronique-sur-le-travail-n-2-le-stagiaire-ce-batard

    Mon dernier stage date du mois d'avril, dans une radio. Suite à un premier reportage folklorique, j'ai écrit ce texte. C'est formidable de pouvoir faire un stage, de voir la réalité derrière la fiche métier. Pour l'entreprise, un stagiaire, c'est bien pratique et c'est intéressant de lui transmettre son savoir-faire. Ça, c'est l'aspect positif, idéal. Il y a aussi l'envers du décor...

    Dans ma longue carrière d’étudiante, j’ai été plus souvent stagiaire que salariée. J’ai fait des stages en crèche, centre de loisirs, centre social, association d’aide aux droits des étrangers, internat pour adolescents malvoyants, école primaire, école Montessori, journal et le tout dernier en radio.

    Ce n’est pas le bagne, loin de là. C’est un entre deux, un statut un peu bâtard. Ni étudiant, ni professionnel. Un stagiaire, c’est un p’tit nouveau qui ne coûte pas cher. Il doit être assidu, le plus compétent possible et ne pas faire perdre trop de temps. Du café à la photocopie, en passant par les surnoms et l’indifférence totale, le stagiaire est un peu déshumanisé. Il erre car il n’a pas vraiment sa place, cherche à se rendre utile désespérément, mais son aide est comme celle d’un enfant. C’est mignon, c’est gentil. On accueille son dessin avec un sourire encourageant.  

    Ce qui manque souvent, c’est le savoir-accueillir. Une compétence qui peut sembler inutile à première vue, parce que accueillir un stagiaire, ou un nouveau salarié, ce n’est tout de même pas compliqué et ce n’est tout de même pas la priorité. Il n’empêche que la première expérience de tout jeune qui s’aventure pas à pas sur le marché du travail est aujourd’hui très souvent un stage (excusez mon manque de chiffres à l’appui). Un stage plus ou moins long, qui le dégoûte plus ou moins vite du métier qu’il rêvait d’atteindre. Je pense avoir frôlé la dépression en tant que stagiaire (professeur des écoles stagiaire, je précise, donc un stage rémunéré d’un an). Ce stage m’a laissé pendant de longs mois un arrière-goût amer et une appréhension à chaque nouvelle approche du monde du travail, qui a surtout affecté mon système digestif et lacrymal (de manière indépendante). Rien que le mot « stagiaire » sonne très mal. Je préfère de loin « apprenti ». Sa signification est transparente. Il renvoie à une histoire. Stagiaire, ça fait pitié rien qu’à l’entendre.

    J’entends déjà « Elle exagère », « Ils sont fragiles, ces jeunes ». C’est vrai. Alors, continuez votre lecture, je vais apporter quelques nuances plus loin. Et puis, excusez ma sensiblerie, ma susceptibilité, ma non-acceptation de la servilité…  Ce que je cherche à relever, c’est le mépris. En voici quelques exemples :

    « Bonjour mini Léa » en référence à mes 1,59m et parce que je ne fais pas mon âge. Entre amis, c’est drôle. Entre amis…

    « la petite» en version courte.  

    « Alors, qu’est-ce que je peux te donner à faire… » Ma tutrice cherche, comme elle cherche un jouet pour occuper un enfant. « Ah ça c’est un truc chiant et long, tiens tu pourrais faire ça. » Parce que… ? pff parce que.

    « Cette semaine, on n’a pas le temps de s’occuper de toi, mais la semaine prochaine, ça ira mieux». La réplique me brûle les lèvres : je peux revenir la semaine prochaine alors ?

    « Dans ce métier, il y a une part de bénévolat. Si vous ne voulez pas faire votre part, je ne validerai pas votre année.» Et si je deviens votre esclave, vous me validez ?

    « Si vous continuez comme ça, je vais compter vos heures.» Allez-y, comptez, je fais 8h -20h. Si vous pouvez même payer les heures supplémentaires, ça m’aiderait pour le loyer.

                Tous mes stages n’ont pas été de pénibles moments de solitude. Deux choses distinguent les bonnes expériences des autres : les personnes m’ont fait confiance, sans me laisser me débrouiller, et elles m’ont parlé de leur travail avec joie tout en étant à l’écoute de mes interrogations et de mes idées. Ces stages m’ont donné une vision juste du métier. Ailleurs, j’ai vu des professionnels qui couraient, qui stressaient, qui s’épuisaient. Comment, dans ces conditions, accueillir une personne en formation ? La critique est facile. Comment je ferais plus tard, avec un stagiaire ? Quand ce sera à un moment que je n’ai pas prévu, quand j’aurais déjà trop de travail. Est-ce que je veillerais à le présenter à l’équipe ? Est-ce que je lui dirais bonjour ? Est-ce que je lui expliquerais ce que je fais ? Est-ce que je me souviendrais de ce que c’est que de ne pas savoir ?