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Êtes-vous prêt pour la décroissance ?
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Le contre G7 qui se tient ces jours-ci à Hendaye propose de remettre en cause notre course effrénée à la croissance économique et même d’en finir avec le capitalisme. Ce thème de la décroissance revient régulièrement dans le débat public mais qu’est-ce cela veut dire ? Quelles seraient les conséquences concrètes sur notre mode de vie ?
Le monde est-il à l’aube d’une récession durable ? Depuis quelques semaines, les principales bourses mondiales pâlissent, la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine bat son plein et l’Europe voit son marché unique ébranlé par un Brexit qui n’en finit plus, une Italie en panne et une Allemagne qui interroge. Les spécialistes présagent de mauvais temps pour la croissance...
Mais la question de la croissance économique ne se pose pas uniquement à court terme, sous l’effet d’une conjoncture capricieuse. Des économistes alertent sur l’affaissement durable de la croissance, et ce, bien avant l’arrivée de Trump ou du référendum sur le Brexit. Le charbon, l’électricité ou la reconstruction post-guerre avaient créé un boom économique. La révolution numérique tant annoncée peine à jouer le même rôle que l’électricité ou le charbon.
Décroissance subie ou voulue ?
Le monde moderne est-il arrivé au terme de son développement ? Certains économistes, comme l’américain Robert Gordon, y croient et posent la question de l’après croissance. Ou en d’autres termes : comment gérer la décroissance ? D’autres économistes, souvent de gauche, vont plus loin et… souhaitent la mise en place de la décroissance. Cette volonté rompt avec notre idée d’un progrès et d’une croissance infinie. Mais alors pourquoi s'infliger un tel supplice ? Pour sortir de l’ornière climatique, répondent-ils. Des mouvements altermondialistes aux économistes en passant par le Pape François, nombreux sont ceux qui réclament de freiner la croissance pour préserver notre planète.
“Nous savons que le comportement de ceux qui consomment et détruisent toujours davantage n’est pas soutenable. (…) C’est pourquoi l’heure est venue d’accepter une certaine décroissance”, avait écrit François dans son encyclique Laudato publiée en 2015.
Les prévisions scientifiques pessimistes s’accumulent, et précisent chaque fois davantage les contours de l’impasse climatique qui nous attend. Les partisans de la décroissance osent alors la question : ira-t-on jusqu’à l’extinction de l’espèce pour préserver la sacro-sainte croissance ? Pour se justifier, ils citent des civilisations précédentes qui ont causé leur perte. On pense à l’effondrement de la population de l’Île de Pâques après qu’elle a surexploité son l’environnement et s’est retrouvée sans ressources.
La croissance creuserait les inégalités
A notre époque, des mouvements croient dur comme fer à la fin au chaos prochain et décident de s’éloigner du monde civilisé. Le New-York Times rappelle dans un article récent que ce phénomène, qui porte le nom de “survivialisme”, a le vent en poupe, en particulier chez les ultra-riches. Certains millionnaires ou milliardaires de la Silicon Valley se constituent des habitats protégés, soit des bunkers dans leur pays ou des refuges sur une île isolée du Pacifique. L’urgence climatique parvient à convaincre des groupes aussi différents que des altermondialistes d’extrême gauche et des milliardaires de la Tech de renoncer - du moins dans l’avenir - à la croissance et au progrès. Ce changement de braquet est inédit quand on sait que sur ces trois derniers siècles, le capitalisme a réussi à entraîner le monde dans un développement sans précédent et a sorti des milliards de personnes de la pauvreté. Pourquoi soudainement s’en détourner et prôner la décroissance ?
Pour les économistes, une seule réponse : depuis plusieurs années, la croissance n’est plus synonyme de progrès. De Thomas Piketty, un économiste classé à gauche et auteur de “Capital au XXIe siècle” à Marc de Scitivaux, d’obédience libérale et fondateur des Cahiers verts de l’économie, tous s’accordent à dire que la mondialisation a creusé les inégalités à l’intérieur des pays développés.
