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Capitalisme, changement climatique et stratégie socialiste

écologie

Lien publiée le 2 août 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.revolutionpermanente.fr/Capitalisme-changement-climatique-et-strategie-socialiste

Le 15 mars, des centaines de milliers de jeunes sont descendus dans la rue dans différentes villes du monde dans le cadre d'une grève étudiante contre le changement climatique. A Madrid, Berlin, Vienne, Rome et dans d'autres villes, les manifestations ont été massives.

Ce texte écrit par Diego Lotito a été initialement publié dans ContraPunto, supplément théorique de La Izquierda Diario dans l’État espagnol, du même réseau de quotidiens que Révolution Permanente.

Le mouvement est né le 20 août 2018, lorsque la jeune militante suédoise du climat Greta Thunberg s’est présentée devant le parlement suédois avec une banderole portant le slogan « Student Climate Strike ». Inspiré par cette action, le mouvement « Fridays for Future » et « Green Fridays », dans lequel des étudiants et des lycéens manquent des cours et manifestent contre la crise environnementale mondiale sous le slogan « We don’t have a planet B », a depuis pris de plus en plus d’ampleur. Surtout après le discours percutant de Thunberg lors du dernier sommet sur le climat (COP 24) à Katowice, en Pologne.

« Notre civilisation est sacrifiée pour qu’un petit nombre de personnes ait la possibilité de continuer à gagner des sommes d’argent énormes. Notre biosphère est sacrifiée pour que les riches des pays comme le mien puissent vivre dans le luxe. C’est la souffrance de beaucoup qui paie le luxe de quelques-uns (...) Nous devons laisser les combustibles fossiles dans le sol et nous devons nous concentrer sur l’équité. Et si les solutions au sein du système sont si impossibles à trouver, peut-être devrions-nous changer le système lui-même », a déclaré cette Suédoise de 15 ans sous le regard condescendant des représentants politiques présents au sommet.

Le phénomène, qui s’est diffusé en Espagne au travers de la plate-forme Youth for Climate (Jeunesse pour le climat), est composé principalement de ce que certains appellent la « génération Z », c’est-à-dire les jeunes entre 13 et 20 ans, aux côtés des « millennials ». Son programme est limité car le mouvement propose seulement d’exiger des autorités qu’elles prennent des mesures urgentes contre le changement climatique. Cependant, son impact social et politique a ouvert un large débat entre les jeunes et la gauche européenne et mondiale sur les moyens de faire face à la crise environnementale qui nous menace, sa relation avec la dynamique intrinsèquement éco-destructrice du capitalisme et des États capitalistes, et sur les mesures nécessaires pour prévenir cette catastrophe. Surtout, elle a montré la perception qu’ont de larges couches des nouvelles générations, surtout les plus jeunes, de la crise environnementale : sans une transformation radicale du mode de production capitaliste, il n’y a pas d’avenir.

Pendant ce temps, l’establishment mondial est divisé entre le négationnisme du changement climatique, les réformes cosmétiques promouvant le « capitalisme vert » adoptées lors des sommets et les paris sociaux-démocrates sur un « New Deal vert » entre les États et les grandes entreprises pour arrêter la détérioration environnementale et la prédation des ressources.

Dans ce contexte, la mobilisation massive de la jeunesse, qui n’a rien à attendre du capitalisme si ce n’est l’inégalité, la précarité et la destruction de la planète, ouvre la possibilité de débattre d’une stratégie révolutionnaire pour mettre fin à la cause du changement climatique et de la dévastation environnementale : le système capitaliste.

Un phénomène catastrophique appelé « Changement climatique »

« Les prochaines années sont probablement les plus importantes de notre histoire ». La citation est de Debra Roberts, co-présidente du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) [1] qui a présenté le 8 octobre dernier le rapport spécial 1,5ºC sur le réchauffement climatique.

Aujourd’hui, la grande majorité des scientifiques du monde considère que le changement climatique est aussi tangible qu’inévitable. Mais qu’est-ce que le changement climatique et qu’est-ce qui en est la cause ?

