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"Pour que l’étincelle de la révolution prenne, il faut que les gens se comprennent"

Lien publiée le 13 juillet 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://lvsl.fr/entretien-avec-marc-faysse/

La Communale, publié aux Éditions du commun, est le premier roman de Marc Faysse. Cette fiction, inspirée de sa vie, livre un nouveau regard sur le militantisme, sur l’autogestion et sur la manière de mener des projets communs. Dans un entretien donné au Vent Se Lève, l’auteur revient sur ce qui l’a poussé à témoigner sans langue de bois sur les leçons d’une vie passée de militant rennais à celle du parisien trentenaire qu’il mène aujourd’hui. 


Le Vent Se Lève – Marc Faysse vous avez 29 ans, La Communale (éditions du commun) est votre premier roman. L’histoire d’un jeune étudiant, Achille, qui se lance avec des amis dans une aventure de squat. Pourquoi écrire à ce sujet ?

Marc Faysse – Je vis l’expérience émouvante de la sortie de mon premier roman. Je souhaite préciser que ce n’est pas avec une vision militante, mais avec mon humanité, que je m’exprime tout au long de ce récit inspiré de ma vie. Si j’ai voulu écrire La Communale, c’est d’abord à cause du grand silence médiatique qui englobe ce mode de vie que j’ai vécu il y a 4 ans, le squat. On voit aussi une grosse difficulté à faire comprendre à ses amis et ses parents cette manière de vivre complètement en marge du monde. Pour moi qui apporte vraiment du sens au militantisme, il s’agissait de vivre « à côté » tout en restant en ville, et de mettre en cohérence idées et pratiques. J’avais donc envie de raconter ce mouvement là parce qu’il n’existe pas médiatiquement, mais aussi d’échapper à la binarité du débat public qui voudrait qu’il y ait des gentils, qui manifestent calmement, et des méchants, qui cassent. Il faut rétablir la vérité, bien plus complexe, qui est que parmi les casseurs il y en a qui font des choix, en s’attaquant à des symboles comme une banque, ou encore les panneaux de JCDecaux qui avait censuré il y a trois ans la campagne de Médecins du monde au sujet de l’industrie pharmaceutique, source de financement importante de l’annonceur. Il y a un sens dans ces actions et c’est compliqué de ne pas crisper les gens quand on parle de « l’ultra-gauche ». A travers le romantisme (Achille vit une authentique histoire d’amour avec des personnes et un mode de vie), je veux par ce roman décristalliser le débat de l’intérieur.

LVSL – Écrire ce roman, c’est donc pour vous l’occasion de vulgariser un mode de pensée stigmatisé par l’opinion publique. Achille, c’est un jeune qui a des idéaux, et qui décide de quitter l’autoroute de la vie. Vouloir développer une contre-société, qu’est-ce que cela peut révéler, justement, de notre société ?

L'auteur Marc Faysse

Marc Faysse, auteur de « La Communale », éditions du commun / DR

MF – Achille milite dans le syndicat étudiant majoritaire qu’était l’UNEF. Un syndicat historique par lequel il a vu ses camarades gravir les échelons pour espérer entrer par la grande porte dans un parti politique, le PS. Or il est ambitieux et a des idéaux révolutionnaires, c’est un anticapitaliste qui veut renverser la société et pour qui les combats quotidiens de son syndicat sur le prix de la cantine sont des combats d’arrière-garde. Comme plein de jeunes, il nage dans un tourbillon de vide, à la recherche de ce que la vie peut lui proposer d’excitant et d’intéressant, et surtout il en a marre du militantisme conventionnel qu’il considère comme hypocrite. Pour Achille, n’y a pas de cohérence entre tracter pour l’UNEF l’après midi et manger au Macdo le soir. Ce jeune s’ennuie sur son campus, désillusionné, il est presque en dépression jusqu’à son coup de foudre avec un monde souterrain qui, comme dans Harry Potter, est excitant au point d’être idéalisé. Il découvre le mode de vie squat avec toutes les libertés qui vont avec, il rencontre plein de gens qu’il considère comme passionnants, mais il y décrypte aussi l’emprise, la capacité d’endoctrinement qui règne dans ces milieux. Jusqu’où est-il prêt à aller ? Car il s’agit avant tout d’un bourgeois, pour qui il était impensable de squatter et de voler dans un supermarché jusqu’à ce qu’on lui explique que voler peut se justifier politiquement. Dès lors, tout lui explose à la figure, des références culturelles, un vocabulaire, des gens, des fêtes… Dans ce nouveau monde, Achille se croit pionnier. Or, certains membres du squat sont arrivés durant la lutte contre le CPE en 2006. Et même ceux-là oublient qu’ils sont aussi les héritiers de militants, d’Action directe à Louise Michel. Dans cette société construite par filiation, il y a une lignée qui doit se rappeler qu’elle vient d’un ensemble de luttes ayant pris des embranchements, certains ayant choisi la violence, d’autres l’isolement comme les militants du Larzac. Cette lutte, c’est la lutte sociale radicale.

