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Economie politique de la reproduction sociale I : travail et capital

féminisme

Lien publiée le 2 août 2019

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https://www.revolutionpermanente.fr/Economie-politique-de-la-reproduction-sociale-I-travail-et-capital

Les débats ouverts récemment au sein du féminisme ont permis de voir le retour de bon nombre d’élaborations qui, auparavant, traitaient de la relation entre le capitalisme et le patriarcat. Des auteures de référence aux points de vue différents comme Judith Butler, Silvia Federici, Nancy Fraser ou Rita Segato ont trouvé de nouveaux publics.

Article publié initialement en castillan le 14 juillet 2019 dans Ideas de Izquierda, le supplément théorique, politique et culture de La Izquierda Diario, membre du réseau international du même nom dont fait partie Révolution Permanente.

Traduction : Flo Balletti

Les débats ouverts récemment au sein du féminisme ont permis de voir le retour de bon nombre d’élaborations qui, auparavant, traitaient de la relation entre le capitalisme et le patriarcat. Des auteures de référence aux points de vue différents comme Judith Butler, Silvia Federici, Nancy Fraser ou Rita Segato – pour ne citer que quelques exemples récents dans notre pays [l’Argentine, note du traducteur] – ont trouvé de nouveaux publics. Ont également été revalorisées les idées de celles qui, issues du marxisme, ont apporté leur contribution à ces discussions, bien qu’elles soient moins connues dans notre pays. [1]

Parmi celles-ci, se trouve notamment la théorisation de Lise Vogel dans Marxism and the oppression of women [Le marxisme et l’oppression des femmes], initialement publié en 1985 et récemment réédité [2], où l’auteure, reprenant le débat sur le travail domestique développé dans les années 1970, a élargi la discussion en mettant l’accent sur la reproduction sociale, c’est-à-dire sur les mécanismes selon lesquels le capitalisme traite de la reproduction de la force de travail sur laquelle se base l’exploitation. C’est pour cela que, bien que différentes dénominations aient été proposées, ce champ de débats est connu comme « théorie de la reproduction sociale » (TRS).

Il est logique de revenir au livre de Vogel, tout d’abord, parce qu’il est reconnu par d’autres auteures de la TRS comme le fondateur de cette perspective, avec laquelle elles dialoguent dans leurs élaborations. Deuxièmement, parce qu’il inclut un récit critique de la tradition marxiste qui l’a précédée, apportant des débats qui, avec des spécificités historiques et régionales à prendre en compte, sont encore valables aujourd’hui, alors que le féminisme traverse une étape de définitions stratégiques après plusieurs années de persistance du mouvement des femmes au niveau international.

Dans ce premier article, nous traiterons de la façon dont Vogel analyse la relation entre le travail reproductif et productif dans le capitalisme. Dans un deuxième article, nous nous concentrerons sur la façon dont Vogel voit la relation entre le capitalisme et le patriarcat. L’ampleur et la complexité du débat ne peuvent que faire de ces articles une première approche, qui sans aucun doute, en nécessitera de nouvelles ainsi que des contrastes avec d’autres élaborations.

Productif et non-productif

Rosa Luxemburg a dit dans un discours de 1912 qu’au sein du capitalisme, seul le travail qui permet au capitaliste de s’approprier la plus-value est considéré comme "productif" : De ce point de vue, la danseuse de music-hall, dont les jambes portent les profits dans les poches de son employeur, est une travailleuse productive, alors que toutes les femmes travailleuses et les mères courage entre les quatre murs de leur maison sont considérées improductives. Cela peut paraître brutal, mais cela correspond exactement à la brutalité et à l’irrationalité de notre économie capitaliste actuelle. [3]

Luxembourg évoque très tôt un axe du débat dans les années 1970 sur le travail domestique, qui tentait d’aborder le problème depuis des bases matérialistes. Mais Vogel, reconnaissant ces élaborations comme un point de départ nécessaire, cherche des alternatives à certaines des positions apparues dans ce débat, comme celles de Selma James, Dalla Costa ou Federici, qui, même en utilisant des catégories issues du marxisme, l’avaient condamné pour avoir "ignoré" la productivité sociale de ce travail. Pour elles, le travail domestique, comme le travail effectué dans les usines, produisait aussi de la plus-value ; le fait que le marxisme le considère comme "improductif" était une façon de le dévaloriser par rapport au travail producteur de marchandises pour le marché, montrant au mieux l’étroitesse de sa perspective, sinon une tournure machiste de l’auteur du Capital.

