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Les gouvernements font partie du problème écologique, pas de la solution

décroissance écologie

Lien publiée le 30 août 2019

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Les gouvernements font partie du problème écologique, pas de la solution

Les couches dirigeantes, coupables d’inaction climatique ? C’est pire. Elles sont coupables et responsables de politiques farouchement volontaristes qui aggravent la crise. Il n’y a pas lieu de les implorer d’en faire plus, avertit l’auteur de cette tribune. Nous devons plutôt commencer, à la base de la société, à redéfinir nos modes de vie et nos besoins.

Matthieu Amiech est un des auteurs de La Liberté dans le coma. Essai sur l’identification électronique et les motifs de s’y opposer (La Lenteur, réédition au printemps 2019). Il participe aux activités du collectif Écran total, qui fédère des résistances à l’informatisation du travail et de la vie quotidienne.


Depuis la fin de 2018, l’idée que les gouvernements du monde entier n’en font pas assez pour lutter contre le réchauffement climatique est devenu une antienne du débat public. Cette idée est le fondement de l’action en justice lancée par d’importantes ONGécologistes sous le titre spectaculaire de l’« Affaire du siècle ».

Elle est le contenu du cri très médiatisé de la jeune Suédoise, Greta Thunberg. Elle est, par ricochet, le motif central des manifestations répétées de centaines de milliers de personnes, lycéens et étudiants notamment, qui « marchent pour le climat » dans les villes occidentales depuis décembre dernier.

Il faut remettre en cause cette société et les grandes institutions qui la dominent

La situation est étrange : de plus en plus de gens disent se battre « pour le climat », et s’adressent aux États pour leur demander de s’engager plus énergiquement dans cette « lutte ». Cette revendication signifie bien sûr qu’ils souhaiteraient qu’une puissance publique nous protège du despotisme des intérêts privés, qui nous mène à la catastrophe. Cela est légitime mais traduit un aveuglement sur le fonctionnement de la société actuelle et sur le rôle que l’État y tient. Il est temps de réaffirmer qu’on ne peut espérer infléchir ou limiter l’angoissante évolution climatique et écologique sans remettre en cause profondément cette société et les grandes institutions qui la dominent.

Le réchauffement climatique, comme l’extinction massive d’espèces vivantes, trouve sa source dans le fonctionnement ordinaire de la société industrielle : une société apparue il y a deux siècles, dont la logique de croissance, le besoin de mécanisation et la quête de puissance ne peuvent qu’aggraver les destructions déjà infligées au milieu naturel par certaines sociétés du passé [1].

Les gouvernements jouent un rôle central dans l’aggravation de la crise climatique.

Malgré les alarmes lancées par les esprits les plus lucides des années 1960-1970, la mise à sac de notre environnement vital s’emballe depuis quelques décennies et les gouvernements jouent un rôle central dans cet emballement — aussi bien quand ils nient la gravité de la situation que quand ils s’en inquiètent bruyamment. Le scandale écologique des énergies renouvelables est sans doute l’illustration la plus aboutie du fait que les États agissent déjà bien assez au nom du réchauffement : ils agissent dans le mauvais sens, celui de la poursuite de la croissance par des moyens diversifiés.

A-t-on déjà entendu un chef d’État dire qu’il faut freiner le développement du transport aérien ?

Mais plutôt que de nous attarder sur ce sujet déjà bien documenté [2], nous allons développer ici brièvement deux exemples encore plus simples, qui illustrent combien les États n’ont strictement aucune intention de « se réveiller » et de tenir compte de « l’urgence climatique » : le transport aérien et les technologies de l’information et de la communication (TIC).

Tout le monde sait aujourd’hui qu’en matière de transports, rien n’est pire pour les émissions de CO2 que l’avion. Or, a-t-on déjà entendu un chef d’État ou un ministre signaler l’urgence qu’il y a, de longue date, à freiner le développement du transport aérien ? Sûrement pas en France en tous cas. Les dommages infligés à la SNCF, ses salariés et ses infrastructures par les réformes successives (sous la houlette de la Commission européenne) depuis le début du siècle ont grandement contribué à promouvoir l’avion comme moyen de transport banal pour la population de l’Hexagone, ce qui est absolument aberrant d’un point de vue écologique.

La tendance est mondiale. L’Organisation de l’aviation civile internationale prévoit 6 milliards de passagers par an à partir de 2030 (contre 3,3 en 2014) ; et l’Association du transport aérien international annonce également un doublement du trafic mondial d’ici à 2036.

Qui songe à dire haut et fort qu’il faut arrêter net l’expansion d’internet et abandonner le mode de vie connecté ?