Le climat de la Terre est régulé par un processus naturel appelé « effet de serre », par lequel certains gaz présents dans les couches inférieures de l’atmosphère (dioxyde de carbone, méthane, oxyde nitreux, hydrofluorocarbures, etc.) absorbent une partie du rayonnement solaire que la Terre émet sous forme de chaleur, formant une véritable « serre globale ». Dans le cas de la planète Terre, l’équilibre naturel de ce phénomène est ce qui a permis le développement de la vie telle que nous la connaissons. Mais lorsque la concentration de gaz à effet de serre augmente dans l’atmosphère, cet équilibre se modifie et donne naissance à ce que l’on a appelé le « changement climatique ».

La majorité des scientifiques s’accorde à dire que ce changement est principalement lié à l’augmentation vertigineuse des niveaux d’émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, produits par les activités anthropiques, c’est-à-dire par l’action humaine. Cependant, il ne s’agit pas d’une action humaine « en général », abstraite. C’est une activité générée dans le cadre d’un certain mode de production, le capitalisme.

En effet, depuis la révolution industrielle, la super-concentration de ces gaz dans l’atmosphère, notamment en raison de la combustion d’énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz), mais aussi de la déforestation (qui a progressivement éliminé d’énormes puits de carbone) et d’autres activités productives capitalistes comme l’élevage intensif, a eu pour effet d’élever la température moyenne mondiale - qui avoisine actuellement 15°C - avec des conséquences insoupçonnées (et catastrophiques) sur l’environnement et la biodiversité. Cette dynamique a eu tendance à s’accroître de façon exponentielle avec le développement du capitalisme moderne, en particulier lors de sa dernière phase néolibérale.

Bien que les différents sommets sur le climat aient tiré la « sonnette d’alarme » sur le changement climatique, d’importantes organisations scientifiques mettaient en garde contre ces changements depuis des décennies. Du GIEC à des revues scientifiques prestigieuses telles que Science, elles ont présenté des recherches qui dessinent de véritables scénarios de catastrophes, soutenant que si les niveaux actuels d’émissions de CO2 se maintiennent, « le monde sera confronté au taux de changement climatique le plus rapide des 10 000 dernières années, modifiant la circulation des courants océaniques et des régimes climatiques » [2].

Les projections du GIEC indiquent que la température moyenne mondiale à la surface de la Terre pourrait augmenter de 2 à 5°C [3] et que le niveau des océans pourrait augmenter de 18 à 59 centimètres au cours des prochaines décennies, tout en avertissant que les émissions passées et futures de dioxyde de carbone (CO2) continueront au réchauffement pendant plus d’un millénaire. Dans le même temps, on a récemment appris que les niveaux de CO2 dans l’atmosphère ont dépassé 400 parties par million (ppm), et pourraient même atteindre dans les décennies à venir des niveaux supérieurs à 500 ppm, des niveaux jamais atteints auparavant dans l’histoire humaine.

Pour qui que ce soit, ces estimations peuvent passer pour de simples abstractions statistiques. Cependant, elles prennent forme lorsque leurs conséquences se font sentir : expansion de phénomènes climatiques extrêmes tels que tempêtes, cyclones tropicaux, typhons et ouragans, chaleur excessive, déplacement des zones climatiques vers les pôles et réduction de l’humidité du sol, mais aussi élévation du niveau de la mer due à la fonte des glaciers ou à la fonte partielle des calottes polaires, avec pour conséquence la salinisation des terres arables et des eaux souterraines côtières.

Depuis 1880, la température moyenne de la surface de la terre a augmenté de 1°C selon le GIEC. Un changement drastique qui a déjà des conséquences dévastatrices, avec le renforcement de tous les phénomènes catastrophiques liés au climat, sa permanence dans le temps et l’accélération de ses rythmes. Il s’agit notamment de la récurrence d’ouragans et de tornades de plus en plus virulents en Amérique centrale, comme celui qui a dévasté Porto Rico et d’autres pays des Caraïbes il y a quelques mois, ou le cyclone qui a fait plus de 1 000 morts au Mozambique. La multiplication des incendies incontrôlables qui ont dévasté des villes entières dans le monde entier, la propagation de vagues de chaleur extrême (qui frappent déjà 30% de la population mondiale), les inondations massives - qui touchent déjà 41 millions de personnes en Asie du Sud - ou les sécheresses catastrophiques - comme celles qui ont provoqué le déplacement forcé de 760 000 personnes en Somalie.

