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Sexisme. Hôtesses : la souffrance en souriant

féminisme

Lien publiée le 22 août 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.anti-k.org/2019/08/21/sexisme-hotesses-la-souffrance-en-souriant/

Alternatives économiques, 20 août 2019

Dans ces métiers très féminins, le recours croissant à la sous-traitance plonge la profession dans la précarité. Régulièrement victimes d’harcèlements sexuels, voire d’agressions, les hôtesses sont contraintes à l’omerta. Mais celle-ci commence enfin à se briser. 

La saison de trop. Après le dernier Mondial de l’automobile, en octobre 2018, Iris*, 25 ans, a choisi de dire « stop ». Depuis ses 19 ans, elle est employée comme hôtesse par l’agence Florence Doré, qui vante sur son site internet son « professionnalisme » et son « exigence ». L’expérience d’Iris témoigne d’une toute autre réalité : aucune progression salariale en l’espace de six ans et une grande « fatigue ».

Fin juillet, des militantes féministes allemandes ont lancé une pétition en ligne appelant à la fin de la « tradition sexiste » des hôtesses de podium sur le Tour de France, qui a recueilli à ce jour plus de 30 000 signatures. Marlène Schiappa a apporté son soutien à cette initiative. La secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes voit « quelque chose d’un peu suranné » dans cette tradition de la Grande Boucle. Cet épisode n’est que la partie émergée de l’iceberg, car c’est tout une profession précarisée qui s’est accoutumée à ces pratiques.

90 à 95 % de femmes

Au Mondial de l’automobile, les journées peuvent atteindre quatorze heures pour une rémunération de 11,50 euros brut de l’heure, raconte Iris. Les pauses sont rares. Le soir, quand elle se couche, la jeune femme sent des « crampes horribles » et « le sang qui redescend dans les jambes à force d’être restée debout »« On a une position à tenir, on ne peut même pas s’appuyer sur une jambe, on ne peut pas bouger de notre poste. Ça devient une torture au bout d’un moment », s’indigne-t-elle. Chez les hôtesses, le salon se termine souvent par des « crises de larmes ».

« On ne peut même pas s’appuyer sur une jambe, on ne peut pas bouger de notre poste. Ça devient une torture au bout d’un moment. »

Dans les grands événements comme dans les halls des entreprises, les hôtesses sont à l’image d’Iris : de sexe féminin dans leur écrasante majorité – entre 90 et 95 % pour l’accueil en entreprise –, souvent étudiantes, jeunes actives ou artistes.

Alors que dans les années 1950, les premières hôtesses d’accueil étaient embauchées directement par les entreprises, au tournant des années 2000, la sous-traitance est devenue la norme. City One, Pénélope, Phone Régie… les agences du secteur totalisent en 2015 un chiffre d’affaires de 500 millions d’euros, d’après le Syndicat national des prestataires de services d’accueil (SNPA). C’est ce phénomène en pleine expansion que décrit la sociologue Gabrielle Schütz dans son enquête Jeunes, jolies et sous-traitées : les hôtesses d’accueil (La Dispute, 2018). Elle estime que deux tiers des entreprises de plus de 250 salariés externalisent l’accueil dans leurs locaux. Une configuration d’emploi qui a conduit, selon la chercheuse, à une « dévalorisation professionnelle » des hôtesses. Parmi les sept agences mentionnées par les témoins, aucune n’a donné suite à nos demandes d’interview.

Prolongement de l’activité domestique

En entreprise, les missions d’Iris sont toujours à mi-temps, « pour ne pas avoir à payer de pauses repas », croit-elle savoir. « Ils prennent une hôtesse le matin, de 8 heures à 14 heures, on ne quitte pas son poste à part pour aller aux toilettes », raconte-t-elle. « À 14 heures, une autre arrive et reste jusqu’à 19 heures ou 20 heures. » Cédric Girard, 41 ans, est « hôte d’accueil multisites » depuis 2002 et s’occupe du secteur à la CGT : « Depuis dix ans, on constate une forte montée des temps partiels. Quand on pose la question à la direction, on nous explique que ce sont les clients qui l’imposent. En réalité, c’est plus rentable de mettre deux temps partiels qu’un temps complet, surtout avec les réductions Fillon qui permettent de défiscaliser sur les bas salaires. »

Les tâches des hôtesses dépassent souvent le seul accueil : on leur demande de réserver des salles de réunion, des voyages ou des voitures, de réparer la photocopieuse, de distribuer le courrier voire de faire de la comptabilité ou des ressources humaines. Lors de son année d’hôtessariat à plein-temps, plusieurs fois, Octavie*, 28 ans, se plaint du « degré de responsabilité » qui lui est dévolu. Réponse de son agence : « Il faut se plier au client, s’adapter à certaines demandes qui peuvent être parfois extra-fiche de poste. » Gabrielle Schütz y voit un « prolongement de l’activité domestique »« On demande à l’hôtesse de boucher les trous de l’organisation pour que celle-ci fonctionne. C’est un rôle d’appoint plus qu’un rôle défini », observe la sociologue.

