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    Le scandale de Strasbourg et les situationnistes

    Lien publiée le 31 août 2019

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    http://www.zones-subversives.com/2019/07/le-scandale-de-strasbourg-et-les-situationnistes.html

    Le scandale de Strasbourg et les situationnistes

    Des jeunes libertaires relient la lutte des classes et la critique de la vie quotidienne. Sur fond de contre-culture et de créativité, ils annoncent la contestation de Mai 68. Le scandale de Strasbourg illustre cette agitation joyeuse. 

    Le « scandale de Strasbourg » en novembre 1966 préfigure la révolte de Mai 68. Ce mouvement s’oppose au mode de vie marchand et à la modernisation des Trente glorieuses. Le conformisme de la société de consommation est attaqué. Malgré l’augmentation des salaires, la colère ouvrière perdure.

    Aux Etats-Unis, la contre-culture et le mouvement hippie expriment un rejet de l’american way of life. La musique, la drogue, la créativité, la sensualité et la libération sexuelle proposent un nouveau mode de vie fondé sur des principes libertaires. En Hollande, le mouvement Provo valorise les manifestations ludiques et festives. En France, une critique du conditionnement culturel de l’Université permet une critique de l’aliénation sous toutes ses formes.

    En France émerge un renouveau théorique. La revue Socialisme ou barbarie, incarnée par Cornélius Castoriadis, valorise l’auto-organisation du prolétariat à travers les conseils ouvriers et l’autonomie des luttes. Néanmoins, ce groupe conserve une tonalité très ouvrière. L’Internationale situationniste développe unecritique de la vie quotidienne. Ce groupe reprend l’héritage artistique du mouvement Dada et des surréalistes. Il valorise le jeu et la créativité contre la routine du quotidien. La révolution doit devenir une fête.

    Les situationnistes soutiennent les révoltes en Algérie contre le colonialisme et les émeutes de Watts, un ghetto noir de Los Angeles. Ils soutiennent également les révoltes qui émergent dans la jeunesse. Des étudiants libertaires se rapprochent des situationnistes. Le scandale de Strasbourg préfigure la révolte de 1968. Cet épisode est décrit par deux de ces protagonistes, André Bertrand et André Schneider, dans le livre Le scandale de Strasbourg mis à nu par ses célibataires, même.

                                 

    Jeunes libertaires

    En 1966, à Strasbourg, la section locale de l’Unef diffuse la brochure De la misère en milieu étudiant. Ce texte attaque le conformisme du milieu étudiant et universitaire. Le travail aliéné et la routine du quotidien sont également remis en cause. La brochure propose l’abolition des classes sociales pour construire un monde fondé sur la fête, le jeu et la créativité. Ce pamphlet est rédigé par des situationnistes et des étudiants de l’Unef.

    Le groupe à l’origine du scandale de Strasbourg se rencontre dès 1963 dans des bistrots. Ces jeunes libertaires publient le journal Balthazar. André Bertrand est attiré par les mouvements artistiques, notamment les poètes révolutionnaires commeBenjamin Péret ou Raoul Hausmann, un dadaïste berlinois influencé par les idées d’Otto Gross. La poésie doit permettre d’attaquer le contrôle et le formatage de la vie. Ces jeunes libertaires s’intéressent également à l’histoire des luttes sociales, aux grèves ouvrières et critiquent l’encadrement des syndicats. L’art et ses perspectives de dépassement de la vie quotidienne, mais aussi la culture populaire, la musique et le cinéma, alimentent les discussions. La rencontre avec Daniel Joubert et André Schneider élargit la bande. Le groupe se rapproche des idées situationnistes. Leur projet de société ne se réduit pas à une « autogestion » des usines. La révolution doit surtout reposer sur le jeu et le plaisir.

    Avec la guerre d’Algérie, le syndicat étudiant de l’Unef sort de son apolitisme. Cette organisation prestigieuse devient l’enjeu de luttes de pouvoir. Les cathos de gauche, les communistes de l’UEC, les socialistes du PSU et autres gauchistes se battent pour prendre la direction de l’Unef, à Strasbourg comme à l’échelle nationale. Le syndicalisme étudiant devient le terrain de lutte de tous les apprentis bureaucrates.

    En 1965, René Fugler propose à André Bertrand d’écrire un article dans Le Monde libertaire, le journal de la Fédération anarchiste. L’auteur s’appuie sur les analyses de Karl Marx sur la critique de la marchandise et de l’aliénation. Les anarchistes refusent de publier ce texte. Ils restent enfermés dans le dogme d’un individualisme non-violent qui rejette la lutte des classes. Ils ignorent les réflexions nouvelles sur les conseils ouvriers, l’organisation révolutionnaire ou la liberté sexuelle. Léo Férré reste leur principale référence culturelle.

                   

      

    Critique de la vie quotidienne

    Daniel Joubert publie plusieurs articles, notamment dans l’hebdomadaire Réforme, pour évoquer le rock ou les provos hollandais. Il propose également une critique du happening, théorisé par Jean-Jacques Lebel. Ces spectacles sans but ne remettent pas en cause les structures fondamentales de la société. « Ils demandent simplement qu’on leur laisse un petit secteur de loisirs, où tout se passerait à l’inverse du temps consacré au travail », tranche Daniel Joubert.

    En 1966, André Schneider devient président de l’Unef à Strasbourg. La contestation à Amsterdam, avec les Provos, inspire la jeunesse. Le travail, la famille, la patrie et la religion sont attaqués. Les autorités sont contestées et l’amour libre est valorisé. « Là, c’était le refus de l’autorité, rock, jazz, égalité entre les sexes – et défonce intense, comme une curiosité dangereuse, le début d’une aventure de soi –, la revendication d’une vie qui doit appartenir à chacun, comme une expérience personnelle et intime », décrivent André Bertrand et André Schneider. Contre la routine du monde marchand, les provos veulent libérer la pulsion ludique et créative. A Amsterdam comme aux Etats-Unis, la contre-culture exprime la révolte de la jeunesse.