Selon les Nations Unies, il y a actuellement plus de réfugiés climatiques que de réfugiés de guerres : plus de 20 millions de personnes. On parle même de « guerres climatiques », terme inventé par le psychologue social allemand Herald Welzer, pour désigner les conflits armés déclenchés par les changements environnementaux, et notamment par le réchauffement climatique. Ainsi, selon une étude, dans le cas de la guerre en Syrie [4], la sécheresse qui a sévi entre 2006 et 2010 a contribué à précipiter la crise qui a éclaté au printemps 2011.

Comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS) l’a récemment reconnu, si la tendance actuelle se poursuit, les conséquences du changement climatique pourraient entraîner 250 000 décès supplémentaires chaque année entre 2030 et 2050, selon une estimation pourtant minimale [5].

Ces effets touchent principalement les populations les plus pauvres du monde, pillées par les puissances impérialistes. Mais elles ne sont pas les seules. Même en Amérique du Nord, puissante et industrialisée, les effets du changement climatique ont généré des désastres incommensurables, comme les récents incendies dans l’Ouest américain, les inondations massives en Caroline du Nord et du Sud, ou la dévastation causée par des ouragans comme Andrew (1992), Katrina (2004) ou Michael (2018), ce dernier décrit comme « monstrueux ». Dans tous ces cas, les catastrophes environnementales ont surtout touché les secteurs les plus exploités et les plus opprimés. L’immense accumulation de « ressources », de technologies, de machines, d’argent etc., accaparée par le capital et l’indifférence impérialiste n’ont été d’aucun secours pour la population.

La nécessité de lutter contre le changement climatique par des mesures radicales est indéniable. Selon le dernier rapport du GIEC, les émissions de gaz polluants devraient être réduites de 45 % d’ici 2030 - en moins de 12 ans - pour éviter de dépasser le seuil critique de réchauffement de 1,5°C, au-dessus duquel l’élévation du niveau de la mer, les phénomènes météorologiques extrêmes et les pénuries alimentaires se généraliseraient.

Un scénario qui ne laisse aucune place à des mesures partielles ou « réformistes ». Le réchauffement climatique n’est qu’une des manifestations, peut-être l’une des plus dévastatrices, de la nature destructrice du système capitaliste.

Négationnisme et « capitalisme vert » : de la farce de Kyoto au Sommet de Paris

Face à la crise mondiale du changement climatique, le capitalisme oscille entre deux stratégies : d’une part, une campagne de négation des preuves scientifiques tendant à les présenter comme une « idéologie » plutôt que comme un fait objectif ; d’autre part, une stratégie de promotion du capitalisme « vert » ou « durable », qui défend l’importance des accords internationaux et vise une reconversion partielle et limitée des systèmes de production, tout en préservant et renforçant le modèle d’accumulation et d’exploitation capitaliste.

Le champ du négationnisme est très large. Ses rangs vont de Trump, du Parti républicain et du Tea Party aux États-Unis, à des secteurs scientifiques minoritaires. Mais son noyau se trouve dans les grandes entreprises. Comme l’explique Luciano Andrés Valencia [6], « l’industrie du déni » a comme principaux moteurs les sociétés pétrolières, automobiles, métallurgiques et services publics, qui sont les principaux responsables des émissions de gaz polluants qui génèrent l’augmentation de température.

Ces super-entreprises, comme la compagnie pétrolière britannique Exxon Mobil ou Koch Industries, appartenant aux frères Charles et David Koch, dépensent chaque année des milliards de dollars en campagnes de négation du changement climatique. Ils ont même créé des groupes de pression comme la Coalition mondiale sur le climat, engageant des scientifiques et des spécialistes des relations publiques pour convaincre les journalistes, les gouvernements et le grand public que les alertes au changement climatique sont trop imprécises et exagérées pour justifier des politiques de régulation des émissions.

