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Argentine. Après les «primaires» du 11 août, Macri sur le départ ?

Argentine

Lien publiée le 20 août 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://alencontre.org/ameriques/amelat/argentine/argentine-apres-les-primaires-du-11-aout-macri-sur-le-depart.html

Par Fabian Kovacik  (Buenos Aires)

La défaite cuisante du président Mauricio Macri face à Alberto Fernández non seulement lui a ôté presque toutes les chances d’emporter l’élection présidentielle du mois d’octobre, mais a aussi provoqué un chaos économique et financier dont il ne peut pas se dépêtrer. Les mesures annoncées à la hâte ne sont de nature à convaincre ni les entrepreneurs ni l’opposition.

Mauricio Macri (g.) et Alberto Fernández

Le président Mauricio Macri [qui était candidat présidentiel pour le Juntos por el Cambio] a téléphoné au gagnant des élections primaires (PASO: Primaires, Ouvertes, Simultanées et Obligatoires), Alberto Fernández, dans l’après-midi du mercredi 14 août. Par la suite, il a dû reconnaître une «éventuelle alternance au pouvoir». Cette suggestion, timide, de Macri prend toute sa signification à la lumière des déclarations faites à Brecha par des dirigeants du Frente de todos [dont le candidat à la présidence est Alberto Fernandez et la candidate à la vice-présidence Cristina Kirchner]. Ces dirigeants ont affirmé que les équipes techniques du gouvernement et celles du candidat kirchneriste (A. Fernández) se sont déjà mises d’accord sur la tenue de réunions régulières afin d’envisager une transition ordonnée le 10 décembre [le premier tour aura lieu le 27 octobre et le deuxième aurait lieu le 24 novembre, si une majorité absolue n’est pas obtenue en octobre].

L’appel téléphonique à Fernández a eu lieu à 14h30, presque 4 heures après le discours présidentiel, enregistré à la Quinta de Olivos (résidence présidentielle) au cours duquel le président a annoncé des mesures économiques afin de freiner la crise provoquée par la hausse du dollar, le matin du lundi 12 août. La monnaie étasunienne a bondi d’un seul coup de 46 pesos argentins à 60. Cependant, Macri s’est embourbé dans un jeu malhabile avec les entrepreneurs, preuve d’un pouvoir affaibli: il a annoncé le gel du prix de l’essence et du gaz mais les entreprises du pétrole ne l’entendaient pas de cette oreille. Donc, dans un premier temps, il a repoussé la publication du décret jusqu’à ce qu’un accord soit conclu avec elles. Finalement, au moment de boucler cette édition de Brecha, le gouvernement venait de décider d’appliquer la loi sur les approvisionnements – une norme de 1974 – et il annoncé que les prix en pesos de l’essence, du diesel et y compris du pétrole brut seraient gelés de force.

Le président Macri a annoncé aussi une prime exceptionnelle, pour les mois de septembre et octobre, de 2000 pesos (entre 30 et 35 euros) pour les salariés déclarés et les travailleurs informels, une augmentation des allocations familiales, des baisses des impôts sur les profits des entreprises, une série de moratoires fiscaux et de crédits aux petites et moyennes entreprises et la convocation, le 22 août, d’une ancienne institution réclamée par les péronistes et les syndicats: le Conseil national de l’emploi, de la productivité et du salaire minimum, une instance composée par des représentants des travailleurs «formels» (les syndicats), les chambres professionnelles et le gouvernement, avec l’objectif de discuter sur d’éventuelles augmentations de salaires.

A 17h15, devant la presse, le vainqueur des élections primaires du dimanche 11 août, Alberto Fernández, a commenté l’échange téléphonique de 15 minutes avec Mauricio Macri. «Je lui ai proposé quelques idées générales sur l’économie, mais il ne m’appartient pas de conseiller le président, par respect pour son poste», a dit celui qui, depuis l’annonce des résultats des élections, a manifesté une attitude indifférente par rapport au gouvernement. Dans les jours qui ont suivi les élections, la crise a éclaté et le cauchemar du défaut de 2001 est revenu dans la mémoire sociale. «Il faut tenir jusqu’au 10 décembre, c’est la date de la passation du pouvoir», a résumé Fernández.

