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"L’écologie, comme le libéralisme, touche nécessairement tous les domaines"

décroissance écologie

Lien publiée le 21 août 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.marianne.net/debattons/entretiens/l-ecologie-comme-le-liberalisme-touche-necessairement-tous-les-domaines

Vincent Cheynet, directeur du journal "La Décroissance" revient avec nous sur le positionnement politique de l'écologie.

"La décroissance s'oppose à la fois à la gauche dans son refus de l'idéologie progressiste et à la droite par son anticapitalisme", affirmait Vincent Cheynet dans Décroissance ou décadence (Le Pas de Côté, 2014). Pour le directeur de publication du journal La Décroissance, l'écologie politique rend obsolète les clivages politiques traditionnels. Alors que l'écologie a le vent en poupe et que son positionnement sur l'axe gauche/droite fait débat, Vincent Cheynet revient avec nous sur cette question.

Marianne : Pensez-vous que le clivage gauche-droite soit encore pertinent pour penser les problèmes majeurs de notre époque ?

Vincent Cheynet : Au journal La Décroissance, je travaille avec des personnes qui se revendiquent comme "de gauche" et dont je respecte totalement le positionnement. Ce sujet est bien sûr interminablement rebattu. Il est éminemment piégé car les catégories de "gauche" comme de "droite" renvoient pour certains à un système de valeurs dont la remise en cause ne peut que relever de l’hérésie. En 1966, le génial précurseur de la décroissance, Jacques Ellul, avait intitulé un chapitre de son Exégèse des nouveaux lieux communs (Table ronde, 2004) : "Qui dit : “ni droite ni gauche” est de droite".

Je voudrais inviter le lecteur à lire cet ouvrage lumineux dont je ne peux citer ici qu’un extrait : "Il est révélateur de ce que cet homme de gauche est le plus politisé. Il récuse par là toute possibilité d'échapper au politique, il fait donc du politique une valeur dernière, religieuse. Cet homme de gauche ne croit pas à la religion : il l’a en effet remplacé par la politique, il y apporte la même ferveur, la même intransigeance, le même souci de la défense de l'Église et des dogmes (c’est-à-dire le parti et la doctrine). L’homme de gauche est un croyant, et c'est pourquoi il apporte aussi dans le combat politique une dureté, une vigueur que ne peut y apporter celui pour qui la politique a une valeur toute relative, ne débouche sûrement pas sur des lendemains qui chantent, et se qualifie comme une activité parmi d’autres."

Droite et gauche sont en fait les deux faces d’un même "ruban de Möbius" ; celui du libéralisme, soit la matrice de l'idéologie de l'illimité : la croissance, le développement ou encore l’atomisation de la société.

Mais, dans le domaine du terrorisme intellectuel, la sottise est sans limite. J’ai rencontré un décroissant qui braillait sans cesse : "Qui dit : “ni droite ni gauche” est de droite donc d’extrême droite car la frontière entre la droite et l’extrême droite est bien entendu un leurre." Ce genre de rhétorique stalinienne fait peur aux plus impressionnables, ceci bien que ceux qui les professent soient régulièrement les mêmes qui finissent par basculer à l’extrême droite, à l’image pendant la dernière campagne des européennes l’ex-élu "antifa" du parti de Jean-Luc Mélenchon, Andréa Kotarac, passé au parti de Marine Le Pen.

Qu’est-ce qui distingue, aujourd’hui, la gauche de la droite ?

La droite était décrite comme conservatrice en matière culturelle et libérale en matière économique. La gauche inversement. La droite porterait le capitalisme tandis que la gauche soutiendrait l’idéologie progressiste. Mais ces schémas sont largement dépassés tant l’une et l’autre sont désormais acquises au progressisme et au capitalisme. Comme l’a bien décrit Jean-Claude Michéa, droite et gauche sont en fait les deux faces d’un même "ruban de Möbius" ; celui du libéralisme, soit la matrice de l'idéologie de l'illimité : la croissance, le développement ou encore l’atomisation de la société.

L'impératif écologique peut-il représenter une occasion pour dépasser le clivage gauche-droite ?

En tous cas une large majorité des précurseurs de la décroissance : George Orwell, Dwight Macdonald, Ivan Illich, Christopher Lasch, etc., l’affirmaient. Je vous cite une seul exemple avec Bernard Charbonneau qui écrivait en 1990 : "Surtout, la mobilisation par la Gauche et la Droite stérilise la pensée et l’action publique au moment où un changement sans précédent engage la France et la planète dans une mutation radicale. Tout se passe comme si ce bipolarisme, comme autrefois le monolithisme religieux, avait pour fonction de bloquer l’état social – dans ce cas le changement – sur les rails, en divertissant ses membres des questions qu’il leur pose." (Le Changement, Le Pas de côté, 2013).