Même en France, qui fait partie des pays les plus redistributifs, la part des revenus captée par les 10% les plus riches a augmenté plus rapidement que celle captées par les 40% les plus pauvres :
Face à cet accroissement des inégalités, doublé du défi climatique, des mouvements remettent au goût du jour les thèses de la décroissance économique popularisées dans les années 70. “La décroissance appelle à sortir de la production infinie pour retrouver le sens de la mesure”, a déclaré l’économiste Serge Latouche, chantre de la décroissance en France, dans une interview au journal Le Monde. Son idée paraît simple : remettre en cause le mantra du Fordisme et son “produire toujours plus” en augmentant toujours plus les échelles de production et la division mondiale du travail qui permettent de fabriquer le moins cher possible.
Baisser qu’une partie du PIB
Produire moins pour protéger la planète, cela s’entend. Produire moins en dégradant le niveau de vie devient plus compliqué à faire admettre par les populations. Car faire décroitre le PIB revient à baisser le pouvoir d’achat, martèlent les spécialistes. “Les revenus perçus par la population représentent environ 60% de la croissance du PIB”, note Nicolas Bouzou, un économiste libéral. “Une décroissance, c’est donc une perte de pouvoir d’achat.”
De l’autre côté, entendez plutôt à gauche, les arguments fusent aussi : “Nous n’appelons pas à baisser purement et simplement le PIB”, précise Mireille Bruyère, maîtresse de conférences en sciences économiques à l'université de Toulouse Jean Jaurès, chercheuse au CNRS et membre des Économistes atterrés, un groupe critique à l’égard de la croissance. “Il faut regarder dans les détails quels sont les indicateurs nuisibles pour l’homme et la planète qu’il convient de baisser. Je pense par exemple à l’extraction des matières premières ou à la productivité du travail.” L’idée en filigrane est que la croissance de ces indicateurs se traduit en croissance économique mais pas dans celle du bien-être des personnes.
A-t-on atteint la limite anthropologique ?
Pour pouvoir baisser ces indicateurs sans toucher au pouvoir d’achat, certains militent à développer des secteurs pourvoyeurs d’emplois. Giorgos Kallis, professeur d’économie écologique à l’université autonome de Barcelone pense qu’on pourrait compenser la perte de croissance, en partie grâce à une fiscalité verte, à l’arrêt des subventions aux industries polluantes ou à une redistribution plus importante, via le revenu universel de base.
“D’un côté, développons par exemple les circuits courts et l’agriculture paysanne. De l’autre, limitons un secteur comme la mode qui multiplie le nombre de collections, au détriment de l’environnement et de la qualité des vêtements, qu’on finit par jeter au bout d’un an”, ajoute Mireille Bruyère. Pour cette économiste qui est aussi au Conseil scientifique d'ATTAC France, l’homme et le capitalisme ont atteint une limite écologique, une limite de ressources, “une limite anthropologique”.
L’homme est-il face à un obstacle insurmontable ? Faux, répond le libéral Marc de Scitivaux. “Cette théorie de la limite ignore totalement un élément fondamental qui se vérifie depuis deux milles ans : la capacité de l’esprit humain à innover et découvrir des choses nouvelles pour créer de nouvelles activités.”
Réduction de la population en question
Pour lui, l’économie a la vertu de s'autoréguler et le problème des ressources est un faux problème : “Quand une ressource devient rare, son prix augmente. Un mécanisme se met alors en route avec la recherche de substituts. Il cite l’exemple du pétrole dont la raréfaction a entraîné le développement d’énergies propres comme les éoliennes ou polluantes comme le gaz de schiste. “Nous ne sommes jamais face à la disparition d’une ressource fondamentale”, ajoute Marc de Scitivaux.
La question des ressources n’est pas la seule divergence qui oppose anti et pro-croissance. Réduire la taille de la population fait aussi partie des pistes avancées par les premiers. Produire mieux pour moins de personnes serait un des moyens de limiter l’exploitation de la nature. Un argument faisant écho à certains jeunes qui affichent fièrement leur volonté de ne pas procréer pour protéger la planète.
Pour les seconds, il s’agit là aussi d’un faux problème : outre le fait que faire accepter une diminution de la natalité est très compliqué, “voir l’augmentation de la population comme un problème n’est pas nouveau”, fait remarquer Nicolas Bouzou. “Même avant les théories de Malthus, on pensait que le passage à plus d’un milliard d’êtres humains serait insurmontable. Nous sommes aujourd’hui plus de 7 milliards.” Comme à l’accoutumée, les économistes issus des différentes écoles s’affrontent, tous avec leur armée d’arguments.
PAR FLORENT VAIRET