Vogel, et après elle différentes auteures de la TRS, vont soulever que la notion de travail productif utilisée par Marx n’a rien à voir avec un manque de reconnaissance de son importance ; caractériser le travail domestique comme "non productif", c’est le définir comme un travail qui n’est pas directement contrôlé par un capitaliste et ne peut donc être réduit au "temps de travail socialement nécessaire" ; c’est en ce sens strict, et non moral, que Marx le définit ainsi dans Le Capital.

Ce n’est pas un travail moins lourd, moins complexe ou moins nécessaire. Cette caractéristique est, précisément, une conséquence de l’organisation de la production capitaliste, qui divise deux sphères, le "privé" (où traditionnellement se développe le travail reproductif) et le "public" (la production et la circulation capitalistes) comme l’avait souligné Federici, et Marx avant elle. D’autre part, Vogel souligne une contradiction intrinsèque dans cette forme d’organisation de la reproduction : si, d’une part, le capital a besoin d’incorporer davantage de secteurs à la relation salariée pour obtenir davantage de plus-value, il bénéficie aussi du maintien d’une partie du travail reproductif dans la sphère privée, sans le rémunérer.

Le travail domestique n’est pas l’unique travail que Marx considérera comme "non productif". Mais le travail reproductif dans son ensemble est le travail qui ne reproduit rien de moins que la "force de travail" – le concept que Marx lui-même a souligné comme sa plus grande contribution conceptuelle à la compréhension du fonctionnement du capitalisme – sur l’exploitation de laquelle le système est basé. Expliquer comment il fonctionne dans le mode de production capitaliste ne constitue donc pas un problème mineur pour comprendre comment le système fonctionne. Vogel maintiendra en effet que c’est insuffisamment développé dans Le Capital : bien que sa méthodologie et certaines de ses catégories au sujet du travail salarié sont des points d’appui pour dénouer cette pelote, Marx ne le fait pas jusqu’au bout dans son livre.

A la lecture de Vogel, Le Capital (ainsi que d’autres œuvres antérieures de Marx et Engels) n’est pas exempté de certaines simplifications et naturalisations typiques de l’époque à laquelle ces textes furent écrits [4]. Cependant, Marx est celui qui développe théoriquement les prémisses d’une compréhension du fonctionnement de la reproduction dans le système capitaliste, qui ne peut être séparée de la structure de la production sociale dans son ensemble.

Il s’agit donc de savoir comment le Capital gère les contradictions que suppose cette forme d’organisation de la reproduction sociale, et pourquoi ce travail reproductif est "genré", c’est-à-dire "réservé" principalement aux femmes, avec toutes les conséquences qu’il a de dissimulation, de sous-évaluation et de subordination avec lesquelles il est socialement évalué.

Production et reproduction

Vogel part avec la prémisse selon laquelle le travail reproductif ne produit pas de marchandises avec valeur d’échange mais, quoi qu’il en soit, avec des valeurs d’usagepour la consommation directe [23].

Il faut prendre en compte, en premier lieu, que Marx met au centre les formes de reproduction de la force de travail comme quelque chose d’essentiel à la reproduction du capital lui-même par rapport aux "lois" de la gestion démographique spécifiques du capitalisme : les moyens de générer et de maintenir une population travailleuse excédentaire, une "armée de réserve" [71/2], comme contre-tendances à la baisse tendancielle du taux de profit généré par le même système, en introduisant des développements qui lui permettent d’augmenter la plus-value, non pas par l’extension de la journée de travail (plus-value absolue), mais en réduisant les heures pendant lesquelles le travailleur produit l’équivalent du nécessaire pour reproduire sa force de travail (plus-value relative).

D’autre part, Vogel souligne, à la suite de Marx, que le niveau de consommation n’est pas déterminé une fois pour toutes, mais qu’à chaque époque il rencontre ses limites "historiques et morales" dans la lutte des classes [69]. Cependant, malgré cette définition, qui va à l’encontre de tout objectivisme économiciste, il y aurait dans Le Capital, certains passages faisant référence au développement des formes du travail salarié, une sorte de "naturalisation" de la division du travail par genre et par âge qui se modifierait lorsque le mécanisme introduit par les capitalistes dans la production permettrait d’intégrer femmes et enfants au travail salarié, éliminant une "division préalable" qui ne se discute pas et qui, par conséquent, est prise pour acquise [65] [5].