Nous ne visons pas à la décroissance infinie, ce qui serait aussi stupide évidemment que la croissance sans limite, mais à ouvrir le débat : croissance ou décroissance ?

Dans cette perspective, je pense que le schéma droite-gauche constitue les ornières du productivisme libéral, surtout qu’il empêche de penser, mais cette dernière idée réjouit, bien sûr, les imbéciles. "Plutôt que continuer à fantasmer des oppositions en partie éculés et en tout cas de plus en plus inaptes à analyser les bouleversements en cours (droite/gauche, progrès/réaction, réforme/révolution, etc.), il nous semble urgent de prendre conscience que beaucoup d'orientations prétendument subversives mènent en fait droit à l'abîme", observaient les auteurs Cédric Biagini, Guillaume Carnino et Patrick Marcolini (Radicalité : 20 penseurs vraiment critiques, L'échappée, 2013). Je les rejoins.

Quelle autre structuration du champ politique vous semble plus pertinente pour traduire les oppositions ?

Bien évidemment, cette critique du clivage gauche-droite sera immédiatement assimilée par des esprits stalinoïdes à celle d’Emmanuel Macron, ou de sa représentation verte, Nicolas Hulot. La logique libérale conduit à effacer tout clivage pour réduire la société à une simple entreprise. À l’inverse, la dialectique est au cœur de la croissance. Nous ne visons pas à la décroissance infinie, ce qui serait aussi stupide évidemment que la croissance sans limite, mais à ouvrir le débat : croissance ou décroissance ? Voilà un vrai clivage dont le système médiatique refuse de débattre. On comprend bien pourquoi au vu des intérêts qu’il sert.

Le Rassemblement national demeure "le Parti de la bagnole".

Existe-t-il une écologie de droite ? "L'écologie intégrale", défendue par le pape François dans Laudato Si' mais aussi certains catholiques, en est-elle une ?

Ceux qui pensent que la marchandisation de la reproduction, la PMA et la GPAsont un combat de gauche, ou simplement pour l’égalité, sont les plus parfaits idiots utiles du capitalisme libéral. Ils devraient commencer par lire Le Meilleur des Mondesd’Aldous Huxley pour s’affranchir de leurs réflexes conditionnés par les grands médias. De fait, ils constituent une sorte de "garde rouge" du capital. Ils sont le fer de lance du libéralisme afin de marchandiser le cœur de notre humanité : la reproduction.

Ainsi, par exemple, Yannick Jadot a fait campagne à la présidentielle de 2017 sous le slogan "PMA pour toutes" (avant de se retirer au profit de Benoît Hamon - NDLR), soit la promesse cauchemardesque de faire rentrer l’intégralité de reproduction dans le big business pharmaco-clinique. Entre son apologie des TGV, de l’aviation ou des voitures électriques, on se demande d’ailleurs bien ce qu’il reste d’"écolo" au représentant de l’écologie institutionnelle. L’écologie, comme le libéralisme d’ailleurs, touche nécessairement tous les domaines. Si intégral ne signifie pas intégrisme, cela relève de l’évidence.

Que pensez-vous de la théorie de “l’écologie des populations” défendue par Hervé Juvin, élu au Parlement européen sur la liste du Rassemblement national ?

Depuis longtemps, je suis, avec difficulté, le parcours sinueux d'Hervé Juvin. Dans notre numéro de février 2015, cet essayiste patron d’un cabinet de consulting à la Défense a même eu l’honneur de notre chronique "écotartufe". "On se demande si ses convictions sont sincères ou si elles ne tiennent pas davantage lieu de pillage marketing pour flairer l’air du temps", écrivions-nous à son sujet. Car, en le lisant, on observe qu’il a souvent dit tout et son contraire. Ainsi, dans le premier opus de sa série de livres, M. Juvin écrivait : "L’Occident [...] devra surtout poursuivre le défi qu’obscurément, depuis la Renaissance, il s’est donné à lui-même, nous nous sommes donné à nous-mêmes : achever le projet libéral, celui de l’homme que ne détermine plus ni la nature, ni les éléments, ni quoi que ce soit qui lui soit extérieur ; faire de l’homme le dieu créateur de son monde, du monde partagé, désirable, et aimable." (Produire le monde, pour une croissance écologique, Gallimard, 2008).

Du transhumanisme à la Yuval Noah Harari, Luc Ferry ou Laurent Alexandre, soit évidemment l’antithèse de la décroissance. "Certainement pas ! On ne commence certainement pas la décroissance", clamait-il d’ailleurs, en 2014, interrogé à ce sujet. Le Rassemblement national demeure "le Parti de la bagnole". Pour ou contre la civilisation de l’automobile ? Voilà un clivage qui vaut bien celui entre la gauche et la droite.