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La France insoumise aux européennes de 2019 : radiographie d’un échec
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
- Hugo Melchior
Hugo Melchior est un·e adhérent·e de The Conversation
Doctorant en histoire politique contemporaine, Université Rennes 2
- Bryan Muller
Doctorant contractuel chargé d'enseignement en Histoire contemporaine, Université de Lorraine
« Immense échec », « déception » : au soir du 26 mai, les cadres de la France insoumise (FI), Jean‑Luc Mélenchon en premier, n’ont pas cherché devant les caméras à minorer la réalité de la contre-performance survenue aux élections européennes de 2019.
Quelques jours avant le vote, Manon Aubry se plaisait encore à évoquer devant des journalistes le frémissement des dernières enquêtes d’opinion, allant jusqu’à exprimer l’espoir que sa liste, à défaut de prétendre à la victoire, puisse au moins représenter cette « troisième voie sociale et écologiste » face aux droites libérales et nationalistes.
Il n’en fut rien. Avec seulement 6,3 % des suffrages exprimés, la FI a subi une érosion électorale spectaculaire par rapport à 2017. Dès le début de la campagne en août 2018, la formation de Jean‑Luc Mélenchon annonçait pourtant vouloir faire de cette élection proportionnelle plurinominale un « référendum anti-Macron », enjoignant ainsi aux électeurs d’infliger au « Président des riches » une formidable « raclée démocratique » .
Cet échec s’inscrit plus largement dans celui de la majorité des gauches radicales européennes : rassemblées dans le Parlement européen, celles-ci n’ont plus que 41 députés, soit 20 % de moins que durant la précédente mandature (52 eurodéputés).
Au même moment, avec leurs 3 millions de voix – record historique pour une formation se réclamant de l’écologie –, les dirigeants d’EELV plastronnaient. Les voilà convaincus d’être devenus, en l’espace d’une élection, la nouvelle force charnière capable de concurrencer les deux super-grands (LREM et RN) pour la conquête du pouvoir d’État, dix ans après leur poussée triomphale aux européennes de 2009 qui avait engendré les mêmes folles espérances, finalement vite déçues.
Comment comprendre cette chute libre, qui rappelle celle survenue aux élections européennes de mai 2014, lorsque le Front de gauche (FG), qui avait alors pour ambition première de disputer au Parti socialiste l’hégémonie à gauche, n’obtint que 6,61 % voix. Autrement dit, à peine mieux que ce qui fut réalisé en juin 2009, et surtout quatre fois moins de voix que lors de l’élection présidentielle de 2012, où Mélenchon avait rassemblé, avec 11 %, près de 4 millions de voix sur son nom ?
Que sont devenus les 7 millions d’électeurs de Jean‑Luc Mélenchon ?
Depuis son score remarquable à l’élection présidentielle de 2017, et en dépit de son immense déception de ne pas avoir pu monter dans le train de l’Histoire, Mélenchon aurait-il cédé à l’ivresse des sommets ? Il a été conforté par les enquêtes d’opinion qui continuaient à le présenter, mois après mois, comme le meilleur opposant à Emmanuel Macron.
Pour le dire autrement : aurait-il succombé à sorte d’euphorie triomphaliste l’amenant à postuler que « la révolution électorale », qui a engendré une recomposition profonde du champ politique en France, aurait effacé définitivement de la compétition partisane aussi bien le PCF que le PS et les écologistes ?
Ainsi eut-il ces mots définitifs à l’endroit de ces organisations, au lendemain de ce qu’il avait qualifié de « vague dégagiste ».
« Ne focalisons pas sur l’ambiance de décomposition de la vieille gauche ! Les spasmes d’agonie du PS du PCF, d’EELV, leur échec électoral terrible et celui de leur complicité pour bloquer la percée de La France insoumise. Laissons décanter. La vie est ailleurs. »
Pour Jean‑Luc Mélenchon, entre la FI et la nouvelle majorité présidentielle dépourvue de base sociale à ses yeux, et par là-même de légitimité politique pour conduire ses réformes, il n’y aurait plus rien d’un tant soit peu signifiant, si ce n’est des organisations jugées décrépites, condamnées par la roue de l’histoire. La FI avait donc la voie libre pour construire et affermir « l’opposition populaire » qu’elle prétendait incarner de façon exclusive, et apparaître comme la seule alternative dite « humaniste » à Emmanuel Macron et à sa dite « société du tout-libéral », du « tout-marché ».