LVSL – Vous, c’est par l’UNEF que vous vous êtes engagé. Aujourd’hui, ces organisations n’ont plus les mêmes pouvoirs et ne semblent plus défendre les luttes de la même manière. Pensez-vous que les Achille d’aujourd’hui pourraient encore suivre un parcours similaire ?

MF – Aujourd’hui je suis proche d’une organisation qui s’appelle Alternative libertaire, prenant ses sources dans le communisme libertaire, elle fusionne avec des groupes anarchistes et gagne de l’ampleur. Donc, je ne suis pas « hors-orga ». Pour autant, il y a des organisations politiques qui servent de tremplin politique et je ne veux pas en nommer une plus qu’une autre car j’ai l’impression que c’est parfois le rôle d’un syndicat étudiant. Ces organisations oublient l’impératif anti-capitaliste : il ne s’agit pas de négocier des miettes mais de faire la révolution. Si on fait parler les chiffres, l’UNEF, syndicat d’Achille, n’est plus le premier syndicat étudiant. À Rennes, où je m’étais engagé, c’est désormais l’Armée de Dumbledore qui est en tête, un syndicat autonome qui a fait campagne en partie sur le rejet de l’UNEF. Je n’ai rien contre les militants UNEF et je ne doute pas de leur volonté militante, mais selon moi ce bloc historique est obsolète. Il faut parfois questionner les structures et pas seulement les personnes.

LVSL – Aujourd’hui, vous vivez et travaillez à Paris. Pourquoi avoir renoncé et quitté ce monde ? Cela a-t-il provoqué chez vous une forme de choc culturel ?

MF – Il y a des choses que je faisais quand j’étais à Rennes que je ne peux plus faire à Paris, comme récupérer les invendus de supermarché, je préfère les laisser à ceux qui sont dans le besoin. Je ne peux plus non plus squatter un appartement, car ça prend beaucoup de temps et que j’ai un travail maintenant. J’ai peut-être fait le choix de travailler par mimétisme social, et je réalise que quand on fait 35h de boulot par semaine il y a plein de choses que l’on ne peut plus se permettre, plein de risques que l’on ne peut plus prendre, car on mettrait trop en danger tout ce système que l’on construit. Si j’ai écrit, c’est parce que j’ai bien conscience que je suis en train de changer de vie, et de renoncer à beaucoup de chose. Il s’agit d’une forme de journal intime, d’un ensemble de souvenirs dont je ne veux pas me défaire. Peut-être aussi que je suis dans une parenthèse de ma vie professionnelle et qu’elle se refermera un jour, pour autant le milieu rennais continue à vivre et à chaque fois que j’y reviens la vie est toujours aussi excitante.

LVSL – En regardant en arrière, qu’est-ce que cette expérience vous à révélé de la vie, de la communauté, de l’Etat et de l’humain ?

MF – Je mène actuellement une grande réflexion autour de la question de l’illusion d’une cohérence totale entre ses propres principes et la pratique. On voit dans le livre que les membres du squat essaient de vivre en cohérence avec leurs principes, or il y a au sein de ce réseau une réalité plus complexe. Par exemple, Achille est homosexuel, et il s’avère impossible pour lui de trouver dans ce milieu relativement viriliste et hétérocentré quelqu’un avec qui vivre une histoire d’amour. Bref, ce n’est pas parce qu’on est militant et en squat que l’on a à donner des leçons sur la vie. Pour autant je trouve admirable de faire ce choix là, qui oblige à renoncer à beaucoup, à commencer par les liens familiaux. Cela me rappelle la pièce de Jean-Luc Lagarce Juste la fin du Monde, où ce jeune écrivain est de retour dans sa famille prolétaire. C’est similaire à ce que je constate avec mes personnages, et c’est un vrai problème car si on veut que l’étincelle de la révolution prenne, il faut que les gens se comprennent.