C’est la base du positionnement de l’administration Trump. Évidemment, venant des inventeurs de la « vérité alternative » (alternative truth), le déni du changement climatique n’est pas surprenant. En bref, leur position est que « le changement climatique n’existe pas... et si c’est le cas, ce n’est pas notre faute, mais un phénomène naturel ». Toutes les preuves scientifiques, ainsi que les manifestations catastrophiques du changement climatique, seraient de la pure « idéologie ».

Certes, « l’histoire géologique de la Terre est l’histoire du changement climatique », dit Gilson Dantas [7]. « Il y a plus de 3 millions d’années, la Terre était 3°C plus élevée qu’avant notre ère industrielle. Et nous avons certainement eu des périodes glaciaires et interglaciaires. » La différence est que la dernière ère interglaciaire a duré environ 30 000 ans, et si l’humanité se trouve dans une nouvelle ère interglaciaire, celle-ci n’a même pas encore atteint les 10 000 années. Dans ce contexte, non seulement le réchauffement planétaire actuel n’est pas prévu, mais il se situe en dehors de la configuration géologique-temporelle de la Terre. Et il n’y a pas eu de changement substantiel ni dans les rayons provenant de l’extérieur de la Terre ni dans le comportement du Soleil, deux facteurs déterminants pour comprendre le réchauffement climatique. Les changements ont été produits par un autre facteur : l’industrie capitaliste.

La science n’est pas étrangère aux intérêts économiques ou à la lutte des classes. Sous la domination du capital et des grands monopoles, il ne peut y avoir de science neutre. Malgré cela, l’écrasante majorité de la communauté scientifique - et même, cyniquement, une grande partie de l’establishment capitaliste mondial - convient que si la température sur Terre augmente de plus de 2°C, nous ferons face à une catastrophe planétaire. Dans ce cadre, l’idéologie - au sens marxiste du terme « fausse conscience » - est du côté de ceux qui nient la dévastation environnementale et sociale que l’économie capitaliste génère, tout en promouvant le mensonge consistant à dire que le changement climatique n’est qu’un « été plus chaud ».

En face du négationnisme, le camp du « capitalisme vert » n’en est pas moins hétérogène et ambiguë. Depuis le Parti démocrate américain jusqu’à Angela Merkel et Emmanuel Macron en passant par diverses sociétés capitalistes en plein essor, des organisations internationales, des environnementalistes ou encore des ONG, tous prétendent le contraire. Dans un exercice de syncrétisme entre néolibéralisme, néo-keynésianisme et « économie verte », ils dénoncent le réchauffement climatique et s’accordent lors de coûteux sommets climatiques sur les mesures de protection de l’environnement, les contrôles et les grands objectifs de réduction des émissions, qui n’ont été dans tous les cas que des documents diplomatiques sans conséquences pratiques majeures.

Bien qu’ils considèrent le changement climatique comme un fait scientifiquement prouvé, leur stratégie est incapable de proposer une solution, car pour ce faire, ils devraient nécessairement aller au-delà des cadres du système de production capitaliste. C’est pourquoi la politique de lutte contre le réchauffement climatique s’est réduite principalement à promouvoir des mesures d’ « atténuation » et d’ « adaptation », c’est-à-dire l’atténuation des émissions de gaz polluants et le confinement de leurs conséquences dévastatrices.

Dans le cadre de ces mesures, la stratégie mondiale la plus remarquable a été le Protocole de Kyoto, entré en vigueur plusieurs années après son adoption en décembre 2004 suite à sa ratification par la Fédération de Russie [8]. Considéré à l’époque comme un grand pas en avant, malgré la politique des États-Unis et de l’administration Bush de rejeter sa ratification - les États-Unis étant alors responsables de 36% des émissions mondiales de gaz à effet de serre - le protocole de Kyoto n’a fait que « recommander » des réductions insignifiantes des émissions de CO2 de 34 nations industrialisées.