Victoire écrasante

Le vendredi 9 août, les tendances publiées par les instituts de sondage, tant pour le compte du gouvernement que de l’opposition, indiquaient que Macri avait récupéré un point sur l’avantage de quatre points du binôme Fernández-Fernández du Frente de todos (FT). Les résultats des primaires (PASO), connus le dimanche 11 août vers minuit, ont mis à nu la mascarade montée par le gouvernement et les instituts de sondage. En effet, le binôme du FT a obtenu 47% des voix contre 32% pour Macri. Dans la bataille pour le gouvernement de la province de Buenos Aires, l’écart est encore plus important: Axel Kicillof et Verónica Magario (FT) ont obtenu 52% des voix contre 34% pour l’actuelle gouverneure de Buenos Aires, Eugenia Vidal, perçue jusqu’alors comme l’atout à utiliser par le macrisme étant donné ses bons scores précédents.

Verónica Magario et Axel Kicillof 

Le nombre de voix obtenues par le FT implique que, si la tendance du dimanche 11 août se maintient le mois d’octobre, ce groupement politique aurait encore plus de députés dans les assemblées des provinces, où gouverne déjà le péronisme. Le macrisme – qui a pour nom électoral Juntos por el Cambio – n’a gagné que dans la Capitale fédérale et dans la province de Córdoba; les 22 autres districts ont été emportés par le binôme présidentiel Alberto Fernández et Cristina Fernández. Dans sa percée, ce binôme a entraîné avec lui les listes des députés nationaux, ce qui implique que si le péronisme répète ces résultats dans deux mois et demi, il disposera de sa propre majorité au Sénat national et restera la première minorité à la Chambre des députés au moins jusqu’en 2021, date à laquelle la moitié de la Chambre basse et un tiers des 72 sénateurs nationaux seront renouvelés.

Passeport pour octobre

Au-delà de l’affrontement ponctuel entre Macri et Fernández, les résultats de dimanche ont laissé seulement six listes en course pour la présidentielle du 27 octobre, sur les dix qui ont été présentées. Consenso Federal, dirigé par Roberto lavagna, l’ancien ministre de l’Economie de Nestor Kirchner, a obtenu 8,6% des voix et est arrivé troisième. Le Frente de Izquierda y los Trabajadores-Unidad (Fit Unidad), qui regroupe la gauche trotskiste, avec le ticket Nicolas del Caño [PTS] et Romina del Plá [issue de PO], a obtenu la quatrième place avec 2,86%; le Frente Nos, de l’ex-militaire «cara-pintada» [militaires ayant organisé des soulèvements entre 1987 et 1990] Juan José Gómez Centurión et de la députée anti-avortement Cynthia Hotton [chrétienne conservatrice et libérale sur le plan économique], a atteint 2,64% sur la base de la campagne «Provida» et de ses foulards bleu ciel [pro-vida]; l’économiste ultralibéral José Luis Espert et son colistier, Luis Rosales, ont atteint 2,19% des suffrages et sont arrivés à la sixième place. Derrière sont restés le Nuevo Mas, dirigé par Manuela Castañeira, le Partido Autonomista de José Romero Feris, le Frente Patriota du nazi créole Alejandro Biondini, le Movimiento Vecinal, de Raúl Albarracín.

S’il devait y avoir un second tour le 24 novembre, Espert et Gomez Centurión soutiendraient Macri, tandis que Lavagna hésite et est courtisé par les deux premières forces politiques, sans avoir encore décidé. Le FIT, comme d’habitude, votera blanc. Aussi bien ceux qui sont dirigés par Lavagna que par Del Caño aspirent à obtenir des représentants au parlement national et aux parlements des provinces.

Taux de change incontrôlable

Le matin du dimanche 11 août, le portail de El Cohete a la Luna, un site d’information dirigé par le journaliste Horacio Verbitsky [dont le quotidien Pagina 12 a soutenu le kirchnerisme], a été le seul à anticiper un triomphe de Fernández «avec plus de dix points sur Macri». Et l’article, signé par Verbitsky lui-même, mettait en garde contre une éventuelle crise financière lundi.

D’après l’économiste Arnaldo Bocco, ancien directeur de la Banque centrale et l’un des économistes du Frente de todos, la dévaluation du lundi 12 août fut, «d’une part, la conséquence des défauts du modèle économique macriste, qui a négligé les facteurs internationaux, le déséquilibre budgétaire et la baisse des exportations, qui permettraient de générer des dollars «authentiques» [issus d’exportations et non pas d’opérations spéculatives sur le taux de change]. Le problème est que les secteurs de l’agriculture et de l’élevage ont fait de la rétention sur les revenus obtenus par leurs exportations. Et, d’autre part, la dévaluation a eu lieu parce que le gouvernement a décidé de ne pas intervenir, même s’il en a les outils pour le faire à travers la Banque centrale (BCRA).»

