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"Anne Hidalgo a mené une politique déconnectée des attentes des Parisiens"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Nelly Garnier
Directrice associée en agence de communication, elle est l'auteur d'une note en deux partie pour le think tank Fondapol sur l'électorat urbain, intitulée "Allô maman bobo".
Nelly Garnier, auteur d'une note sur la sociologie électorale urbaine, revient sur les enjeux des élections municipales à Paris.
La bataille pour la succession d'Anne Hidalgo est lancée : alors que Benjamin Griveaux a été désigné comme candidat LREM aux dépens de Cédric Villani, Rachida Dati se positionne en potentielle future candidate de LR. L'objectif de la majorité sera de confirmer dans la capitale ses bon scores à l'élection présidentielle, aux législatives et aux européennes, afin de la reprendre au PS. La droite quant à elle tentera dans s'imposer dans une ville qui lui est de plus en plus hostile depuis presque 20 ans. Mais Anne Hidalgo n'est-elle pas déjà la candidate idéale compte tenu de la sociologie parisienne ? Pour le dire autrement : les Parisiens sont-ils condamnés à Hidalgo ? Nelly Garnier, auteur d'une note récente en deux parties pour Fondapol sur la sociologie électorale des grandes villes et le désenchantement urbain, "Allô maman bobo", revient avec nous sur cette question.
Propos recueillis par Kévin Boucaud-Victoire
Marianne : Comment expliquer que Paris ait basculé à gauche en 2001 et y soit resté depuis lors ?
Nelly Garnier : En 2001, la gauche a réussi à conquérir Paris mais aussi Lyon grâce aux guerres intestines qui divisaient les droites locales. Cependant, ces bascules ont eu un impact psychologique très important. Beaucoup se sont dit : "C'est la victoire des bobos. Les villes sont maintenant peuplées de bobos". Et il est vrai que le début des années 2000 est le moment où l’on a commencé à percevoir qu’il y avait eu une mutation sociologique dans les villes, avec une part des diplômés du supérieur et des cadres qui avait fortement augmenté. Mais les urbains ne sont pas devenus une population ni un électorat homogène. Les réalités sont beaucoup plus complexes. Le cadre sup' du IXe arrondissement de Paris n’est pas l’intermittent du spectacle de la porte de Vincennes ni la famille d’employés qui se maintient dans l’hyper-centre parce qu’elle a hérité de l’appartement des parents. En 2008, Bertrand Delanoë a été de nouveau réélu, et très largement. Cela tient pour partie à la vague nationale qui a profité à la gauche dans toute la France. C’est aussi le fait de son bilan qui a été jugé positivement par les Parisiens.
Bertrand Delanoë a bien incarné l’image du bobo de première génération. (Mais) le bobo de 2020 n’est pas celui de 2001.
Ce qui a fait le succès de Bertrand Delanoë, ce n’est pas juste une proximité sociologique avec l’électorat parisien. Il a su saisir les préoccupations des urbains au début des années 2000 : un désir de se déplacer autrement et une aspiration à une démocratie locale plus directe et plus participative. Dans d’autres conditions, la droite parisienne aurait aussi bien pu aller sur ces sujets. Il faut rappeler que c’est Jean Tibéri qui, en janvier 1996, avait présenté le premier "plan vélo" de la capitale et que c’est lui également qui avait lancé en 2000 le projet de tramway sur le boulevard des Maréchaux. C’est après l’élection de Bertrand Delanoë que la droite parisienne a fait de la critique de la politique anti-voiture un axe fort de son positionnement. A l’inverse, à Bordeaux, Alain Juppé a été précurseur sur la question des mobilités avec le tramway et cela lui a permis d’améliorer son score d’élection en élection. En 2014, Bertrand Delanoë a laissé la main à Anne Hidalgo qui n’a pas été élue triomphalement. Aujourd’hui, rien n’est acquis pour elle et la question de savoir si Paris va rester une ville de gauche est donc réelle.
Anne Hidalgo est-elle le parfait reflet des "bobos" ou des "gentrificateurs", festifs, acquis à la mondialisation, au multiculturalisme et à l’écologie ?
Bertrand Delanoë a bien incarné l’image du bobo de première génération. Il n’appartenait pas à la bourgeoisie traditionnelle, a réussi par ses études, a mis en avant la culture et défendu la liberté des mœurs. Son époque est celle de Paris plage et de la Nuit blanche, une politique de la fête qui a conduit Philippe Muray à décrire l’urbain comme un Homo festivus. Aujourd’hui, cette image d’un bobo qui ne chercherait qu’à s’amuser est caduque. Le bobo de 2020 n’est pas celui de 2001. Les habitants des grandes villes font face à des difficultés croissantes. Ils n’arrivent pas à accéder à la propriété. Ils vivent avec la peur du déclassement. Ils sont victimes de l’explosion de la délinquance. La menace terroriste est là et la pollution est source d’inquiétude pour leur santé et celle de leurs enfants.
Anne Hidalgo s’est positionnée sur la thématique écologique, avec des résultats décevants en termes d’amélioration de la qualité de l’air et, pour le reste, elle n’est plus en phase avec les aspirations des Parisiens. Le fait qu’elle ait annoncé cette année la création d’une police municipale, proposition portée par la droite depuis 2001 et jusqu’ici rejetée en bloc par la majorité de gauche, est bien le signe qu’elle perçoit que les attentes de son électorat ont changé et qu’elle cherche à se repositionner.
