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Droit aux vacances. Les clivages sociaux ne prennent pas de congés

Lien publiée le 22 août 2019

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https://www.anti-k.org/2019/08/21/droit-aux-vacances-les-clivages-sociaux-ne-prennent-pas-de-conges/

L’Humanité, 21 août 2019

Le renoncement aux vacances estivales touche de plus en plus les classes populaires confrontées au coût exponentiel des prestations touristiques. Au risque de voir se creuser encore le fossé entre ceux qui bénéficient des bienfaits des vacances et les autres.

Dites-moi si et où vous partez cet été et je vous dirai à quelle catégorie sociale vous appartenez ! L’enquête « Les Français et les vacances : quelles inégalités ? », publiée en juillet par la Fondation Jean-Jaurès, est venue rappeler que les Français des classes populaires et ceux des milieux plus aisés ont un rapport aux vacances tout à fait différent. Si nos concitoyens restent tous très attachés aux congés estivaux, 65 % d’entre eux ont dû s’en priver pour des raisons financières au cours des cinq dernières années. Un taux de renoncement devenu la norme dans les milieux modestes. Mais qui est aussi en forte progression au sein des classes moyennes inférieures, touchées à 48 % par les difficultés à s’offrir des vacances.

Un sentiment de déclassement

« Le niveau d’accès aux vacances constitue une véritable ligne de faille sociologique au sein de la classe moyenne, un véritable décrochage de la classe moyenne qui se scinde en deux », précise David Nguyen, directeur conseil à l’Ifop et corédacteur de l’enquête. « Les vacances constituent un standard devenu inaccessible pour une partie de la classe moyenne qui se reconnaît dans les gilets jaunes », explique-t-il. 61 % des sondés qui se revendiquent proches de ce mouvement affirment, en effet, avoir dû renoncer souvent à leurs vacances pour des raisons financières. « C’est le taux de renoncement fréquent le plus élevé relevé par l’enquête, poursuit l’analyste. Cela alimente une frustration, un sentiment de déclassement et donc une colère sociale. »

Serait-ce la fin de d’une époque ? En tout cas, celle de la démocratisation du tourisme, qui a permis aux classes moyennes depuis les années 1960 et 1970 d’accéder au dépaysement, n’est clairement plus une priorité. L’idée même de s’évader de son quotidien semble réservée aux privilégiés. Alors que 45 % des ouvriers considèrent les vacances comme « un repos bien mérité », seuls 34 % des classes aisées les voient ainsi. Pour ces dernières, elles restent synonymes de « découverte d’un nouveau pays ou d’une nouvelle région ». Au contraire, 33 % des classes populaires privilégient un « endroit pas cher », critère qui ne fait pas partie des trois premiers évoqués par les plus nantis.

Les inégalités d’accès aux vacances ont été accentuées par le phénomène de « montée en gamme » de nombreuses destinations touristiques, autrefois lieux de mixité sociale et facilement accessibles aux classes populaires. Ceci est particulièrement frappant en ce qui concerne les campings, où les terrains nus où l’on pouvait planter sa tente pour un prix modique sont remplacés par des bungalows équipés, forcément plus onéreux. Aujourd’hui, 34 % des campings sont des 4 et 5-étoiles, rebaptisés pour l’occasion « hôtels de plein air » et disposant d’une large gamme d’équipements et d’animations. Les campings municipaux classés 1 ou 2 étoiles sont de plus en plus rares. Près de 1 000 d’entre eux (soit 50 000 emplacements) ont disparu en vingt ans.

Un phénomène qui touche d’autres lieux de vacances propices à la mixité sociale : les colonies de vacances. On parle désormais de « minicamps » ou « stages découvertes », souvent onéreux et donc davantage accessibles aux classes aisées : 47 % des cadres y envoient leurs enfants, contre seulement 25 % des ouvriers. L’enquête montre que les colos connaissent une profonde désaffection. Si 4 millions d’enfants y partaient chaque année au début des années 1960, ils ne sont plus que 1,5 million aujourd’hui. « Il y a des explications sociologiques à cette baisse : les parents divorcés se repartissent la garde des enfants et, du coup, chacun d’entre eux les a pendant un mois, ce qui n’implique plus de les envoyer en colo comme solution de garde, d’autant que les grands-parents sont souvent plus en forme et plus disponibles pour s’en occuper qu’il y a cinquante ans », explique Louise Fénelon Michon, responsable vacances enfants et ados à l’Union nationale des associations de tourisme et de plein air.

L’impact positif des départs en colo

Pourtant, c’est le refus de leurs enfants d’aller en colonie qui est majoritairement avancé par les parents qui ont répondu à l’enquête. Un fait que Louise Fénelon Michon ne conteste pas mais qu’elle tient à nuancer : « Si, comme le montre l’étude, les enfants qui ne sont jamais partis en colo refusent majoritairement de le faire, 90 % de ceux qui en ont fait l’expérience veulent repartir ! » Elle pointe un problème d’accompagnement vers les colos. « Beaucoup de municipalités et de comités d’entreprise ont renoncé à entretenir leur patrimoine et à proposer une politique sociale en matière de vacances. En revanche, certaines communes comme Gentilly, Bagneux ou Vitry ont inscrit le droit aux vacances dans leur projet éducatif de territoire, et favorisent un accès effectif aux colos. »

Cela passe par l’organisation de classes vertes durant l’année, ou même de miniséjours en lien avec les centres de loisirs et des animateurs connus des familles et qui ont leur confiance. « Si les pouvoirs publics mesuraient mieux l’impact positif à long terme de ces départs en colo, cela deviendrait une évidence de se donner les moyens de les promouvoir. La colo, c’est l’apprentissage du vivre-ensemble, du partage. C’est aussi l’expérience de la mobilité. Après avoir eu l’habitude de quitter son foyer, l’enfant, devenu grand, n’hésitera pas à aller faire des études loin de chez ses parents ou à changer de région pour trouver du travail », plaide Louise Fénelon Michon.

Les auteurs de l’étude avancent plusieurs pistes de réflexion pour améliorer la situation : des aides personnalisées pour partir en vacances, la promotion des colonies jusqu’à l’école, des avantages fiscaux pour aider aux départs en colonie, l’amélioration de la diffusion des « chèques-vacances »… Le tout nécessitant une « remobilisation » de l’État, des collectivités locales et des partenaires sociaux. Pour faire de ce droit une réalité pour tous.

Eugénie Barbezat et Samuel Rey