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«Au-delà de la canicule, il y a une réflexion civilisationnelle globale à avoir»
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes de France, salue les messages de prévention des pouvoirs publics, mais s’inquiète de la situation des plus pauvres et du «chaos» des services d’urgence.
En 2003, il avait été le premier à tirer la sonnette d’alarme quant à la gravité de la canicule. Plus de quinze ans après l’été meurtrier, alors que le pays est en proie à un nouvel épisode caniculaire, Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes de France, salue les politiques de prévention mais appelle à aller plus loin dans l’investissement national.
En quoi cette canicule est-elle particulière ?
Les canicules se suivent mais ne se ressemblent pas. Cette année, le phénomène est très fragmenté, avec des périodes très chaudes. Les températures très élevées de la journée ne baissent pas pendant la nuit et le phénomène actuel se surajoute à la chaleur du mois de juin. Il n’a pratiquement pas plu, la sécheresse en France est considérable et les organismes sont déjà fatigués. Physiologiquement, nous devons pouvoir nous adapter à des variations, mais il est impossible de vivre toujours avec une température élevée, car nos organismes ne peuvent pas récupérer. Selon moi, cet épisode caniculaire montre bien les conséquences du réchauffement climatique. Je compte saisir le Haut Conseil pour le climat au sujet de ces canicules successives et de leurs conséquences majeures.
Comment jugez-vous la prévention actuelle menée par le gouvernement ?
En 2003, les autorités ont nié le problème et refusé de voir la vérité en face. Plus de quinze ans après, nous avons progressé. Les pouvoirs publics se sont emparés du dossier, on a pu le voir lors de l’épisode caniculaire de juin dernier. La Direction générale de la santé s’est mobilisée et c’est formidable. Les messages de prévention sont bons, mais ils n’empêcheront pas les imbéciles d’aller faire un jogging à 14 heures en pleine chaleur et de risquer de mourir. Et malgré les alertes dans le monde du travail, la prévention n’empêchera pas les patrons du BTP de faire travailler leurs ouvriers en pleine chaleur. Il y a encore des choses à revoir, mais globalement cette dynamique de préparation et de prévention est très correcte.
Hormis la prévention, quelles sont les mesures à prendre pour améliorer la résistance de l’individu face aux chaleurs extrêmes ?
Pour éviter les morts, il ne faut pas que cette politique de prévention s’arrête à la fin de l’épisode caniculaire. Il y a une réflexion civilisationnelle globale à avoir, avec un investissement national à porter, notamment sur l’habitat. Pour contrer la canicule, la solution n’est pas dans le tout-climatisation, qui utilise de l’énergie et favorise le réchauffement climatique. Nous devons être ingénieux. Il faut replanter des arbres, isoler mieux les habitations, reconcevoir l’architecture des villes pour qu’elles ne soient pas de véritables fournaises. N’oublions pas qu’en France il y a quelque 12 millions de pauvres et que la canicule frappe avant tout les personnes qui n’ont pas la possibilité d’avoir accès à des sources de fraîcheur.
Quels sont les effets d’un tel épisode de chaleur sur le corps humain ?
La canicule de 2003 avait fait 20 000 morts. Celle de cet été en tuera beaucoup moins, mais les corps seront les mêmes : les sans domicile fixe par exemple, qui meurent plus de la chaleur l’été que du froid l’hiver, les travailleurs de force et les personnes âgées. Des progrès dans la prise en charge des plus âgés ont été accomplis, notamment dans les maisons de retraite et les Ehpad grâce aux salles climatisées, mais les effets de la canicule sur la santé sont considérables : il y a un risque d’hyperthermie, avec le corps qui n’arrive plus à thermoréguler, ce qui peut vite entraîner une défaillance multiviscérale [détérioration rapide d’un ou de plusieurs organes, ndlr]. Au début des épisodes de forte chaleur, les personnes atteintes de maladies chroniques décompensent assez rapidement. De plus, la canicule et le réchauffement climatique font progresser des maladies que nous n’avions pas en France jusqu’alors. Selon moi, l’arrivée du moustique tigre est hautement symbolique de ces nouvelles pathologies liées au réchauffement, avec le développement de la dengue sur le territoire. Le monde est en pleine mutation et ce changement s’accélère.
Comment l’adaptation à la chaleur diffère-t-elle selon les régions ?
Les coups de chaleur qu’on peut connaître dans le sud de la France ne sont pas les mêmes que ceux définis dans les zones du nord. Les personnes qui viennent de zones plus chaudes sont mieux équipées, avec notamment des systèmes immunitaires et des protéines qui protègent de la chaleur. Face à la chaleur, on n’est pas égaux.
Les urgences sont en grève depuis la mi-mars. Comment s’organise-t-on au sein des services pour accueillir au mieux les patients qui souffrent de la canicule ?
Depuis 2003, les moyens alloués aux hôpitaux n’ont pas bougé. C’est là où ça ne va pas. Beaucoup trop de lits d’hospitalisation ont été fermés, et ça continue. Nous sommes un pays meurtri par le chômage et nous n’arrivons pourtant pas à trouver des infirmières ou des aides soignants. On va continuer de diminuer la possibilité d’avoir recours aux ambulances de réanimation. C’est très inquiétant.
Cette année, la situation dans les services d’urgence est très difficile. On n’est plus au bord du chaos mais dans le chaos, car non seulement on a des problèmes pour trouver des lits, mais aussi pour recruter des médecins. Les mesures annoncées pour sortir de la crise des urgences ne donneront pas grand-chose. Avec la canicule, la fréquentation des urgences ne faiblit pas. En tout cas, lorsqu’on regarde les épisodes de canicule des années précédentes, on voit qu’il y a toujours environ 15% d’augmentation de la mortalité. La surmortalité peut être limitée, diminuée, mais il n’y aura jamais zéro victime.