En cela, les élections européennes de 2019 étaient censées constituer une épreuve de vérité, qui devait voir son « hégémonie » à gauche confirmée et confortée par l’onction du suffrage universel.
Mais avec 6,3 % seulement (et 1 428 548 voix), la FI terminait, le 26 mai 2019, au même niveau que le Front de gauche cinq ans auparavant, même si – différence notable – son autre composante principale, le PCF, avait décidé de présenter sa propre liste – une première depuis 2004. L’abstention et la migration électorale se sont cumulés pour provoquer cette déperdition électorale redoutée.
Démobilisation de l’électorat de 2017
Comme en 2014, la FI a souffert plus que n’importe quelle autre formation de ce que Mélenchon redoutait plus que tout : une réelle démobilisation de son électorat de 2017. Tandis que seulement 47 % de ses électeurs de 2017 se sont rendus aux urnes, le niveau de participation n’a atteint que 40 % chez les électeurs revendiquant une proximité partisane avec la FI.
Comparativement, le Rassemblement national (RN), même s’il a eu à souffrir également de l’abstention de masse, a bénéficié d’une bonne participation de son électorat partisan (61 %), prouvant sa grande capacité de mobilisation électorale, scrutin après scrutin. Il en a été de même à gauche pour EELV (58 %).
Pour Jean‑Luc Mélenchon, cette démobilisation a d’abord confirmé ce qu’il désignait, en juin 2017, comme étant une « grève générale civique », autre nom pour désigner la « démocratie de l’abstention ». Cette abstention de masse touche prioritairement les classes populaires, celles qui ont un faible niveau d’étude.
Aussi, les cadres de la FI n’ont eu de cesse d’exhorter leurs électeurs – notamment les jeunes entre 18 et 35 ans qui ont été la colonne vertébrale du vote Mélenchon en 2017 –, de ne pas se comporter comme des « intermittents du vote ». Ils les ont appelés, au contraire, à réitérer leur vote en faveur de la FI. Car, disaient-ils, s’abstenir revenait in fine à contribuer au succès de la liste soutenue par le président de la République, alors que l’enjeu de cette élection européenne était justement de battre celle-ci pour délégitimer l’action réformatrice d’Emmanuel Macron.
Mais le sursaut espéré n’a pas lieu, et ce sont trois millions d’électeurs de Mélenchon qui ont boudé les urnes. Parmi eux, des électeurs des classes populaires des grands centres urbains qui se positionnent traditionnellement à gauche sur l’échiquier politique. En 2017, la campagne de Mélenchon avait pourtant permis de les mobiliser, son image s’améliorant par ailleurs considérablement dans les dernières semaines.
Un trésor de guerre envolé
La plupart des cadres de la FI, Mélenchon au premier chef, se sont persuadés, à tort, que les 7 millions d’électeurs ayant voté Mélenchon en 2017 leur étaient acquis, que c’était d’une certaine façon leur trésor de guerre. Au risque de développer ce que d’aucuns à gauche ont nommé un « syndrome hégémonique ».
Ainsi, au cours de ces deux dernières années, ils n’ont cessé de répéter que la FI disposerait d’un noyau électoral de 7 millions de voix. Ce faisant, ils ont fait fi à la fois de la composition particulièrement hétérogène de l’électorat de 2017, et de la configuration très particulière ayant rendu possible une performance électorale aussi exceptionnelle et qu’inattendue.
Une innovation durant la campagne présidentielle : l’hologramme de Jean‑Luc Mélenchon, le 12 avril 2017, lors d’un meeting à Montpellier. Anne-Christine Poujoulat / AFP
En 2017, au premier tour de la présidentielle, Mélenchon avait frôlé les 20 % d’abord parce qu’il avait su incarner, au détriment de Benoît Hamon, le « vote utile » à gauche. Et cela, contrairement à 2012 où François Hollande avait largement bénéficié, au premier tour de la présidentielle, de cette « approche stratégique du vote ».
En 2017, Mélenchon en a largement bénéficié grâce au vote acquis des communistes et à celui de la gauche radicale. Mais on assista surtout à un transfert de voix massif avec l’apport de 26 % des électeurs de François Hollande, 40 % d’Eva Joly, et même 12 % de François Bayrou – soit 3 millions de voix. Ce vote s’est cristallisé durant les quatre dernières semaines de la campagne, jusqu’au jour du vote où près de 20 % des électeurs de Mélenchon se sont décidés à voter en sa faveur.