Malgré cela, le Protocole a créé un système permettant de contourner les objectifs de réduction grâce à des « mécanismes de flexibilité », qui donnaient le droit d’émettre encore plus de dioxyde de carbone par l’achat et la vente de « crédits carbone ». Oui, le capitalisme impérialiste a réussi à créer un nouveau marché : un échange mondial de gaz de dizaines de milliards de dollars.

Au sommet de Kyoto (COP3, 1997) se sont succédé d’autres sommets qui ont été soit un échec (COP15 Copenhague, 2009), soit une stagnation (COP19 Varsovie, 2013). Le dernier grand sommet a été la COP21 à Paris. En 2015, les représentants de 195 pays sont parvenus à, ce que le président français de l’époque, François Hollande, a appelé, le premier « pacte universel dans l’histoire des négociations climatiques ».

Cependant, comme le disait le philosophe et écologiste Jorge Riechmann ; « les sommets mondiaux sur le réchauffement climatique ne sont pas vraiment efficaces mais constituent plutôt des exercices de diplomatie théâtrale » [9]. C’est exactement le cas pour le Sommet de Paris, une nouvelle mise en scène orchestrée par les principaux pollueurs de la planète.

Le texte a adopté comme limite l’augmentation de 2°C de la température mondiale par rapport aux niveaux préindustriels, laissant ouverte la possibilité de réduire l’objectif à 1,5°C. Cependant, la réduction prévue des émissions de gaz à effet de serre étant déterminée « par le niveau national », c’est-à-dire par les États, l’accord ne prévoit en réalité ni planification ou engagement, ni mécanismes d’examen ou sanctions en cas de non-respect.

En outre, pour que l’accord entre en vigueur en 2020, il devra être ratifié, accepté ou approuvé par au moins 55 pays représentant au moins 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Toutefois, tout pays peut se retirer sur notification « à tout moment après une période de trois ans à compter de l’entrée en vigueur de l’accord ».

Comme Kyoto, une farce. La plus grande preuve en a peut-être été les déclarations de l’un des plus grands climatologues du monde, James Hansen, scientifique de la NASA, qui, dans une interview accordée au Guardian, a déclaré : « C’est vraiment une tromperie, un mensonge. Pour eux, cela ne signifie plus rien de dire : "Nos objectifs sont un réchauffement de 2°C et nous allons essayer de faire mieux tous les 5 ans". Ce sont des mots sans valeur. Si rien n’est fait, ce ne sont que des promesses. Tant que les combustibles fossiles resteront les moins chers, ils continueront à être utilisés. »

Bien que l’Accord de Paris soit par nature totalement impuissant à réduire les émissions de carbone, le gouvernement de Donald Trump - comme Bush à Kyoto - n’a même pas accepté ce taux de réduction. La décision, cependant, a un sens. Par un document diplomatique, la COP21 tente de limiter les émissions de gaz à effet de serre, mais ces limites sont absolument incompatibles avec le fonctionnement du système capitaliste.

L’essence du capitalisme est l’expansion du profit et l’accumulation à tout prix, même si ce coût implique la destruction matérielle de la planète. Pendant que la Chine et les États-Unis, avec l’Union européenne, produisent la plupart des gaz à effet de serre qui annihilent la troposphère, et que les capitalistes s’installent entre des positions de déni ou des sommets impuissants de gestion des crises environnementales, le reste du monde continue à subir les effets du changement climatique.

C’est pourquoi l’idée d’un « capitalisme vert », qui éliminerait de manière intégrale et efficace les causes qui sont à la base de la catastrophe environnementale mondiale qui nous menace et qui favoriserait un « développement durable » de l’humanité et de l’ensemble des espèces qui peuplent la planète, est une chimère. La solution à la crise climatique mondiale ne peut en aucun cas naître des entrailles mêmes du système qui l’a produite.

