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​Le Ceta : doux pour l’oligarchie, dur pour les Québécois

Canada libre-échange Québec

Lien publiée le 8 juillet 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.marianne.net/debattons/billets/le-ceta-doux-pour-l-oligarchie-dur-pour-les-quebecois

Si le Québec est fréquemment trahi par l’oligarchie canadienne, le récit burlesque entourant la mise en place de l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne fait figure de véritable conte horrifique.

En France, on l’appelle le CETA, pour Comprehensive Economic and Trade Agreement. Au Québec, on utilise plutôt les lettres AÉCG, pour Accord économique et commercial global. En tout respect pour nos cousins français, c’est cet acronyme que j’utiliserai, dans ce texte, par respect pour la langue de Molière.

Rien n’illustre mieux le libre-échange contemporain que l’adhésion religieuse des élites politiques quand vient le temps de nous faire avaler un accord dont l’objectif, avoué ou inavoué, est celui de la destitution du politique au profit des puissances de l’argent.

L’UNANIMISME DE L’OLIGARCHIE

Tout d’abord, ce furent les négociations dans le secret le plus total. Ensuite, le "représentant" du Québec, Pierre-Marc Johnson, a comparé les adversaires au libre-échange aux climato-sceptiques et aux défenseurs de la cigarette. Chic, quand on sait que les grandes entreprises se sont précisément appuyées sur les accords de libre-échange pour tenter de renverser judiciairement des politiques gouvernementales adoptées pour… lutter contre le tabac et en faveur de l’environnement.

Heureusement que nos brillantissimes "élites" sont là pour couper court à des phobies populaires aussi irrationnelles.

Puis, ce fut l’épisode José Bové. En 2016, les autorités "compétentes" canadiennes annonçaient que le militant et député européen allait finalement être expulsé du Canada après avoir été bloqué pendant plusieurs heures aux douanes. De quoi venait nous parler Bové ? De l'AÉCG. Les autorités, pourtant d’habitude si obsédées par la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes, s'empressèrent donc de redécouvrir les "bienfaits" du contrôle des frontières dès lors qu’il s’agissait de protéger leurs dogmes et intérêts. Finalement, dès le lendemain, on apprenait que Bové allait pouvoir rester. Un fiasco diplomatique pour le gouvernement Trudeau qui, loin de museler Bové, lui offrait un splendide cadeau en termes d'attention médiatique.

À cela succédait cette déclaration de David Lametti, secrétaire parlementaire de la ministre canadienne des Affaires mondiales, Chrystia Freeland, à l’effet que les Wallons peuvent certainement passer des lois mais qu’ils devront payer pour les faire appliquer. Chantage, quand tu nous tiens !

Là ne s’arrête pas le récit. Jane Murphy, Vice-Présidente de la Chambre de commerce Canada-Belgique-Luxembourg, un lobby de firmes transnationales, a quant à elle affirmé qu’elle ne comprenait pas les délégations frileuses à l’endroit du traité, cherchant aussi à les rassurer sur le fait qu’il n’y aurait pas d’invasion d’ours et de sirop d’érable. Heureusement que nos brillantissimes "élites" sont là pour couper court à des phobies populaires aussi irrationnelles.

Cette étude est pourtant tombée lettre morte, enterrée dans le concert d’éloges d’un débat politique confisqué par la seule logique néolibérale.

LES CONCLUSIONS DE L’UNIVERSITÉ TUFTS

En 2016, une étude de l’Université Tufts, au Massachussets, a démontré que l’Accord économique et commercial global (AÉCG) allait entraîner une baisse substantielle des recettes fiscales des États, une augmentation des inégalités et une destruction programmée du secteur public. L’avantage de la recherche de Pierre Kohler et de Servaas Storm est d’attirer l’attention sur de nouvelles conséquences de l’AÉCG et de déboulonner la méthodologie biaisée des bénéfices de l’accord sur laquelle carbure les gouvernements depuis 2008. Résumons-les brièvement.

Premièrement, la balance commerciale sera positivement servie en Allemagne, en France et en Italie mais cela se fera au détriment d’autres pays.

Deuxièmement, l’AÉCG mènera une plus grande part des PIB nationaux à être concentrés aux mains du capital tandis que la part consacrée au travail déclinera.

Troisièmement, l’AÉCG entraînera des compressions salariales.

Quatrièmement, l’AÉCG sera responsable d’importantes chutes de revenus gouvernementaux.

Cinquièmement, 230 000 emplois seront perdus d’ici 2023 dans les pays signataires de l’AÉCG.

Sixièmement, on peut aussi s’attendre à des chutes de croissance.

Cette étude est pourtant tombée lettre morte, enterrée dans le concert d’éloges d’un débat politique confisqué par la seule logique néolibérale.

L’ABAISSEMENT DES DROITS DE DOUANE N’EST PLUS L’ENJEU

Le libre-échange est passé à une nouvelle étape de son développement. Il n’est plus tant question d’abaisser les barrières tarifaires, lesquelles sont déjà très basses, que de démanteler les barrières non-tarifaires, c’est-à-dire les politiques et règlementations d’intérêt public qu’on accuse maintenant d’être des "obstacles" au commerce. Les accords dits "de nouvelle génération" sont appelés à transformer radicalement le visage des nations. Les États devront s’effacer partiellement devant les volontés des corporations, voire se mettre à leur service dans les situations prévues par les ententes. La question des tarifs douaniers, qui n’ont jamais été aussi bas, n’est plus l’enjeu central depuis belle lurette. Nous assistons en fait à la constitution d’un système de contraintes conçu pour administrer le commerce et les investissements à la place des pays signataires, de manière à contenter leurs lobbys financiers et industriels.