Pour analyser alors le problème de la reproduction de la force de travail, l’auteure va se concentrer sur la catégorie de "consommation individuelle" qu’elle emprunte au Capital, bien que certaines fois, elle apparaisse traitée comme la consommation d’un seul travailleur, et d’autres, comme la consommation du travailleur et de tous ceux qui vivent, chez lui, de son salaire, sans être salariés, comme les enfants, les personnes âgées ou la femme au foyer (67/8).

Pour Vogel, doivent être prises en compte deux questions méthodologiques sur la façon dont Marx insère cette définition, car il essaie de rendre compte de la façon dont est extrait le surtravail dans la production.

- La consommation individuelle se définit depuis le point de vue du capital, dans la mesure où ce qui intéresse le capitaliste est la consommation productive [67/68], c’est-à-dire, comment le salaire versé à la force de travail est converti en moyen de survie pour que le travailleur puisse reprendre son travail le lendemain.

- Marx présuppose un travailleur individuel ayant à charge un ménage pour examiner les variations possibles de la valeur de la force de travail lorsqu’un autre membre entre dans la relation salariale, toujours au profit du capital (par exemple, lorsque davantage de membres de cette famille entrent sur le marché du travail, bien que le volume des salaires reçus par ce ménage augmente, la quantité de surtravail incorporée par le capitaliste augmente davantage ; ou, pour remplacer les tâches que ce membre du ménage ne pourra plus accomplir en allant travailler, une part importante du salaire devra être consacrée au marché et bénéficier à un autre capitaliste) [70].

Pour citer Marx, la consommation individuelle « consomme des produits comme moyens de subsistance pour la vie de l’individu » ; tandis que la consommation productive consomme des produits « comme moyens seulement à travers lesquels le travail, la force de travail de l’individu vivant, peut agir » [145]. Le problème, pour Vogel, c’est que Marx « en dit peu sur le travail effectif qu’implique la consommation individuelle. Il y avait là un terrain d’activité économique essentiel à la production capitaliste qui fait pourtant défaut dans l’exposition » [181/2].

Vogel soutient que, contrairement à d’autres modes de production – comme la servitude, où le serf travaille la terre du seigneur avec une division spatiale et temporelle entre le surtravail (ce qui est travaillé pour le seigneur) et le "travail nécessaire" (ce qui est travaillé pour lui-même) – dans le capitalisme apparaît une division au sein du travail nécessaire [150], qui aurait désormais deux composantes :

« La première, discutée par Marx, est le travail nécessaire qui produit une valeur équivalente aux salaires. Cette composante, que j’ai appelée la composante sociale du travail nécessaire, est indissolublement liée au surtravail dans le processus de production capitaliste. La deuxième composante du travail nécessaire, profondément voilée dans le récit de Marx, est le travail non rémunéré qui contribue au renouvellement quotidien et à long terme des porteurs de la marchandise force de travail et de la classe ouvrière dans son ensemble. J’appelle cela la composante domestique du travail nécessaire, ou travail domestique. Défini de cette manière, le travail domestique devient un concept spécifique du capitalisme et sans une assignation fixe de genre [192]. »

Si cette définition explique mieux la nature du travail reproductif, il reste à expliquer pourquoi, si en principe il n’y a pas d’assignation de genre nécessaire, les femmes finissent par être largement responsables de cette partie domestique du travail.

Le travail reproductif genré

Vogel soutient que dans la consommation individuelle, dans le quotidien de la force de travail, le travail est également utilisé pour conserver les autres membres du foyer qui ne produisent pas [149/150], ce qui est aussi un travail nécessaire pour la reproduction du système. Au sein des formes de "gestion de la population" pour garantir la main-d’œuvre, la reproduction des futurs travailleurs n’est pas la seule dont se sert le capital : l’immigration est un autre exemple clair. C’est pourquoi Vogel insiste sur le fait que la famille ne doit pas être considérée comme le seul lieu de reproduction de la force du travail [147]. Mais la reproduction générationnelle est celle dans laquelle intervient la biologie [146], celle qui nécessite effectivement une division sexuelle du travail.