Les habitants des métropoles ne sont pas des ovnis. Leurs attentes sont les mêmes que tout un chacun : une ville propre, tranquille, qui leur offre de bonnes conditions pour construire leur vie de famille.
Avec Nathalie Kosciusko-Morizet en 2014 et peut-être Rachida Dati l’an prochain d’un côté et Griveaux de l’autre, LR et LREM espèrent-ils gagner Paris avec des candidats qui ressemblent à Hidalgo ?
Personne n’a envie de s’inscrire dans les pas d’Anne Hidalgo, qui est très affaiblie pour une maire sortante. Un très grand nombre de Parisiens lui reprochent la dégradation de l’état de la capitale. Anne Hidalgo a mené une politique déconnectée des attentes des Parisiens. Elle leur a inventé des désirs qu’ils n’avaient pas – des espaces collaboratifs et inclusifs, des places festives et intégrées, etc. Les habitants des métropoles ne sont pas des ovnis. Leurs attentes sont les mêmes que tout un chacun : une ville propre, tranquille, qui leur offre de bonnes conditions pour construire leur vie de famille. Dans ce contexte, la droite a une carte à jouer. Elle est jugée crédible pour répondre à ces attentes. Quant aux marcheurs, ils ne sont pas encore identifiés sur des axes programmatiques. Ils vont donc avant tout jouer sur leur proximité sociologique avec les urbains d’aujourd’hui.
Comment expliquer les résultats des européennes à Paris : basculement vers LREM de l'ouest, acquis traditionnellement à la droite classique bourgeoise et conservatrice, basculement de l’est gentrifié de gauche vers EELV ?
Les européennes ont toujours fait ressurgir des fractures internes à droite comme à gauche. Il était donc prévisible que ce scrutin ne leur serait pas favorable. A cela s’ajoute une gauche divisée et très affaiblie sur le plan national et une droite ayant envoyé ces derniers mois beaucoup de signaux contradictoires, pouvant donner le sentiment d’un parti qui n’avait plus de ligne ou d’un rétrécissement conservateur. Face à cela, les Français ont préféré porter leurs votes sur des choix clairs : plus d’Europe avec LREM, moins d’Europe avec le Rassemblement national, une Europe centrée sur les enjeux écologiques avec les Verts. Cela a conduit au résultat que vous décrivez à Paris.
Une partie de l’électorat de droite s’est reportée sur la liste conduite par Nathalie Loiseau et une partie de l’électorat de gauche s’est portée sur la liste écologiste. Aux municipales, les cartes vont être rebattues, d’autant que le Rassemblement national est faible dans les grandes agglomérations. L’effet vote utile anti-RN ne jouera pas sur ce scrutin. Aujourd’hui, les sondages donnent autour de 16 -17% à une liste LR à Paris, dans un contexte local compliqué. C’est un socle qui reste solide. Quant aux Verts, ils s’appuieront sur leurs résultats de 2019 pour tenter de négocier au mieux avec Anne Hidalgo. Mais cela ne devrait pas changer leur stratégie d’alliances.
Les grandes villes concentrent à la fois les hauts revenus et des taux de pauvreté importants.
Vous relevez dans votre rapport que les métropoles, Paris en tête, sont le foyer d’incroyables inégalités. "Ainsi, le taux de pauvreté est de 18% dans la petite couronne (Paris inclus), pour 15% à l’échelle régionale ", écrivez-vous. On voit aussi une précarisation des "bobos". Dans le même temps, vous montrez qu’il y a de gros problèmes de délinquance : "À titre d’exemple, 50% des faits recensés par les forces de l’ordre en 2018 l’ont été en Île-de-France, notamment à Paris et en Seine-Saint-Denis". Existe-t-il un espace pour une gauche radicale et pour une droite vraiment conservatrice et sécuritaire ?
Les grandes villes concentrent à la fois les hauts revenus et des taux de pauvreté importants. Toutefois, ce que j’ai voulu montrer c’est que même ceux qui sont dans le haut des indicateurs économiques sont fragilisés. Les dernières générations à arriver dans les grandes métropoles se retrouvent face à un marché immobilier qui leur est devenu presque totalement fermé. Si les cadres sont moins exposés que les autres salariés au risque du chômage, beaucoup craignent de perdre leur emploi à un moment de leur carrière, surtout passé l’âge de 50 ans. Les transformations du monde du travail sont aussi sources d’inquiétudes : pression toujours plus forte du client, perte de sens, sentiment de manque de reconnaissance, etc.
A cela s’ajoutent une forte délinquance, une conflictualisation des rapports dans l’espace public, le harcèlement de rue pour les femmes, les agressions homophobes. Autant de choses qui dessinent un univers anxiogène et peuvent inciter les urbains à rechercher des offres politiques qui les sécurisent. Cela peut être effectivement un discours très à gauche, centré sur les questions d’inégalités sociales, ou un discours écologiste radical. Ce peut être aussi un discours de droite ferme en matière de sécurité et de gestion de l’espace public (propreté, incivilités). Cela ne veut pas dire un discours conservateur sur le plan sociétal. Car, sur ce plan, une majorité des urbains considère aujourd’hui que cela relève des choix individuels, même à droite.