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Hébergement d’urgence : les associations refusent de devenir des «auxiliaires de police»
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Le directeur de la Fédération des acteurs de la solidarité, Florent Gueguen, s'inquiète que le principe d'accueil inconditionnel dans l'hébergement d'urgence ne soit remis en cause par une récente circulaire.
Un an et demi après la controversée circulaire Collomb, qui prévoyait que des «équipes mobiles» composées d’agents de préfecture et de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) puissent se rendre dans les centres d’hébergement d’urgence afin de contrôler la situation administrative des personnes hébergées, un nouveau dispositif inquiète le secteur associatif. Quarante organisations ont écrit, le 5 juillet, au ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, et au ministre auprès de la ministre de la Cohésion des territoires, Julien Denormandie, pour leur faire part de leurs craintes au sujet d’une circulaire prévoyant que les services intégrés de l’accueil et de l’orientation (SIAO) communiquent à l’Ofii chaque mois la liste des personnes demandeuses d’asile ou réfugiés hébergées par le 115.
Selon une estimation diffusée par le Monde, 11 000 demandeurs d’asile et 8 000 réfugiés seraient logées temporairement dans un hébergement d’urgence. Comme avec la circulaire Collomb, l’objectif affiché par le gouvernement est de mieux orienter ces personnes vers les dispositifs prévus pour elles – et donc libérer des places dans les structures généralistes.
Mais les associations expliquent dans le courrier adressé aux ministres «redout[er] que cet échange d’informations ait en réalité pour finalité principale d’identifier les étrangers présents dans l’hébergement d’urgence afin de procéder à des contrôles et leur expulsion ou leur éloignement du territoire». Florent Gueguen, le directeur de la Fédération des acteurs de la solidarité, qui regroupe 870 organisations et qui cosigne le texte, explique ses craintes à Libération.
La circulaire prévoit la transmission des listes de personnes réfugiées et demandeuses d’asile hébergées par le 115 à l’Ofii. Pourquoi cela vous inquiète-t-il ?
On est plus que dubitatifs sur l’objectif réel de cette circulaire. Elle ne concerne effectivement que les réfugiés et les demandeurs d’asile mais on sait tous, et en premier lieu le ministère de l’Intérieur, qu’il n’y a pas de place disponible en Centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada). Le ministère reconnaît lui-même que 75 000 demandeurs ne sont pas hébergés dans le dispositif national d’accueil (DNA) faute de place. Ils se retrouvent donc soit dans les centres généralistes visés par la circulaire, soit dans des campements, des squats, ou sont hébergés par des tiers. Il y a une forme d’hypocrisie car l’objectif affiché c’est d’identifier les demandeurs d’asile et les réfugiés pour les orienter vers des places qui n’existent pas.
Il faudrait en créer au moins 30 000 à 40 000 pour répondre à l’application du droit, qui prévoit que soient proposés un accompagnement et un hébergement à chaque demandeur d’asile. Si on avait annoncé la création de places, d’accord, mais là on considère que la réalité de la finalité de cette circulaire n’est pas celle qui est affichée.
Qui sont les personnes que vous jugez menacées par ce texte ?
Les personnes sous statut Dublin, en tant que demandeuses d’asile, seront sur ces listes. Dans les centres franciliens, elles représentent parfois 30 à 40% du public hébergé. Elles seront donc directement menacées d’une mesure d’assignation à résidence et de transfert vers le pays responsable de leur demande d’asile. Les personnes qui sont dans des centres d’accueil sont d’abord des personnes sans-abri, qui doivent être protégées comme telles. Le 115 n’a pas de mission de police et de contrôle des populations, pas plus pour les «dublinés» que les autres personnes.
Ça vaut aussi pour les personnes déboutées. Le dispositif de transmission d’informations est placé sous le contrôle des préfets. S’ils connaissent les demandeurs d’asile dans les centres, ils vont forcément aussi connaître les déboutés au bout de quelques mois, et être en mesure de prononcer des obligations de quitter le territoire (OQTF), etc. On est dans la poursuite des objectifs de la circulaire Collomb de 2017.
Avec la circulaire Collomb, il fallait recueillir le consentement des personnes pour contrôler leur situation. Ce n’est plus le cas.
La circulaire Collomb n’a pas fonctionné notamment parce qu’on a obtenu du Conseil d’Etat des mesures de neutralisation : il ne pouvait y avoir intervention sans le consentement des personnes et l’accord des gestionnaires de centres. Ça a donné très peu de résultats, donc le ministère de l’Intérieur remet le couvert en n’utilisant plus des équipes mobiles mais des croisements de fichiers.
Par ailleurs, le règlement général sur la protection des données (RGPD) s’applique à tout le monde et dit expressément que quand on crée un fichier ou qu’on en modifie les finalités, il faut informer les personnes qui sont dedans et recueillir leur accord. Il n’y a rien de tout ça dans la circulaire, qui viole la protection des données des plus pauvres, en l’occurrence les étrangers dans les centres d’hébergement d’urgence.
Vous craignez que ces personnes ne fassent plus appel au 115 ?
Si les ménages savent que le 115 va transmettre leur nom et adresse à l’Ofii, il est évident que les gens vont quitter les centres et rejoindre les squats et les campements. Certaines personnes qui pourraient être hébergées ne contacteront plus le 115, par peur. Cela nous met dans un rôle d’auxiliaires de police qui n’est pas le nôtre. En plus, quand un accompagnement social est fait, il y a une relation de confiance qui se crée entre les travailleurs sociaux et les personnes accompagnées, ce que ce texte piétine complètement.
Avez-vous eu un retour à votre courrier ?
Avec Louis Gallois, qui préside la Fédération des acteurs de la solidarité, nous avons vu Julien Denormandie le 5 juillet. Nous lui avons remis le courrier en mains propres, et on a eu une sorte de fin de non-recevoir. Nous demandions une concertation pour réécrire ce texte et neutraliser ses effets les plus dangereux. Mais aucune négociation n’est engagée à ce stade, alors que tous les acteurs nationaux de l’hébergement sont inquiets.
Quelles sont vos options pour continuer à vous mobiliser sur ce texte ?
On envisage un contentieux en annulation au Conseil d’Etat, une saisine de la Cnil [Commission national de l’informatique et des libertés], et une saisine du Défenseur des droits sous l’angle de la protection de l’accueil inconditionnel. Le code de l’action social et des familles prévoit clairement les missions du 115 et le tri n’en fait pas partie.
Ce qui inquiète les associations, c’est vraiment l’entrée du ministère de l’Intérieur dans la gestion des politiques contre l’exclusion. Elles refusent qu’au nom de l’ordre public et de la gestion des politiques migratoires, Beauvau entre dans la gestion des fichiers et d’une certaine manière dans le pilotage des 115. C’est une évolution grave des politiques sociales.