« Les femmes appartenant à la classe subordonnée ont donc un rôle particulier dans le remplacement générationnel de la force de travail. Bien qu’elles soient en même temps productrices directes, c’est leur rôle différentiel dans la reproduction de la force de travail qui est à l’origine de leur oppression dans la société de classe [150]. »

Ce n’est donc pas la division du travail au sein de la famille elle-même qui fournit la base de la subordination des femmes [153 et 177], mais cette forme spécifique de reproduction générationnelle. La cause en est que pendant la grossesse et l’allaitement, la capacité de travail des femmes diminue, et elles ont besoin d’être « entretenues » pendant cette période. En principe, ceci est préjudiciable pour l’employeur individuel, qui voit augmenter une partie du "travail nécessaire" du travailleur au détriment du surtravail qu’il peut s’approprier. Mais en même temps, et cela semble être une contradiction intrinsèque au système, cela profite à la classe capitaliste dans son ensemble en lui assurant une force de travail future [151].

Ici, il est nécessaire d’introduire une autre considération pour aborder les caractérisations de Marx. A des fins analytiques, il examine d’abord comment la production fonctionne au niveau du capital social global comme s’il était unique, mais pour avancer vers des déterminations plus concrètes, il est nécessaire de considérer les multiples capitaux qui l’intègrent – ce qu’il fait dans le volume III du Capital –, c’est-à-dire la classe capitaliste dans son ensemble. De la même manière, on pourrait dire que, de manière analytique, la reproduction peut être considérée du point de vue d’un travailleur et de son foyer, mais pour rendre compte de la reproduction du système, il est nécessaire de prendre la classe ouvrière dans son ensemble. A ce niveau, Vogel ajoutera :

« ... la reproduction de la force de travail devient une question de reproduction de la classe ouvrière en tant que telle. Le terme classe ouvrière est parfois interprété comme ne désignant que les travailleurs salariés. Avec cet usage, par exemple, seules les femmes actives seraient considérées comme des femmes de la classe ouvrière. Cette catégorisation abandonne tous ceux au sein de la force du travail qui ne travaillent pas – les enfants, les personnes âgées et handicapées, ainsi que les femmes au foyer – à un vide théorique en-dehors de la structure de la classe. Ici, la classe ouvrière sera considérée comme une force du travail salariée passée, présente et potentielle, comprenant tous ceux dont l’entretien dépend des salaires mais qui entreront plus tard ou ne peuvent pas entrer sur le marché du travail salarié. En tout temps, il comprend la force du travail active, l’armée industrielle de réserve et cette portion de la surpopulation relative qui n’est pas incorporée à l’armée industrielle de réserve [166]. »

Revenons à l’argument de Vogel. Dans le capitalisme, le travail est social, mais il est organisé comme une entreprise privée, ce qui permet au capitaliste de s’approprier le surtravail en payant non pas ce qui est réellement travaillé en une journée, mais seulement la valeur de reproduction de cette force du travail par le biais d’un salaire. L’expropriation des moyens de production qui oblige le travailleur à vendre sa force de travail, l’oblige aussi à se reproduire au travers du marché, en achetant avec son salaire des biens qui ne sont pas consommables en soi, c’est-à-dire qui nécessitent un autretravail qui semble aussi s’éclipser sous la forme de relation salariale.

« Dans les sociétés capitalistes, dans pareil cas, la relation entre le surtravail et le travail nécessaire a deux aspects. D’une part, la démarcation entre le surtravail et la composante sociale du travail nécessaire est obscurcie par le paiement des salaires dans le processus de travail capitaliste. D’autre part, la composante domestique du travail nécessaire devient dissociée du travail salarié, l’arène dans laquelle s’effectue le surplus de travail [158/9]. »

Il sera alors nécessaire de clarifier cette composante du travail nécessaire. Après Ira Gerstein et Paul Smith, Vogel soutiendra qu’il n’y a aucun type de plus-value dans ce travail domestique qui se réalise en vendant la marchandise force de travail mais, en tout état de cause, ce qu’il y a est un transfert de valeur :

« La norme du salaire familial – un salaire versé à un seul travailleur masculin suffisant pour couvrir la consommation de toute la famille – représente, pour Gerstein, un cas précis de la façon dont l’"élément historique et moral" affecte la détermination de la valeur de la force du travail. En d’autres termes, les normes salariales n’incluent pas seulement une certaine quantité et qualité de marchandises, elles impliquent également une certaine quantité et qualité de travail domestique [164]. »