Quels responsables gouvernementaux ignorent ces anticipations ? Peut-on penser que ces chiffres relèvent d’une évolution spontanée des besoins et qu’ils n’incluent pas des politiques publiques volontaristes, partout dans le monde, pour accélérer ces tendances folles ? Comment parler d’inaction climatique, alors que les États vont dépenser des milliards d’euros pour qu’on puisse en arriver là d’ici 15 ou 20 ans, à partir d’une situation déjà intolérable ?

Il en est de même pour le développement des TIC, autre objet de consensus à fort dégagement de chaleur. Quel gouvernement, de nos jours, ne fait pas de l’innovation technologique sa priorité, afin de renforcer son économie nationale ? Quel État du monde ne prévoit pas et ne souhaite pas qu’il y ait dans un proche avenir (beaucoup) plus de citoyens équipés de smartphones et d’objets connectés chez eux, de services en ligne, de data centers capables d’assumer un trafic internet constamment en hausse ? Dans tous les pays industrialisés, les pouvoirs publics sont mobilisés pour informatiser les écoles, pour résorber les zones blanches sur leurs territoires, pour déployer des compteurs communicants, des antennes et des satellites permettant la diffusion d’ondes dites « 5G ».

Et c’est ainsi qu’un certain nombre de projections annoncent qu’internet va devenir le plus gros poste de consommation d’électricité dans le monde en 2030 : la quantité d’électricité consommée par le système informatique pourrait alors être équivalent à celle que l’humanité consommait au total en 2008 ! Là encore, impossible de considérer que la consommation d’électricité mondiale en 2008 était soutenable écologiquement. Mais du fait de l’action conjointe des États et des grandes compagnies privées de la téléphonie et du web, cette consommation explose. Même du point de vue de gens qui refusent la perspective d’une décroissance, qui pensent qu’une simple modération-inflexion de l’activité industrielle pourrait suffire, une telle explosion devrait paraître démente, criminelle… Mais non : qui songe à dire haut et fort qu’il faut arrêter net l’expansion d’internet et abandonner le mode de vie connecté, pour donner la moindre chance à une poursuite de la vie sur Terre ? Presque personne.

Nous devons réduire massivement notre usage des technologies informatiques

Pourtant, soyons clairs, accepter la multiplication des data centers, c’est encourager le réchauffement de l’atmosphère par les systèmes de climatisation qui assurent le refroidissement des milliers de serveurs où sont stockées les données du web. Accepter la prolifération des appareils électroniques, c’est cautionner les projets d’extraction minière de plus en plus destructeurs partout dans le monde pour approvisionner l’industrie du numérique en or, argent, lithium, yttrium, tungstène ou encore tantale.

Des systèmes de climatisation énergivores refroidissent des milliers de serveurs, où sont stockées nos données numériques.

Et comme il faut dépenser toujours plus d’énergie pour extraire, broyer, traiter et raffiner ces métaux, cela revient à cautionner le réchauffement de la planète [3].

Il nous faut donc regarder en face ce fait, effrayant, que les couches dirigeantes des États et de l’économie font ce qui est en leur pouvoir pour aggraver la situation écologique. Il n’y a vraiment pas lieu de les implorer d’en faire plus. Ce que nous avons à faire à la place est très difficile. Nous devons commencer, à la base de la société, à redéfinir nos modes de vie et nos besoins — par exemple, nous organiser ensemble pour réduire massivement notre usage des technologies informatiques. Et en même temps, il nous faudrait créer un nouveau type de pouvoir politique, reposant sur une implication du peuple et un contrôle par le peuple, un pouvoir qui cesse de promouvoir les grandes industries prédatrices et défende au contraire les populations contre ces entreprises.


[1] Des explications simples de ce lien se trouvent entre autres dans les ouvrages suivants : De la Misère humaine en milieu publicitaire. Comment le monde se meurt de notre mode de vie, (Éd. La Découverte, 2009), du groupe Marcuse ; Le Cauchemar de Don Quichotte. Retraites, productivisme et impuissance populaire, Éd. La Lenteur, 2013, de Matthieu Amiech et Julien Mattern ; Survivre et vivre. Naissance de l’écologie politique, anthologie coordonnée et introduite par Céline Pessis, Éd. L’Échappée, 2015.

[2] Voir à ce sujet les constats implacables de Frédéric Gaillard, Le Soleil en face. Rapport sur les calamités de l’énergie solaire et des prétendues énergies alternatives, Éd. L’Échappée, 2012 ; et de Jose Ardillo, Les Illusions renouvelables, Éd. L’Échappée, 2015.

[3] Dès 2010, dans Quel futur pour les métaux ? (Éd. EDP Sciences), Philippe Bihouix et Benoît de Guillebon estimaient entre 8 et 10 % la part de l’énergie totale consommée dans le monde engloutie par l’industrie minière. À ce sujet, voir la synthèse récente de Célia Izoard, « Les bas-fonds du capital » dans la revue Z no 12 (Guyane, trésors et conquêtes), automne 2018.