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Jacques Guigou, Poétiques révolutionnaires et poésie

Lien publiée le 7 juillet 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://dissidences.hypotheses.org/12204

Jacques Guigou, Poétiques révolutionnaires et poésie, Paris, L’Harmattan, collection « Temps critiques », 2019, 93 pages, 12 €.

 Un compte rendu de Frédéric Thomas

« Au cours des révolutions modernes, des poètes se sont mis ”au service” des divers pouvoirs révolutionnaires (…). Et ils l’ont fait, le plus souvent, dans une poétique révolutionnaire qui était contre-dépendante des figures de la période qui s’achevait ». Ainsi s’ouvre le livre de Jacques Guigou, co-fondateur de Temps critiques1. Ce bref essai entend dès lors interroger, pour mieux la rejeter, cette « idéologie du service », cette « poétique révolutionnaire du service » (p. 1 et 19). L’extrait de Circonstances de la poésie (1946) de Pierre Reverdy, mis en exergue, servant ici de fil conducteur :

« Que le poète aille à la barricade,

c’est bien – c’est mieux que bien –

mais il ne peut aller à la barricade

et chanter la barricade en même temps.

Il faut qu’il chante avant ou après »

Poétiques révolutionnaires et poésie opère ainsi, à travers plusieurs exemples, un (trop) rapide tour d’horizon historique, depuis la révolution anglaise jusqu’aux années 1968 ; Mai 68 marquant pour l’auteur « la fin de la relation nécessaire entre poésie et révolution » (p. 40). Jacques Guigou revient sur la convergence entre le surréalisme et l’Internationale situationniste, pour lesquels, « le bouleversement de la vie et l’ébranlement du monde sont les buts communs de la poésie et de la révolution (…). La praxis révolutionnaire est la matière dont la poésie tire forme et contenu » (p. 19). Et de rejeter, en général, la posture selon laquelle « révolution et poésie sont posées comme des absolus historiques qui ne peuvent que s’attirer l’un l’autre, se combiner, se féconder mutuellement » (p. 60).

Au fil des pages, le livre interroge la proximité et la séparation entre, poésie, d’un côté, gnose et présupposé sotériologique2, de l’autre, tout en dessinant deux « polarisations poétiques fondamentales » et antagonistes autour de la parole ou du langage (p. 30 et suivantes). Prolongeant la réflexion de Bonnefoy, Guigou veut voir dans le poème « un résultat. Le résultat du compromis entre la présence du monde et les limites du poète à le percevoir et à le dire comme vie immédiate » (p. 17). Cet essai fait le procès d’une série de « dispositifs poétiques » – la « forme dispositif [qui] s’est généralisée comme un opérateur majeur de la société capitalisée » (p. 56-57) –, qui redoubleraient en réalité la dynamique contemporaine du capital. Ainsi en irait-il de la performativité (qui témoignerait de sa proximité avec la publicité (p. 55)) et de la performance, qui ne serait plus qu’un « substitut de la révolution » (p. 51). En conséquence, « la performance n’est pas en soi intervention sur le monde, mais un support agité et proféré à la surface des choses, une sorte de publicité de l’existant et de son devenir-même » (p. 58). De même, le déplacement de la politique vers l’éthique serait « une compensation à la déception engendrée par l’échec des espérances politiques révolutionnaires » (p. 71), une façon de se recentrer sur la vie individuelle…

Jacques Guigou discute le livre de Daniel Blanchard, Crise de mots (voir la chronique sur notre blog3), avec lequel il marque un accord partiel, tout en lui reprochant – à tort selon nous – de rester encore partiellement prisonnier du prisme langagier et, en dernière instance, encore trop lié à une « poétique révolutionnaire »… « À la désubstantialisation-fluidification du langage pratiquée par les situationnistes et leurs suiveurs révolutionnaires, écrit l’auteur, opposons l’écart qu’il est fructueux d’établir, à titre humain, entre parole de poésie et langage » (p. 27). EtPoétiques révolutionnaires et poésie de terminer en mettant en avant deux contre-exemples de « poètes communistes conséquents » : George Oppen (1908-1984) et Giorogo Cesarano (1928-1975). Contre-exemples en ce qu’ils ont su séparer « strictement poésie et révolution » (p. 77).