Crise environnementale, « Green New Deal » et « développement durable »

Karl Marx et Friedrich Engels écrivaient dans le Manifeste du parti communiste que « les conditions bourgeoises de production et d’échange, le régime bourgeois de la propriété, la société bourgeoise moderne, qui a fait surgir de si puissants moyens de production et d’échange, ressemblent au magicien qui ne sait plus dominer les puissances infernales qu’il a évoquées. » Si ces mots étaient et sont vrais pour expliquer les contradictions entre capital et travail, ils permettent aussi de comprendre la contradiction entre capital et nature.

Le changement climatique, parmi d’autres phénomènes terrifiants de la crise environnementale mondiale, est un exemple des « puissances infernales » que le capitalisme a engendrées et dont les conséquences premières et dévastatrices sont aujourd’hui clairement inévitables.

Ce phénomène n’est nullement la seule expression du pouvoir destructeur du capital. A l’altération du climat s’ajoutent la crise du cycle du carbone, de l’eau, du phosphore et de l’azote, l’acidification des fleuves et des océans, la perte croissante et accélérée des forêts et de la biodiversité, l’extinction massive des espèces, la perte de fertilité des sols et les changements dans l’utilisation des sols, la pollution chimique et la diminution générale des ressources. Cette dynamique éco-destructrice est directement liée à la dégradation sociale et matérielle de centaines de millions de personnes qui souffrent de la misère, du chômage et de la précarité de l’emploi, par laquelle le capitalisme assure sa rentabilité et sa reproduction.

Cette situation, sans précédent dans l’histoire de l’humanité, est le résultat logique, et pas seulement accidentel, d’un système économique dont le moteur est la soif de profit des classes dirigeantes. Sauf que la rassasier implique la destruction de l’environnement et des forces vitales des travailleurs et des paysans du monde entier.

Dès ses origines, le capitalisme a eu une attitude de mépris et de pillage envers la nature, comme si les ressources qu’elle fournit à l’humanité étaient infinies et, surtout, sans coût. « Cependant ne nous flattons pas trop de nos victoires sur la nature. Elle se venge sur nous de chacune d’elles (…) Et ainsi les faits nous rappellent à chaque pas que nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger, comme quelqu’un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous sommes dans son sein » écrit Engels dans sa Dialectique de la nature.

Dans sa théorie de la « fracture métabolique » [10] sur la relation entre la ville et la campagne, entre l’homme et la terre, Marx reconnaît clairement et de manière critique le pouvoir destructeur du capital, affirmant que la fracture du métabolisme universel de la nature entraîne inévitablement la dégradation des conditions matérielles pour un développement humain véritablement libre et durable. Comme l’affirme Kohei Saito, professeur agrégé de politique économique à l’Université d’Osaka, « Marx a compris qu’il importe peu qu’une grande partie de la planète devienne inappropriée pour la vie tant que l’accumulation de capital est possible » [11].

Mais ce qui, à l’époque des fondateurs du marxisme révolutionnaire, était encore un horizon théorique, est devenu à notre époque une réalité flagrante. L’irrationalité du système de production capitaliste-impérialiste et de ses modes de consommation a atteint un point tel que l’équilibre naturel de la planète et, avec lui, l’existence même d’immenses portions de l’espèce humaine et de millions d’autres espèces qui vivent sur la planète est gravement compromise.

Les promoteurs du mouvement « Fridays for Future » contre le changement climatique qui se multiplient en Europe et dans le monde sont de plus en plus conscients de cette réalité. C’est pourquoi ils dénoncent le système capitaliste comme la cause de la crise écologique actuelle. Ils ont même l’intuition que derrière les déclarations d’intentions issues des sommets climatiques, il n’y a que de la démagogie. Cependant, il leur manque encore une stratégie pour la surmonter. Leur perspective se réduit à une vigoureuse dénonciation et demande aux représentants politiques capitalistes de prendre des mesures urgentes. Au mieux, ils embrassent la perspective d’un « Green New Deal » (GND), comme le fait un grand nombre d’activistes environnementaux aux États-Unis et en Europe.

