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En Côte d’Ivoire, une forêt menacée est devenue une réserve naturelle modèle

Côte-ivoire écologie

Lien publiée le 29 août 2019

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En Côte d'Ivoire, une forêt menacée est devenue une réserve naturelle modèle

Longtemps menacés par l’exploitation forestière et le braconnage, le mont Nimba et la réserve qui l’entoure, en Afrique de l’Ouest, sont aujourd’hui une référence en matière de préservation de la nature, grâce à la volonté des riverains. Une protection rare dans un pays qui a déforesté 90 % de ses forêts en 50 ans.

  • Mont Nimba (Côte d’Ivoire), reportage

Le sergent Bamba est formel : « Ce sont des crottes de chimpanzés. » L’agent paramilitaire de l’Office ivoirien des parcs et des réserves (OIPR) inscrit minutieusement la géolocalisation de sa trouvaille sur son petit GPS. « Comme ça, on sait où ils sont passés, on voit jusqu’où il peuvent vivre. Là, je dirais que c’est la mère et son petit », juge-t-il. Plusieurs fois par semaine, aidé de son porteur Berté, le sergent, comme une vingtaine d’autres agents, crapahute dans la jungle montagneuse de la réserve du mont Nimba. Machette en main, il crée son chemin entre les lianes et les immenses troncs des fromagers centenaires qui jalonnent la forêt primaire, avec pour mission de recenser les traces d’animaux, les nids des singes et les peaux de kokotas, les fruits jaunes mangés par les chimpanzés, les « rois du Nimba ».

Cette réserve du bout du monde est l’une des dernières zones épargnées par les plantations, les constructions et la déforestation

Proche de la nature, le sergent avance toujours le revolver à la taille, au cas où les rares braconniers tenteraient de rapporter de la viande de singe au village. « Il n’y en a presque plus, les braconniers sont passés de l’autre côté, en Guinée ou au Liberia », assure fièrement l’agent. Le lieu est peut-être aujourd’hui le plus préservé du pays. Dans cette réserve du bout du monde, les visiteurs sont rares, pas plus de quinze par an. Interdite aux touristes, elle est l’une des dernières zones épargnées par les plantations, les constructions et la déforestation. « Dans la réserve, on ne touche presque à rien, il n’y a aucune activité et on ne dépose pas les déchets, au risque de contaminer les animaux. On préfère que les visiteurs creusent un trou et mettent tout à l’intérieur », indique-t-il, en enterrant une peau de banane.

Pahon Berté, le porteur des guides de l’OIPR avec le nécessaire pour cuisiner et dormir dans la jungle.

À cheval sur le Liberia, la Guinée et la Côte d’Ivoire, la réserve naturelle fait partie depuis 1992 du patrimoine mondial en péril de l’Unesco. Un temps menacée par l’exploitation forestière et le braconnage, la réserve était hors du contrôle gouvernemental durant les crises politiques ivoiriennes. « De 2002 à 2011, les rebelles voulaient nous acheter en échange de motos pour exploiter la forêt, raconte Étienne Masi, le chef du village de Yaleu, élégamment habillé à l’entrée de la réserve. On a refusé à plusieurs reprises, on a été les premiers à la défendre, on est fiers de cette montagne, c’est notre héritage. »

Durant toute cette période, les villageois ont protégé autant qu’ils le pouvaient le Nimba. « Il faut les féliciter, dit le commandant Antoine Mobio, chef de la zone. Si elle est mieux conservée aujourd’hui, c’est grâce aux riverains, qui constituent le premier maillon de sécurité de la réserve. Ils ont compris le bien-fondé de cette conservation. » De mémoire de chercheur, l’anthropologue Vincent Leblan, de l’Institut de recherche et développement (IRD), n’avait jamais vu ça. « En Côte d’Ivoire, l’idée de nature n’existe pas en tant que telle et ne se traduit pas dans toutes les langues. Contrairement à ce qu’on peut observer en Afrique de l’Ouest, la réserve du mont Nimba a fait l’objet d’une appropriation et d’une patrimonialisation locale par les autochtones. »

Le sergent Bamba, ici dans la savane de la réserve.

En 2012, l’OIPR a repris le contrôle de la zone et entrepris des actions communes avec la Guinée pour une meilleure gestion de la réserve. Car, si la partie ivoirienne est en relatif bon état, le versant guinéen reste sous la menace du braconnage, de la déforestation et des cultures vivrières. Mais la collaboration s’est interrompue entre 2014 et 2016. La Côte d’Ivoire a fermé ses frontières avec la Guinée et le Liberia, touchés par l’épidémie Ebola.

