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Le changement climatique n’est plus une idée, c’est ma réalité

écologie

Lien publiée le 24 juillet 2019

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Le changement climatique n'est plus une idée, c'est ma réalité

La France connaît un second épisode caniculaire en moins d’un mois, et vit les prémices d’un monde au climat fortement chamboulé. Sensation d’être dans un four, vie qui s’arrête, grêle dévastatrice, crainte du feu… Le changement climatique s’impose comme une réalité palpable et angoissante.

La chaleur, dans le Sud languedocien, ça nous connaît. Le mercure qui s’installe paresseusement au dessus des 30 °C, l’herbe rêche sous les pieds qu’un arrosage régulier ne parvient pas à garder verte, et ce cagnard insolent…. Pas de problème ! Nous, Méditerranén(ne)s, connaissons les recettes — volets fermés, thé glacé, vêtements et chevelure humidifiés — et accueillons l’arrivée de l’été avec le sourire satisfait de ceux « à qui on ne la fait pas ». Mais cette année, quelque chose a changé. Les soirées sur la plage, à regarder le ballet incessant des Canadairs, n’ont plus la même insouciance. Le délicieux chant des cigales ne parvient plus à couvrir le frémissement de nos angoisses.

Il y a d’abord eu l’électrochoc du 28 juin 2019, et ses 44 °C à Montpellier, qui ont laissé une empreinte indélébile, comme du goudron fondu sur nos mémoires vives. La sensation d’être dans un four en permanence, même dans les maisons en pierre. La vie qui s’arrête, plus personne ne bouge, les concerts sont reportés, les dîners sont annulés. Et le lendemain, la ruée dès 9 h pour faire les courses au supermarché, au cas où…

La chaleur est retombée — à 30 °C — mais pas l’inquiétude. Comme si la chaleur avait fait fondre les derniers remparts de notre déni climatique, la crise écologique s’invite désormais dans toutes les conversations. Chacun y va de son superlatif ou de son anecdote tragiquement inédite. Il y a les vieux du village qui n’ont « jamais vu » la source d’eau s’envaser aussi tôt. Il y a le voisin vigneron qui a observé « pour la première fois » ses vignes brûler sous la canicule. Il y a l’amie apicultrice qui a aperçu ses essaims quitter les ruches pour aller se coller goulûment au linge humide fraîchement étendu par la voisine. Il y a la vieille chienne, malade, qui a résisté à l’hiver, mais qui pourrait bien y passer, tuée par la chaleur. Il y a les arbres décimés par des ravageurs plus nombreux qu’avant.

Il ne s’agit pas d’une lubie apocalyptique, mais de notre vie, en 2019, dans le sud de la France 

Nos gestes se modifient, empreints d’un nouveau sentiment de gravité. L’arrosage matinal du jardin prend des allures d’extrême onction. On se demande jusqu’à quand les plantes vont tenir. Et même les plus vieux arbres, qui ont pourtant eu le temps d’étendre leurs racines dans les profondeurs aqueuses du sol, ont besoin d’eau. La crainte du feu devient omniprésente : à tout instant, on guette la fumée à travers les pins. En famille, on fait la liste des trois objets à sauver en cas d’urgence. Le doudou d’enfance, l’album photo et le chat.

Et s’il n’y avait que la chaleur. Au-delà de la sécheresse, la grêle a détruit des hectares de vignes et de fruitiers. Une année de travail, voire plus, réduite à néant en quelques minutes. Les paysans et paysannes, celles et ceux qui cultivent la terre, nous transmettent leur tourment, comme le racontaient les producteurs de fruits la semaine dernière.

Il ne s’agit pas d’une lubie apocalyptique, mais de notre vie, en 2019, dans le sud de la France.

Et c’est la première fois que nous touchons la réalité du dérèglement climatique. Dans sa dimension catastrophique et irréversible. La première fois qu’elle nous saisit, dans nos cœurs et dans nos corps. Non pas une prise de conscience, souvent déjà présente, mais une prise de sens. Voilà ce que signifie le réchauffement : des vagues de chaleur comme celle de juin, plus régulières et plus intenses. Comme l’expliquait le climatologue Robert Vautard« les canicules se sont réchauffées de 4 °C depuis le début du XXesiècle », et sont devenues « cinq fois plus fréquentes qu’il y a 60 ou 100 ans ». Le changement, ce n’est pas pour la fin du siècle : c’est maintenant. Ça laisse présager de bonnes parties de rigolade estivale !

Ne pas déserter ce désert en devenir

Nous sommes jeunes, souvent trentenaires, la tête pleine de projets. Nous avons envie de bâtir nos maisons, cultiver un potager, planter des arbres fruitiers, pourquoi pas avoir des enfants… Bref, plonger nos racines, construire un nid, un autre monde. Et pour ce faire, nous avons élu le Sud, sa garrigue aux effluves de thym, ses Cévennes schisteuses et verdoyantes, ses causses parsemés de buis, son littoral aux étangs multicolores. Mais avons-nous choisi le bon endroit ? Pourrons-nous y vivre, non pas dans 30 ou 50 ans, mais demain, dans les prochaines années ?

Un ami né dans l’Atlas marocain m’a glissé, dans un sourire : « Tu verras, on peut vivre avec 40 °C, il suffit de s’adapter ! » Mais comment faire, dans l’urgence ? On a beau passer des heures à choisir les « bons » arbres à planter, réfléchir au meilleur aménagement de la maison, sélectionner les variétés de légumes les plus résistantes aux sécheresses, tout paraît aller trop vite. Anticiper n’est plus une protection suffisante face aux dérèglements. Alors quoi ? Il nous reste la clim’ et les piscines (pour celles et ceux qui peuvent se les payer). Contre l’effet de serre, une vie sous cloche rafraîchissante. Comme dans ces villes étasuniennes de l’Arizona ou de l’Utah, où l’on vit en saut de puce, en pointillés : de la maison climatisée à la voiture climatisée, pour aller au centre commercial climatisé ou à la salle de sport climatisée. On n’habite plus, on s’abrite, en permanence.

Intimement, chacun sent qu’il ne faut pas déserter ce désert en devenir, mais au contraire nous battre et prendre soin de cet écosystème méditerranéen unique au monde, l’un des biotopes les plus riches en biodiversité de la planète, l’un des berceaux de nos cultures européennes. Rester, non pas pour veiller un ami mourant, mais pour nous coadapter, nous entraider, apprendre les uns des autres, et, qui sait, peut-être, construire l’oasis de demain.

Causse Méjean, dans le Parc national des Cévennes