    Guy Debord est à l’origine de la brochure De la misère en milieu étudiant. Mustapha Khayati rédige une première trame après des discussions avec les étudiants strasbourgeois. Mais Daniel Joubert rajoute le ton caustique et les formules mordantes qui font toute la saveur de la brochure. André Bertrand réalise un détournement de bande dessinée qui s’intitule Le retour de la colonne Durruti, en référence à cette figure anarchiste de la révolution espagnole. Images de films, photos, dessins, gravure de Goya sont détournés avec des citations qui proviennent de Ravachol, de Sade, de l’Internationale situationniste ou d’un roman de Michèle Bernstein.

                  

    Nouvelle forme de révolte

    Le témoignage d’André Bertrand et André Schneider propose un nouvel éclairage sur le scandale de Strasbourg. Ce livre permet de présenter de climat politique de l’époque. Ces étudiants respirent une contestation joyeuse. Ils valorisent un éclectisme théorique qui mêle marxisme libertaire, mouvements artistiques et culture populaire. Ils refusent les cases et les cloisonnements. La jeunesse des années 1960 dépoussière le vieux dogme anarchiste. Elle s’appuie sur la lutte des classes et développe une critique de l’aliénation dans la vie quotidienne. L’ironie, l’humour et la joie de la révolte traversent les textes et les témoignages de cette époque.

    Le scandale de Strasbourg reste malgré tout limité. Présenté comme le déclencheur de Mai 68, il semble important de relativiser la portée de cette action. Les situationnistes et leurs épigones reproduisent les travers des théoriciens révolutionnaires et des avant-gardes artistiques. La brochure De la misère propose effectivement une réflexion pertinente. Mais la diffusion d’une théorie critique n’a jamais déclenché de révolution. Ce sont les prolétaires eux-mêmes qui décident de se révolter à partir de leur vécu. Surtout, la brochure circule uniquement dans le milieu étudiant qu’elle prétend pourtant critiquer. 

    Ensuite, ce scandale rejoint le mythe des surréalistes qui valorisent les coups d’éclat symboliques et provocateurs. L’agitation permet de bousculer les certitudes et ouvre la réflexion critique. Mais cette démarche doit se relier à la lutte des classes pour ne pas se réduire à un geste artistique. En Mai 68, les situationnistes privilégient la propagande incantatoire pour les Conseils ouvriers. Mais ils participent peu à la coordination des luttes et à l’extension de la grève.

    Mais le témoignage d’André Bertrand et André Schneider permet de jeter un regard critique sur le petit milieu situationniste. Exclusions et lettres d’insultes rythment la vie de ce groupuscule en vase clos. Des pratiques autoritaires prédominent alors que les situationnistes critiquent les hiérarchies et prétendent réenchanter la vie quotidienne. L’IS reproduit à nouveau les pratiques des avant-gardes artistiques, notamment des surréalistes. Les querelles internes peuvent rejoindre des débats théoriques, mais restent le plus souvent des rivalités personnelles. Le milieu situationniste s’intéresse davantage à lui-même et à ses chapelles internes plutôt qu’aux enjeux qui traversent les luttes sociales.

    Malgré ses limites, le courant situationniste propose une réflexion à faire revivre. L’auto-organisation du prolétariat et l’autonomie des luttes se mêlent à la créativité et aux plaisirs de la vie. Cette critique de la totalité de la logique marchande reste attaché à la libération des désirs et à la joie de la révolte.

    Source : André Bertrand et André Schneider, Le scandale de Strasbourg mis à nu par ses célibataires, même, L’Insomniaque, 2018

    Articles liés : 

    Les situationnistes dans la lutte des classes   

    L'autre anarchisme  

    Révoltes théories révolutionnaires des années 1968

    Les libertaires des années 1968  

    Pour aller plus loin :

    Vidéo : Le scandale de Strasbourg: situs and co, débat mis en ligne sur le site La feuille de chou le 28 juin 2018 

    Radio : De la misère en milieu étudiant. La critique situationniste du capitalisme et son dépassement émancipateur, émission mise en ligne sur le site Sortir du capitalisme 

    Chronique de Charles Jacquier publiée dans le journal Le Monde diplomatique de mars 2019

    Kévin Boucaud-Victoire, Le « scandale de Strasbourg » : l'origine trop méconnue de Mai 68, mis en ligne sur le site Le Média Presse le 27 mars 2018 

    Chloé Leprince, Connaissez-vous l'histoire de "De la misère en milieu étudiant", le véritable bréviaire de Mai 68 ?, mis en ligne sur le site de France Culture le 12 mars 2018 

    De la misère en milieu étudiant - 50 ans après : héritage, critique et actualité du situationnisme, publié sur le Blog des Jeunes Communistes du Bas-Rhin (MJCF 67) et de l'Union des Etudiants Communistes (UEC) de Strasbourg le 22 novembre 2016 

    Mai 68 en Alsace, publié sur le site de la BNU

    Jacques Guigou, Jacques Wajnsztejn, extrait de Mai 1968 et le Mai rampant italien, mis en ligne sur le site La Revue des ressources le 23 novembre 2009 

    A propos du scandale de Strasbourg. Nos buts et nos méthodes dans le scandale de Strasbourg (extrait de l'Internationale situationniste n°11), mis en ligne sur le site La Revue des ressources en novembre 2002