Faute de place (93 pages4), cet essai procède par affirmations plus que par analyses, et manque à plusieurs reprises de convaincre. Par ailleurs, il est tout entier surdéterminé par la conception de la révolution – et de la fin d’une phase du capitalisme dans les années 1968 – élaborée par Temps critiques, et qui n’est pas développée ici. D’où les raccourcis et la confusion, le manque de nuance. Ainsi, l’Internationale situationniste et le surréalisme sont largement analysés au regard des seuls livres de Vincent Kaufmann, Guy Debord : la révolution au service de la poésie(Fayard, 2001) et de Jules Monnerot, La poésie moderne et le sacré (Gallimard, 1945), ignorant nombre d’études offrant une image autrement plus complexe et plus riche de ces mouvements. De même, l’insistance sur le surréalisme « au service de la révolution » apparaît dé-contextualisée, rabattant l’histoire du mouvement sur les six numéros de la revue qui porte ce nom, « Le surréalisme au service de la révolution », de juillet 1930 à mai 1933, occultant les débats et tensions au sein du groupe. Enfin, il passe à côté de la poésie de Blanchard, en lui attribuant de manière assez incompréhensible, voire absurde, une tentative d’essentialiser la poésie et un préjugé lacanien ; Guigou a-t-il seulement lu Daniel Blanchard ?

De manière général, cet essai pêche par la confusion entretenue autour du terme « avant-garde », en y mêlant le groupe Tel Quel. Il nous semble plus pertinent de s’en tenir à la définition précise de Peter Burger : les « mouvements historiques », qui se distinguent principalement par l’autocritique artistique et la tentative de renverser la séparation instituée entre l’art et la vie5. Ce qui exclut donc Tel Quel. Ce qui surtout infirme l’affirmation de Guigou selon laquelle : « que la poésie ne soit pas de l’art ; qu’elle relève d’un autre monde que de celui des œuvres d’art et des pratiques artistiques est aux yeux des poétiques révolutionnaires chose irrecevable, relevant de la plus grande hérésie » (p. 60). Tout au contraire, les mouvements historiques d’avant-garde se sont développés en fonction d’une séparation de l’art et de la poésie, faisant de cette dernière une arme critique de l’art comme activité séparée.

La thèse d’une poésie devant servir ou être servie, pour pertinente qu’elle soit, appelle à être nuancée. Le livre refermée, il demeure une ambiguïté : cette poésie est-elle à rejeter depuis toujours ou a-t-elle correspondu à une phase révolutionnaire passée – durant laquelle, elle a pu jouir d’une certaine validité –, qui s’est achevée il y a un demi-siècle ? De plus, toutes les manières de servir reviennent-elles au même, et, sont-elles en conséquence à condamner ? Quelles que soient les réponses à ces questions, il est possible de relever des contre-exemples à la lecture de Jacques Guigou. Pensons au poète surréaliste, Benjamin Péret (1899-1959), dans la poésie duquel on ne trouvera pas de référence explicite à son engagement révolutionnaire, notamment au cours de la Guerre d’Espagne, si ce n’est son Je ne mange pas de ce pain-là(1936, réédité par Syllepse en 2010 (voir la chronique sur notre ancienne revue électronique6)), qui ne correspond guère à cette « idéologie du service » mise en avant par ce livre ; Péret qui, par ailleurs, est également l’auteur du Déshonneur des poètes (1945, réédité en 1996 aux éditions Mille et une nuits (voir la chronique sur notre blog7)), qui fait justement la critique de cette poésie au service de la révolution. Mais même des poètes communistes, s’étant consacrés à une « poétique révolutionnaire du service », ont pu user d’autres registres – Yannis Ritsos (1901-1990) pour ne prendre que ce seul exemple (« La poésie non plus, donc, la poésie non plus ») – ou conjuguer ce « service » sous des formes variées, voire divergentes.

Poétiques révolutionnaires et poésie développe une double dichotomie parole/langage, séparée ou au service de la révolution, qui est par trop figée, usant de manière trop cavalière d’exemples pliés à sa démonstration, et qui, surtout, n’envisage pas les correspondances (possibles) entre poésie et révolution ; correspondances dégagées de toute « mise en service », et qui supposent, en retour, une double redéfinition, moins sentencieuse, de la révolution comme de la poésie. Soit des poèmes qui gardent la trace de la déchirure, et l’indice de ces affinités, pour les appréhender conjointement. Car les poètes n’ont pas d’abord, ou même prioritairement, à aller à la barricade, pour reprendre le mot de Reverdy, mais à aller à la parole où s’élèvent aussi des barricades.

1http://tempscritiques.free.fr/.

2La sotériologie est l’étude des différentes doctrines religieuses du salut de l’âme.

3https://dissidences.hypotheses.org/3563

4Le pamphlet n’aurait-il pas été un mode d’expression plus approprié ?

5Peter Burger, Théorie de l’avant-garde, Mercuès, éditions Questions théoriques, 2013. Voir la chronique sur notre blog, https://dissidences.hypotheses.org/4484

6https://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=516

7https://dissidences.hypotheses.org/4958