Une hôtesse attend les participants du salon Intermat, salon international des travaux publics, du bâtiment et de l’industrie des matériaux. Romain Gaillard – REA

Malgré cette exigence croissante de polyvalence, les perspectives d’évolution hiérarchique sont nulles et le salaire reste désespérément cantonné au Smic, dans un contexte très concurrentiel. En tant que délégué syndical, lorsque Cédric Girard essaie de négocier les salaires chez Securitas, la réponse est toujours la même : « On ne touche pas au salaire, sinon on met en danger la compétitivité. »

Une obsession de l’apparence

Pour assurer le roulement des salariées, les recrutements sont expéditifs et prennent souvent la forme d’un entretien collectif. « Clairement, ils prennent sur le physique », estime Agathe, 24 ans, qui a fait un mois comme hôtesse en août 2015. Alors même que l’emploi est considéré comme non qualifié, les candidates bien diplômées, maîtrisant l’anglais et ayant une bonne « présentation » partent avec une longueur d’avance. Pendant son enquête, Gabrielle Schütz a constaté la valorisation d’une « féminité bourgeoise et policée », en particulier dans l’événementiel.

À Roland-Garros ou au Mondial de l’automobile, les clients demandent aux hôtesses de venir aux castings « bien habillées, en robe et talons, maquillées », raconte Iris. Sur un site d’EDF, son responsable annonce à Yasmine, comédienne de 23 ans, qu’il ne lui a pas trouvé de remplaçante parmi les hôtesses venues aux « journées d’essai ». « Je ne peux pas prendre des hôtesses si moches », lui confie-t-il. « J’ai des clients prestige, j’ai envie que la personne qui vient servir le café soit agréable à regarder. »

« Je ne peux pas prendre des hôtesses si moches. J’ai des clients prestige. »

Cette obsession de l’apparence peut se répercuter sur la santé des hôtesses. Laura, 26 ans, se souvient de sa mission en hiver au siège de Veolia Eau : « C’était un grand hall, la porte n’arrêtait pas de s’ouvrir, il caillait. On a voulu négocier avec notre chef hôte de mettre un pull sous notre veste. C’était impossible. » L’été, à Roland-Garros, il arrive que des hôtesses fassent des malaises à force de rester toute la journée sous le soleil, vêtues de collants. « Il y a des problèmes d’ambiance thermique qui conduisent à des arrêts maladie – fragilités respiratoires, angines, bronchites à répétition – qui ne sont jamais reconnus comme des maladies professionnelles », rapporte Cédric Girard.

À cela s’ajoute les dérapages racistes. Maya*, 30 ans, raconte que sa cheffe hôtesse dans un bâtiment ministériel l’a alpaguée pour lui parler de sa collègue au patronyme arabe, un « nom pas très français »« Elle sous-entendait que ce n’était pas très chic, que dans un ministère il fallait du standing. » Dans une autre agence, il y aurait « plus de diversité au niveau de la couleur de peau » quand les sites sont éloignés de Paris, contrairement aux soirées dans le centre de la capitale où « c’est plus sélectif », affirme Héloïse*, 23 ans. « Ils veulent des personnes plus grandes, plus fines, plus blanches. »

Harcèlement et « main au cul »

En événementiel, les « mains aux fesses » sont monnaie courante. Au Parc des Princes, Violette*, 30 ans, est chargée d’expliquer aux supporters comment « mettre leur billet dans la fente »« Dès que tu dis fente à un mec un peu limité d’esprit, ça se passe mal. C’était horrible, je l’ai fait deux fois puis j’ai arrêté », relate-t-elle. Au Mondial de l’automobile, « c’est connu que les hôtesses d’accueil se font emmerder », affirme Iris. Le client leur recommande en amont « d’appeler la sécurité » si un visiteur leur met une « main au cul »« C’est hypocrite de leur part », grince la jeune femme de 25 ans. « La position dans laquelle ils nous mettent invite à ça. Ce n’est pas pour rien qu’ils prennent des filles jeunes. »

Dans son agence, le syndicaliste Cédric Girard a eu à gérer des cas de harcèlement sexuel : « Très souvent, les personnes n’ont pas voulu faire les procédures. Elles ont préféré démissionner ou changer d’affectation, par peur de se faire mal voir par l’entreprise. » « Le fait d’être prestataire rend vulnérable », renchérit Gabrielle Schütz. « C’est beaucoup plus compliqué d’aller se plaindre, on risque plus facilement de sauter. »

Sur les réseaux sociaux, l’omerta commence toutefois à se briser. Hôtesse en entreprise depuis six ans, Alice* a lancé dans la foulée de la polémique sur le Tour de France le compte Twitter et le hashtag #PasTaPotiche, sur lequel les hôtesses sont invitées à témoigner anonymement. Sa pétition en ligne, qui a dépassé les 20 000 signatures, demande à la ministre du Travail Muriel Pénicaud de lancer un « plan de lutte contre le sexisme » dans ce secteur.

TIMOTHÉE DE RAUGLAUDRE

*Les prénoms ont été modifiés.