Aux États-Unis, cette politique est défendue par certains candidats du Parti démocratique américain, comme Bernie Sanders, Elizabeth Warren ou l’autoproclamée « démocrate socialiste » Alexandria Ocasio-Cortez. Le GND, soutient celle-ci, permettrait, entre autres mesures, aux États-Unis de passer à 100% d’énergies renouvelables d’ici 10 ans, tout en promettant de créer des millions d’emplois liés à la construction d’un réseau électrique efficace sur l’ensemble du pays, basé sur les énergies renouvelables.

Cette perspective, cependant, n’attaque, sur aucun terrain, les marges du capitalisme américain. Au contraire, il préconise que les super-entreprises multimilliardaires qui sont responsables de la crise écologique actuelle soient celles qui développent l’infrastructure nécessaire pour sortir de la catastrophe. Et qu’elles disposent pour cela de subventions publiques conséquentes [12].

L’idée qui sous-tend la perspective du « Green New Deal » ou d’initiatives similaires telles que l’Agenda 2030 du développement durable promu par les Nations Unies est que, si les gouvernements des principaux pays industrialisés du monde prennent conscience de la situation, ils pourront, avec les entreprises, adopter des mesures drastiques en faveur de la préservation de l’environnement. De cette façon, un véritable « développement durable » pourrait être atteint.

L’utilisation récurrente de ce concept est intéressante. Cette idée est ancrée dans la littérature politique, économique et environnementale depuis des décennies. Il est même utilisé par des secteurs de gauche qui se disent anticapitalistes. Bien qu’il existe de nombreuses définitions du concept, la plus caractéristique a été formulée pour la première fois en 1987 : « C’est le développement qui satisfait les besoins actuels de la population sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs » [13].

Cependant, dans le capitalisme, ni les « besoins actuels » ni ceux des générations futures ne sont satisfaits. Le « Green New Deal » et l’Agenda 2030, qui sont aujourd’hui les références d’une bonne partie des forces politiques « progressistes », reposent sur l’idée que le « capitalisme durable » est possible et que les entreprises qui ont généré la crise actuelle peuvent devenir les sauveurs de la planète. Comme on peut le voir, l’idée elle-même est une contradiction dans les termes.

Au contraire, selon sa propre logique prédatrice, le capital peut même bénéficier de la catastrophe écologique. Et en réalité, c’est déjà le cas. Comme le soutient Saito dans une perspective écosocialiste, « le capital peut continuer à profiter de la crise économique actuelle en inventant de nouvelles opportunités commerciales, telles que la géo-ingénierie, les OGM, le marché du charbon et les assurances contre les catastrophes naturelles. Ainsi, les limites naturelles ne conduisent pas à l’effondrement du système capitaliste. Il peut se maintenir en dépassant ces limites, mais le niveau actuel de civilisation ne peut exister au-delà de certaines limites. C’est pourquoi un engagement sérieux contre le réchauffement de la planète exige en même temps une lutte consciente contre le capitalisme » [14].

Pour Saito « le changement climatique ne met pas fin au régime du capital ». Dans tous les cas, « ce système social est susceptible de survivre et de continuer à accumuler du capital même si une crise écologique augmente la destruction de la planète et produit une masse écologique prolétarienne dans le monde entier. Les riches survivraient probablement, alors que les pauvres sont beaucoup plus vulnérables aux changements climatiques, bien qu’ils soient beaucoup moins responsables de la crise que les riches. Les pauvres n’ont pas les moyens technologiques et financiers de se protéger des conséquences catastrophiques du changement climatique. La lutte pour la justice climatique comporte clairement une composante de lutte des classes, comme ce fut le cas du colonialisme britannique en Irlande et en Inde. »

Stratégie révolutionnaire, hégémonie ouvrière et perspective socialiste

Face à une perspective absolument irrationnelle à laquelle le capitalisme nous conduit, la nécessité de mesures drastiques et urgentes est évidente. Mais ceux-ci ne peuvent dépendre de la bonne volonté des gouvernements des puissances impérialistes qui sont les premiers responsables de la catastrophe actuelle, ni des « nouveaux agendas progressistes et verts » promus par les grandes sociétés du « capitalisme vert ».