Selon A. Bocco, le choix du dimanche était inéluctable pour Macri et il sera impossible de retourner la situation en octobre. «Il reste la solution que la BCRA envisage, c’est-à-dire un régime de change flottant administré jusqu’en octobre pour assurer une transition ordonnée dans un scénario si fragile», a-t-il indiqué à Brecha. «Entre le vendredi 9 et le lundi 12 août, il y a eu des initiatives obscures de la part de la finance et des entreprises qui ont échafaudé sciemment le scénario du lundi. Ce sont des manœuvres qui devront faire l’objet d’une enquête dans le détail», a-t-il déclaré. «Cependant, je ne vois pas de scénario de défaut si le gouvernement agit avec prudence», a-t-il ajouté.

L’analyse de l’opposition sur cet effondrement financier est évidemment en contradiction directe avec celle du gouvernement. Lundi 12 août, en dépit des résultats des élections, Macri avait fait un discours destiné à la presse dans lequel il s’était montré agressif et incompris. «C’est le kirchnerisme qui doit faire son autocritique pour éviter ces problèmes, car le marché se préoccupe du résultat des élections et il réagit comme il l’a fait aujourd’hui. Je le dis depuis trois ans et demi: si l’on vote en fonction du passé, ces choses arrivent», a-t-il dit, menaçant, comme s’il était un candidat en campagne. La pluie de critiques suscitée par ses paroles a même conduit quelque 500 intellectuels et artistes à se prononcer contre «le terrorisme financier» et pour «le respect de la décision des urnes» par l’intermédiaire d’une pétition qui a été relayée sur les réseaux sociaux et des sites web, et qui a déjà récolté plus de 45’000 soutiens.

Une issue pas trop inconnue

Le même jour, Macri a convoqué le ministre de l’Economie, Nicolas Dujovne, et le président de la BCRA, Guido Sandleris, afin de discuter sur la façon de freiner la montée du dollar. Dans le cadre de son accord avec le Fonds monétaire international, le gouvernement vend chaque jour 60 millions de dollars pour soutenir le peso jusqu’aux élections, mais lundi après-midi, quand le billet vert a atteint les 60 pesos, la BCRA a vendu 50 millions supplémentaires. Malgré les mesures adoptées mardi et mercredi, le cours du dollar ne s’est pas arrêté et a continué sa trajectoire jusqu’à atteindre en milieu de semaine 62 pesos, bien que la BCRA ait déversé sur le marché 248 millions de dollars. Alors que le gouvernement accuse l’opposition de l’instabilité économique et de la mauvaise réputation sur les marchés internationaux, le Frente de todos attaque le gouvernement: «Jusqu’au 10 décembre, il y aura une forte instabilité des différentes variables de l’économie, car aucun des acteurs économiques ne fait confiance à ce gouvernement. Les exportateurs spéculent dans le but de liquider les devises issues de l’exportation [d’autant plus que Macri a prolongé sans limites le délai de transfert et le change des devises obtenues par les exportateurs], les travailleurs resteront vigilants car toute mesure économique peut anéantir leur pouvoir d’achat et les entrepreneurs du secteur industriel comprennent, également, que les biens intermédiaires nécessaires ne disposent d’aucun repère avec un dollar si volatil», a affirmé à Brecha Claudio Lozano, économiste de la Centrale des travailleurs argentins (CTA) et dirigeant d’Unité Populaire, l’un des 19 partis qui composent le Frente de todos.

Les allers-retours de Macri ne sont pas de nature à créer une telle confiance parmi les acteurs économiques. En 2003, Néstor Kirchner est devenu président après que Carlos Menem a décidé de renoncer au second tour. Bien que FT ne songe pas à cette possibilité, plus rien ne sera comme avant dimanche. Le président a déjà tacitement admis l’échec de son projet, reconnu la fatigue sociale causée par ses politiques et il s’est montré accablé par sa défaite. En un seul jour, il a changé son attitude agressive envers les électeurs [dans un premier temps, il a attaqué les électeurs] en instaurant un dialogue avec son rival. Le vertige provoqué par le dérèglement financier peut avoir de nouvelles conséquences économiques, mais aussi de nouvelles décisions inattendues de la part d’un président dont le pouvoir et la légitimité se sont effondrés en moins de deux jours. (Article publié dans l’hebdomadaire uruguayen Brecha, en date du 16 août 2019; traduction par Ruben Navarro)