L’Accord risque d’avoir de lourdes conséquences pour l’agriculture fromagère, dont le Québec assure environ 50 pour cent de la production canadienne.

LES SERVICES

Il faut dire qu’un an avant sa signature, les provinces de Québec et de l’Ontario ont signé un accord afin d’harmoniser la libéralisation de leurs services afin d’en arriver à une plus grande conformité avec les exigences de l’AÉCG. Une libéralisation préventive en vue d’un accord pas encore signé…

Dans le cas de l’AÉCG, les multinationales européennes pourront participer aux appels d’offres d’Ottawa, ce qui n’est pas nouveau, mais aussi des provinces, des villes et des institutions d’enseignement et de santé. Cela signifie beaucoup de profits pour les intérêts étrangers.

Les dispositions concernant Hydro-Québec sont également inquiétantes. Sa contribution au développement économique du Québec pourrait être sérieusement réduite par ce traité. L’AÉCG implique certes que les « achats stratégiques » de la société d’État puissent être exemptés d’être soumis à la concurrence étrangère. Mais ceux-ci représentent 50 % des contrats d’Hydro. L’autre 50 pour cent, composé d’investissements et autres types de transactions, est quant à lui ouvert à l’étranger, ce qui pourrait menacer les mesures de soutien au développement régional ou à l’emploi local. Telle est l’implacable logique du libre-échangisme.

L’AGRICULTURE

L’Accord risque d’avoir de lourdes conséquences pour l’agriculture fromagère, dont le Québec assure environ 50 pour cent de la production canadienne. La gestion de l’offre, les quotas et les droits de douane sont autant d’outils permettant à nos producteurs de se protéger d’une concurrence écrasante et parfois déloyale. Aujourd’hui, le fromage québécois est disponible à un prix avantageux pour le consommateur par rapport à ses équivalents européens, sauf peut-être les fromages industriels européens.

Or, l’AÉCG risque de mener à un abaissement des quotas et des droits de douane en favorisant une entrée massive des produits européens, déclenchant une guerre des prix par l’ajout de 17 000 tonnes d’importations, ce qui risque d’écraser le potentiel de croissance du secteur des fromages fins au Québec.

L’État canadien promet depuis des années d’offrir des compensations aux producteurs « nationaux » pénalisés, lésant cette fois-ci le contribuable. Comprenez-moi bien : je me réjouis que les producteurs puissent mettre un certain baume sur leurs plaies, mais je serais encore plus heureux si on évitait les plaies. On passera ainsi d’un système de gestion de l’offre à un système subventionné.

Le hic, c’est que ces subventions, sous forme de compensations, reviennent à admettre qu’une forme d’aide sociale est nécessaire pour les producteurs, qui vont peiner à survivre s’ils ne s’écroulent tout simplement pas. D’autant plus que ces compensations/subventions sont, par définition, temporaires.

Autrement dit, une nation est libre de favoriser sa production culturelle et aucun traité de libre-échange ne peut l’en interdire.

Pire encore, les agriculteurs québécois n’en ont pas encore vu la couleur. En 2017, Ottawa a certes mis sur pied une banque d’opportunités destinée aux agriculteurs québécois, mais celle-ci était vide après seulement… sept jours.

LE PRIX DES MÉDICAMENTS

Le Canada, au chapitre des coûts par habitant des médicaments, figure au deuxième rang mondial, des coûts qui augmentent de surcroît très rapidement. Ce sont les États-Unis qui figurent en tête de peloton. Or, la plupart des accords de libre-échange reproduisent la politique américaine en la matière. L’AÉCG n’y fait pas exception, retardant la mise en marché des médicaments génériques pour une période pouvant atteindre deux ans. Cette mise en marché sera encore plus retardée par la mise en place d’un nouveau droit d’appel dans le système des brevets. Une hausse des coûts des médicaments sera logiquement inévitable. L’AÉCG n’aura pas d’impact similaire au niveau des droits de propriété intellectuelle, au sein de l’UE.

LA CULTURE

Le Québec, soutenu par la France, a mené un important combat pour que l’exception culturelle soit reconnue par l’UNESCO. Cela signifie, grosso modo, que la culture n’est pas traitée comme une marchandise comme une autre, qu’elle ne peut être soumise aux lois du commerce. Autrement dit, une nation est libre de favoriser sa production culturelle et aucun traité de libre-échange ne peut l’en interdire. Pour les pays qui n’ont rien qui ressemble à Hollywood, c’est une belle avancée.

Or, l’AÉCG implique une approche par chapitre plutôt qu’une exemption générale de la culture des négociations. Adoptant une définition étroite et marchande de la culture –les industries culturelles–, l’exception culturelle ne s’applique ainsi qu’aux chapitres de l’Accord où elle est explicitement mentionnée, et non à son entièreté. C’est un habile contournement.

***

Ce survol est tout sauf exhaustif. Il nous permet néanmoins de conclure sans trop de difficulté que l’Accord économique et commercial global (AÉCG) est doux pour l’oligarchie et dur pour les peuples. Après tout, comme le disait le représentant du Québec dans le cadre des négociations, l’accord n’a pas pour but de régler les problèmes sociaux mais de favoriser le commerce entre les pays. Le hic, c’est que ce n’est pas tant de commerce entre le pays qu’il s’agit, mais d’encore plus d’émancipation des multinationales vis-à-vis de ces pays.