Il est nécessaire de prendre en main le présent et l’avenir avec une planification rationnelle de l’économie mondiale. Ou comme dirait Marx, par « l’introduction de la raison dans la sphère des relations économiques ». Et cela n’est possible que si la planification de l’économie est entre les mains de la seule classe qui, de par sa situation objective et ses intérêts matériels, a intérêt à éviter la catastrophe : la classe ouvrière.

Face à la farce des sommets climatiques et aux promesses d’un « capitalisme vert » mené par les sociétés impérialistes, il est nécessaire de déployer un programme de transition visant à une réorganisation rationnelle et écologique complète de la production, de la distribution et de la consommation.

Pour cela, il est nécessaire de réorganiser radicalement le secteur de l’industrie énergétique, en expropriant les grandes entreprises pour placer les entreprises sous la direction démocratique des travailleurs, eux-mêmes sous la supervision des comités de consommateurs. De cette manière, le secteur de l’énergie pourrait évoluer vers une restructuration complète permettant une transition rapide vers l’utilisation exclusive de sources d’énergies renouvelables et orientée vers les besoins de la population.

Dans le même temps, il est nécessaire de nationaliser toutes les entreprises de transport, ainsi que les grandes entreprises automobiles, sans compensation et sous le contrôle des travailleurs, afin de parvenir à une réduction massive de la production automobile et des transports privés, tout en développant les transports publics à tous les niveaux.

La nationalisation sous gestion directe des travailleurs de tels secteurs ne serait qu’un premier pas vers la nationalisation de tous les secteurs économiques stratégiques des villes et des campagnes, dans le but d’établir un plan général véritablement durable.

Ce programme, ainsi que d’autres mesures de nécessité impérieuse, sont évidemment impossibles à réaliser dans le cadre du capitalisme. Sa mise en œuvre nécessite une stratégie révolutionnaire qui confronte de manière décisive les responsables de la catastrophe. Les jeunes qui aujourd’hui descendent dans les rues du monde entier pour lutter pour la « justice climatique » sont mis au défi d’avancer dans la radicalisation de leur programme afin de poser la seule perspective réaliste pour faire face à la catastrophe : promouvoir la lutte de classe pour mettre fin au système capitaliste et mettre toutes les sources de l’économie mondiale entre les mains des ouvriers.

En même temps, la classe ouvrière doit se positionner comme le sujet hégémonique de cette lutte, prenant ces revendications non seulement dans le cadre de la lutte pour améliorer leurs conditions de vie, mais aussi pour apporter une solution progressiste à la crise de civilisation que le capitalisme prépare.

C’est la condition préalable indispensable pour établir un système basé sur la solidarité, qui restaure le métabolisme naturel entre l’homme et la nature, qui réorganise la production sociale en respectant les cycles naturels sans épuiser nos ressources, tout en mettant fin à la pauvreté et aux inégalités sociales. Ce système n’a pas d’autre nom que le socialisme.

Face à la catastrophe environnementale qui nous menace, le dilemme posé par Rosa Luxemburg, « socialisme ou barbarie », prend une nouvelle signification. A la veille du carnage impérialiste de la première guerre mondiale, la grande révolutionnaire polonaise avertissait que « si le prolétariat n’accomplit pas ses tâches en tant que classe, s’il ne réalise pas le socialisme, nous allons tous nous écraser ensemble dans la catastrophe ». Pour Luxemburg, le socialisme n’était pas un destin prédéterminé par l’histoire ; la seule chose « inévitable » était l’effondrement provoqué par le capitalisme et les calamités qui accompagneraient ce processus si la classe ouvrière ne parvenait pas à l’empêcher.

Dans notre siècle, les conditions de l’époque des crises, des guerres et des révolutions sont réactualisées, confrontant la classe ouvrière et les peuples du monde non seulement à la barbarie de la guerre et de la misère, mais aussi à la destruction potentielle de la planète. Un projet véritablement écologique qui évoque la catastrophe environnementale à laquelle nous conduit le capitalisme ne peut l’être que s’il est anticapitaliste et que la classe ouvrière est disposée subjectivement à en constituer l’avant-garde et à l’imposer par la lutte révolutionnaire.