Selon une étude, il a été considéré comme le candidat à gauche ayant fait la meilleure campagne (43 % Mélenchon contre 3 % Hamon), et surtout comme étant le plus capable d’être au second tour (36 % pour Mélenchon contre 8 % Hamon) pour permettre à la gauche de ne pas être éliminée, comme en 2002, et éviter ainsi un duel entre les droites libérale et nationaliste.
La confirmation d’un vote de circonstance
Lors de la dernière élection européenne, en plus de l’abstention massive déjà évoquée, on a assisté au détachement de pans entiers de l’électorat de 2017 : 40 % des électeurs de Mélenchon de 2017 ont décidé de « laisser tomber » la FI, malgré les appels de ses dirigeants, pour se reporter sur les autres listes de gauche : EELV (17 %), Parti communiste (13 %), PP-PS (7 %), Génération (2 %), Lutte ouvrière (1 %). Ce qui représente 1,2 million de voix.
Nombreux sont les électeurs qui, ayant voté Mélenchon dans le contexte particulier de 2017, longtemps indécis, sont retournés voter en faveur d’organisations dont ils se sentent plus proches. Ils ont ainsi apporter la preuve que le vote Mélenchon de 2017 avait été autant un vote de circonstances que celui « du dernier moment », témoignant de sa grande fragilité.
Comme en 2014, ce flot de départs n’a nullement été compensé par l’arrivée de nouveaux électeurs. Les 6,3 % aux élections européennes ont obtenus presqu’exclusivement grâce aux 37 % d’électeurs de Mélenchon de 2017 ayant voté à nouveau en 2019. Les élections européennes de 2019 ont confirmé le caractère volage (à l’instar des électeurs écologistes) de cet électorat que les dirigeants de la FI ne parviennent pas à stabiliser sur le moyen terme, à l’inverse du RN qui dispose d’un vaste socle d’électeurs fidèles.
En 2017, 51 % des électeurs de Marine Le Pen savaient depuis longtemps qu’ils comptaient voter pour elle et 76 % ont fait leur choix avant le début de la campagne. Cette assise permet au RN de résister non seulement à l’action de forces centrifuges, mais également de moins souffrir comparativement de l’abstention massive que les autres partis.
Les difficultés en Europe d’une alternative radicale à gauche
L’échec de la FI à ces élections européennes de 2019, ramenée à l’étiage de 2014, fait écho à celui de nombreuses organisations de la gauche radicale européenne, en premier lieu à celui du « parti mouvement », Podemos, qui espérait en 2015 pouvoir supplanter définitivement le PSOE dans le système partisan espagnol.
Il démontre l’immense difficulté de ces organisations porteuses d’une alternative radicale, sinon révolutionnaire, à l’ordre institutionnel et à l’organisation économique existante à confirmer leur percée électorale fulgurante dans des contextes socio-politiques distincts.
Pablo Iglesias, le dirigeant de Podemos, le 6 juin 2019, à Madrid. L’un des grands perdants des Européennes de 2019 en Espagne. Pierre-Philippe Marcou AFP
Les élections européennes de mai 2019 ont démontré à la fois la capacité de résilience des organisations traditionnelles, notamment en Espagne, mais aussi la fragilité de l’électorat des gauches radicales qui soit revient à d’anciennes allégeances, soit renoue avec l’abstention récurrente, ou encore la dépendance de ces organisations à l’image publique de leur « leader charismatique » .
La dégradation de leur image, comme ce fut le cas de Mélenchon avec la désastreuse « séquence des perquisitions » déteint inévitablement sur celle de l’organisation qu’il prétend incarner en dehors et à l’intérieur.
L’appel de Mélenchon à un activisme de proximité et débridé des militants insoumis, leur stratégie de saturation de l’espace à l’échelon local ou encore la volonté des cadres de la FI de proposer « au peuple » un calendrier de mobilisation propre, en parallèle à celui des confédérations syndicales, n’aura pas permis de fidéliser l’électorat de 2017.
Le destin des gauches radicales en Europe, et donc de la FI, serait-il de ressembler à celui de Sisyphe ? Croire s’approcher enfin de la « maison du pouvoir » avant de retomber brusquement, et ainsi gagner le droit de recommencer…