L’Unesco insiste pourtant sur la nécessité de travailler de concert : « Le massif est menacé par les pressions accrues à proximité des limites du site, exercées par les populations riveraines. La surveillance du bien doit être assurée pour dissuader les pratiques qui portent atteinte à son intégrité. Aussi, les capacités des autorités de gestion doivent-elles être renforcées tant au niveau technique qu’à celui des ressources humaines et des moyens financiers. »

La luxuriante nature de la forêt primaire du Nimba, peuplée d’arbres centenaires notamment des fromagers et leurs impressionnantes racines.

En mars dernier justement, les premières patrouilles ivoiro-guinéennes ont vu le jour. « On planifie trois équipes de douze — six Ivoiriens, six Guinéens, des garde-forestiers et des gendarmes — pour que les informations soient claires et précises. Il faut que la réserve soit vidée des occupants illégaux et que nous puissions prendre des mesures de restauration sur les parties qui ont été détruites par les cultures », explique le colonel guinéen Papa Condé. Des avancées qui pourraient permettre au Nimba de faire partie du patrimoine mondial à part entière dans les mois à venir et ainsi bénéficier d’une meilleure image et de plus de financements. En effet, le lieu est aujourd’hui une référence de la conservation dans la région et pourrait donc sortir très prochainement de la liste du patrimoine mondial en péril.

Au camp de base, Pahon Berté et le sergent Bamba préparent le dîner. Au menu : poisson et sauce aubergine.

La réserve, financée côté ivoirien à hauteur de 50 millions de francs CFA (76.000 euros) par an sur cinq ans, est également le paradis des chercheurs. Vincent Leblan y a vécu en ermite à six reprises, intrigué par les chimpanzés du Nimba capables d’utiliser certaines pierres comme outils afin de se nourrir.

La réserve du mont Nimba est composée de plusieurs microclimats : forêts, savanes et végétations d’altitude

L’anthropologue tente à travers ses études de terrain d’expliquer la possible transmission technique entre animaux et humains. « Au sein de la réserve, il y a des ateliers de cassage utilisés par les chimpanzés, les humains ou les deux. Il peut donc y avoir transmission de compétences. Ce n’est pas forcément quelque chose de très intentionnel, mais en considérant comment les outils sont abandonnés au pied d’un arbre soit par un humain, soit par un chimpanzé, cela a pu motiver les individus de l’autre espèce à débuter la même activité », dit-il avec passion.

Pour le commandant Mobio aussi, le lieu est une merveille de la nature :

C’est le sanctuaire de la biodiversité dans notre pays. Ce sont des endroits qu’ont trouve rarement dans le monde et qu’il faut conserver pour les générations futures. »

Château d’eau de la région avec ses 50 sources, la réserve du mont Nimba est composée de plusieurs microclimats — forêts, savanes et végétations d’altitude —, ce qui favorise le développement d’une végétation tropicale luxuriante et d’espèces rares endémiques comme le minuscule crapaud vivipare, ou des insectes semi-aquatiques. Un joyau préservé dans un pays qui a pourtant perdu en 50 ans près de 90 % de ses forêts et la plupart de ses animaux sauvages.

La frontière est nette. À gauche l’entrée de la réserve protégée, à droite, le cultures des villageois.

Alphonse Zoda, 48 ans, en a tué quelques-uns. Chasseur de singe réputé durant des années, il est aujourd’hui l’un des deux écologues formés par les Eaux et Forêts. « On chassait parce qu’il n’y avait rien d’autre à manger ici. Compte tenu de la pauvreté, on tirait des gibiers avec nos fusils et nos couteaux, raconte-t-il. Ça fait quatre ans que j’ai arrêté. Aujourd’hui, je suis formé, j’ai travaillé sur les mammifères, les oiseaux et les carnivores. Je suis scientifique, c’est un statut important ! »

Pour éviter les tentations des autres villageois, l’OIPR s’est associée à deux ONG pour créer des activités génératrices de revenus. À l’entrée du très étendu village de Yaleu, une porcherie vient d’être inaugurée avec plusieurs enclos. Certaines truies grimpent joyeusement sur les murets du hangar, et les porcelets grognent en mangeant les herbes données par les employés de la future coopérative. « Avant, il y avait des gens qui ne comprenaient pas pourquoi on ne pouvait pas entrer dans la réserve. Il a fallu mettre ce genre de projets en place pour leur expliquer », dit Daniel Édouard Oto, le chef de la porcherie.

Depuis la savane à 1.000 mètres d’altitude, on aperçoit le point culminant ouest-africain, 752 mètres plus haut.

Grâce à cette bonne gestion, certains aimeraient faire du point culminant ouest-africain (1.752 m d’altitude) un lieu de randonnée pour les amoureux de la nature. Une équipe de passionnés a réalisé l’ascension en janvier dernier afin de créer le premier itinéraire balisé de la montagne. Une activité dont certains se méfient. « Si le Nimba devient touristique, il faudra au moins songer à la répartition des revenus de cette activité et à y associer la population », dit Vincent Leblan.