Il convient toutefois de se demander si la caracteristique de genre du travail reproductif, qui maintient la moitié de l’humanité à une place subordonnée, peut s’expliquer seulement par la capacité de reproduction générationnelle des femmes. Giménez, qui coïncide dans les grandes lignes avec les thèses de Vogel et a travaillé avec elle, va apporter un autre élément spécifique du capitalisme, qui ne contredit pas Vogel mais élargit ses conclusions. La reproduction générationnelle s’inscrit dans un cercle vicieux : les conditions précaires des femmes au sein du travail salarié limitent leurs possibilités d’autonomie, ce qui les cantonne ensuite au travail reproductif domestique, renforçant ainsi l’isolement dans le privé qui renforce leur subordination, ce qui influence la précarité du travail salarié auquel elles ont accès, et ainsi de suite [6]. Mais, ajoute-t-elle, le capitalisme obscurcit aussi la nature économique du travail reproductif générationnel, le mystifiant « de telle sorte que seuls ses aspects biologiques ou idéologiques sont perçus (par exemple, le besoin d’un héritier pour perpétuer le nom de famille, ou la nécessité d’"immortalité", de "plénitude", etc). » [7].

Mais alors, pourquoi semble persister la subordination des femmes dans le capitalisme, un système qui a radicalement modifié les conditions matérielles de production-reproduction, rendant ces mystifications nécessaires ? Lise Vogel y dédie une bonne partie de son livre, et nous y consacrerons le prochain article.

Notes de bas de page

[1] En plus du livre de Lise Vogel que nous allons étudier ici, voir par exemple ceux de : Arruzza, Las sin parte [Les sans part], Barcelone, Sylone, 2010, réédité en 2015 ; Bhattacharya (ed.), Social Reproduction Theory [Théorie de la reproduction sociale], Londres, Pluto Press, 2017 ; Giménez, Marx, women and capitalist social reproduction [Marx, les femmes et la reproduction sociale capitaliste], Leiden-London, Brill, 2019.

[2] Chicago, Haymarket, 2013. Cette réédition comprend une annexe qui n’était pas dans la publication originale. Dans cet article, les références à cette édition se feront entre crochets afin d’indiquer la page correspondante.

[3] Cité dans Heather Brown, Marx on gender and the family [Marx sur le genre et la famille], Leiden-Boston, Brill, 2012, pp. 77/8. Sauf indication contraire, les traductions anglaises sont de l’auteure, retraduites en français par le traducteur.

[4] Heather Brown dans Marx on gender and the family (op. cit.) reprend les mêmes textes et en ajoute de nouveaux, coïncidant en certains points avec Vogel mais réinterprétant plusieurs des citations prises comme "naturalistes" du point de vue d’une définition de la nature non positiviste exposée dans les Manuscrits de 1844. A la lecture de Vogel, en revanche, on retrouve des échos althussériens, une influence que les théoriciennes de la reproduction sociale ne partagent pas toutes. Cependant, Vogel insistera pour critiquer les visions marxistes déterministes et fonctionnalistes auxquelles Althusser a été associé. Il est ici important de considérer le moment de l’énonciation : avec toutes les critiques que l’on pouvait lui faire, le premier Althusser que Vogel évoque peut aujourd’hui être considéré comme déterministe, mais il n’est pas apparu ainsi dans les années 70, où une partie de son attrait était de proposer une alternative aux visions économicistes. C’est probablement pour cela que Vogel peut être reprise par d’autres versions de la TRS qui s’inscrivent dans des généalogies du marxisme divergentes. Ces différents cadres conceptuels ne sont pas toujours explicites, bien qu’ils puissent être tracés dans ce qui est souligné ou délimité dans les différentes conceptualisations.

[5] Dans l’introduction de Ferguson et McNally à la réédition du livre de Vogel, il est interprété que la "naturalisation" de Marx se retrouverait dans des phrases telles que : « quand celle-ci se réfère à la manutention et à la reproduction de la classe ouvrière, les capitalistes peuvent tranquillement laisser cela à l’impulsion de l’auto-préservation et de la propagation. » Cette phrase fut motif à débat dans différentes versions de la TRS. Giménez fait valoir qu’outre une dénonciation politique selon laquelle le capital laisse les travailleurs à leur sort si son profit n’est pas menacé, c’est aussi une définition d’un mode de production qui suppose des travailleurs "libres" autonomes, avec lequel la production et la reproduction ne peuvent être "isomorphes" (Giménez, op. cit., p. 75). À notre avis, Vogel délimite plus précisément ce que Marx allait naturaliser : non pas la reproduction laissée hors du contrôle direct du capital, mais une division sexuelle du travail qui reste incontestable.

[6] Giménez, op. cit., pp. 77/78.

[7] Ibid, p. 148.