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Greta Thunberg: le retour du mythe de la jeunesse qui sauvera le monde
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
L'essayiste Vincent Cocquebert analyse la mise en scène médiatique de Greta Thunberg dans la lutte contre le changement climatique, rappelant que la mythification de la jeunesse n'est pas un phénomène nouveau et qu'en l'espèce, elle permet d'évacuer des questions délicates posées par le changement climatique.
La starification politico-médiatique de Greta Thunberg est inquiétante. Tout comme le sont les attaques hystériques dont elle est la cible. Pour les uns, elle est la marionnette du capitalisme vert ou, a contrario, d'un nouvel autoritarisme décroissant. Pour les autres, c'est une héroïne éco-responsable quasi-messianique. La vérité, c'est peut-être que la militante suédoise de 16 ans est surtout le syndrome d'une perverse et persistante mythification de la jeunesse. Il n'est pas ici question de mettre en doute les convictions personnelles de la jeune femme ni son indépendance d'esprit en tant qu'individu.
MISE EN SCÈNE DU CLASH DES GÉNÉRATIONS
On ne peut néanmoins que constater à quel point l’instrumentalisation des "jeunes" et des valeurs (largement fantasmées) qu'on leur prête (aventureux, forcément progressistes etc.) est souvent venue justifier depuis les années 70, au mieux l'immobilisme, au pire la sous-traitance des grandes problématiques de société aux classes d'âges émergentes. Lors de chaque basculement de modèle sociétal (post-industriel pour les années 70, postmoderne aujourd'hui), il est frappant de remarquer à quel point la société, dans une dynamique de "lancer de patate chaude historique", fantasme une grille de lecture qu'elle plaque sur une jeunesse censée lui tracer les grandes lignes du monde de demain.
Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que l'on mobilise une jeune adolescente pour médiatiser le combat écologique et, in fine, ne rien changer. En 1992, lors du Sommet de Rio, Severn Suzuki, de l’Organisation Environnementale des enfants, alors âgée de 13 ans, faisait la leçon aux chefs d’État en pointant leur inaction face aux dangers environnementaux. Et déjà, les médias parlaient d'elle comme de la "voix de nos enfants" face à des adultes en pleine simulation d'éco-contrition.
Cette rassurante fable d'une relève consciente et prête dans un même élan à engager les changements de modèle qui s'imposent.
Cette mise en scène cyclique du clash des générations, on l'a retrouvée également lors de la séance de questions-réponses à l'Assemblée nationale de Greta Thunberg face aux journalistes, ce 23 juillet. D'un côté, des représentants de l'ancien monde coupables d'avoir saccagé la planète, de l'autre, une jeune militante présentée comme la porte-parole ("nous, les enfants" ; "nos opinions") d'une génération verte absolument homogène. Au delà des intérêts de greenwashing que certains veulent voir derrière sa personne – son refus de se prononcer sur le Ceta voté le même jour en étant selon eux la preuve flagrante –, la figure omniprésente de Greta depuis la dernière Cop24 semble ainsi avant tout servir à nous faire adhérer à cette rassurante fable d'une relève consciente et prête dans un même élan à engager les changements de modèle qui s'imposent.
Les études sur le sujet devraient pourtant nous inviter à la prudence. Le Cnesco, dans son rapport sur l’engagement citoyen des lycéens, se réjouissait en septembre 2018 que 46% des élèves de Terminale interrogés déclarent avoir déjà participé à des activités d’engagement de type sociétal. Vu dans le détail, ils n'étaient pourtant que 11% à dire s’être investis "cette année et au cours des années précédentes" pour l’environnement. Le baromètre Credoc de la jeunesse pointait en novembre 2017 l'idée de prime abord contre-intuitive que "l’environnement et la paix dans le monde"restaient "des domaines d’engagement aujourd’hui peu investis".
Dernièrement, l'enquête européenne de référence, Valeurs, réalisée en 2018, confirmait que "parmi les cohortes les plus récentes, nées dans les années 1990 et 2000, la défense de l'environnement est moindre (54%) que dans la cohorte des années 1970 (58%)". Côté consommation, contrairement au nouveau refrain d’une nouvelle jeunesse veggie en totale empathie avec la cause animale, une étude, elle aussi du Crédoc, soulignait récemment que les 18-24 ans étaient devenus les plus gros mangeurs de viande.
DÉPOLITISATION DE L'ÉCOLOGIE
Et même si certains d'entre eux (majoritairement venus des classes supérieures urbaines) ont voté EELV aux dernières élections européennes, leur sensibilité éco-friendly est à double face. Ils se disent sensibles à l'argument commercial du durable mais ignorent totalement (comme nous tous) l'empreinte carbone pourtant maousse de leur usage des nouvelles technologies. Et la voiture n'est pas encore tout à fait cette relique quasiment malfaisante de l'ère moderne puisqu'aux États-Unis, 80% des jeunes adultes la prennent pour se rendre au bureau (un chiffre stable depuis 1980). En somme, les jeunes ne sont pas vraiment plus écolos que leurs aînés et fantasmer le contraire en y percevant une force forcément salvatrice a tout de la méthode Coué pour éviter de se confronter dès maintenant aux lendemains qui déchantent.
La question climatique est balayée au profit d'un absurde débat pour ou contre Greta, elle-même devenue le symbole d'une guerre climatique des générations montée de toutes pièces.
Dépolitisée, réduite au rang de stand-up ou de happenings écoresponsables, la question climatique est ainsi balayée au profit d'un absurde débat pour ou contre Greta, elle-même devenue le symbole d'une guerre climatique des générations montée de toutes pièces. En la starifiant, les médias de la gauche libérale se renvoient à eux-mêmes une image valorisante et progressiste en évacuant subtilement la question plus délicate du changement de modèle économique. En l'étrillant, ceux de la droite libérale révèlent, à travers la critique répétée en boucle mais pourtant un peu vaine de son instrumentalisation, la réalité de leur désintérêt profond pour la cause écologique.
Quant aux dirigeants, ils gagnent surtout du temps, sachant pertinemment que le pouvoir n'a jamais été, ni économiquement, ni symboliquement, entre les mains des enfants. Greta Thunberg, et il serait pervers de l'en rendre responsable, est en réalité victime de notre anachronique culte du jeunisme dans une société vieillissante et désabusée face à la notion même de progrès et qui n'a plus que les valeurs imaginaires de la culture jeune pour tenter d'alimenter son moteur de civilisation. Là aussi, pourtant, il serait sans doute temps de changer de carburant.