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    Dans le Finistère, un paysan risque de perdre ses terres au profit de l’agro-industrie

    agriculture

    Lien publiée le 4 septembre 2019

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

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    Dans le Finistère, un paysan risque de perdre ses terres au profit de l'agro-industrie

    Bastien Moysan, paysan en conversion bio du Finistère, pourra-t-il faire vivre son projet de ferme ? Symboles de l’âpreté de la lutte pour le foncier agricole, les terres qu’il exploite pourraient être achetées aux enchères par de gros propriétaires.

    • Daoulas (Finistère), reportage

    C’est une exploitation mi-rurale, mi-urbaine. À la ferme du Guerniec, les vaches pâturent tranquillement dans un grand champ de Daoulas (Finistère) qui domine la voie express Brest-Quimper. Chaque jour, le ballet des voitures et des camions, en contrebas, rythme l’activité de Bastien Moysan. Quelques mètres plus haut, le paysan en conversion bio parcourt ses terres pour nourrir ses animaux, les abreuver, produire du blé… Mais ce tableau champêtre pourrait bientôt s’arrêter. L’agriculteur risque de se faire déposséder des terres qu’il exploite depuis quinze ans.

    Bastien Moysan, 38 ans, a passé sa vie à s’intéresser à l’alimentation. En 2004, après avoir travaillé dans la restauration dans le sud de la France, en Espagne et en Afrique, il a décidé de revenir à Daoulas et s’est installé dans la ferme de sa famille. Celle-ci, inoccupée depuis le départ de ses parents en 1995, était restée totalement en friche. Bastien a commencé à la remettre en état avec l’accord de sa grand-mère, une des deux propriétaires des terres, sans signer quoi que ce soit.

    À la mort de la grand-mère, en 2008, la situation de Bastien s’est compliquée. Plusieurs personnes de sa famille devenaient indivisaires, c’est-à-dire propriétaires de la ferme sans pouvoir se répartir les lots. « Ce sont des gens qui ne s’entendaient pas, dit Bastien Moysan. Il y a donc eu une procédure qui s’appelle une adjudication judiciaire. »Les terres ont alors dû être mises aux enchères.

    Un envol des prix a alors débuté devant Bastien, impuissant 

    En temps normal, Bastien aurait pu être reconnu par le notaire comme l’exploitant en place. Mais son cas est particulier, puisqu’il n’a jamais rien signé à son arrivée à la ferme ni versé de fermage (loyer). « Je n’avais pas payé de bail à ma grand-mère ni à ses descendants, vu que je ne savais pas à qui donner l’argent, justifie-t-il. J’attendais que l’indivision se résolve pour acheter. »

    Bastien Moysan.

    « C’est déjà très dur de fixer le prix du fermage, observe Jean-Louis Salou, notaire retraité et ami de Bastien Moysan. Il faut passer dans chaque parcelle pour vérifier son état, la nature et le relief du terrain, son accessibilité… Et, une fois le prix fixé, à qui donner l’argent ? Bastien serait allé le payer à une cousine, les autres auraient dit :“Mais nous, on n’a jamais rien reçu !” » Jean-Louis Salou estime également que le « boulot phénoménal » réalisé par Bastien et le nombre d’heures passées à défricher des terres en mauvais état compensent plusieurs années de fermage.

    Pour la vente aux enchères, les terres de Bastien ont été séparées en trois lots différents, situés sur les communes de Daoulas, L’Hôpital-Camfrout et Irvillac. Le jour de l’adjudication, le 21 mai dernier, Bastien s’est rendu à Brest au cabinet du notaire, emprunt bancaire en poche. Même s’il ne pouvait pas être reconnu officiellement comme l’exploitant en place, il pensait qu’il serait le seul à se présenter pour acheter ses trois lots de terres. Pourtant, en entrant dans la salle d’attente, il a eu la mauvaise surprise de trouver d’autres enchérisseurs, dont certains de ses voisins. Un envol des prix a alors débuté devant Bastien, impuissant.

    Le prix des deux premiers lots (16 hectares en tout), initialement de 30.000 euros, a atteint la somme de 46.000 euros, promis par un homme qui est déjà propriétaire de… plus de 1.000 hectares de terres dans plusieurs communes du Finistère. Le prix du troisième lot (13 hectares) est quant à lui passé de 10.000 euros à 56.000 euros. Quelques jours plus tard, un agriculteur possédant déjà 300 hectares de terres a même surenchéri, faisant monter le tarif à plus de 62.000 euros. Au lieu des 40.000 euros prévus, l’ensemble des lots a donc atteint la somme de 108.000 euros.

    « Le système agro-industriel ne nous laisse pas de place, c’est flagrant » 

    Furieux et désemparé, M. Moysan a alors saisi la Société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) pour que l’organisme exerce son droit de préemption, c’est-à-dire se substitue aux enchérisseurs initiaux, aux prix et conditions de l’adjudication. « Je ne pouvais pas laisser passer ça, dit Bastien Moysan. Surtout avec ce gros enchérisseur qui a plus de 1.000 hectares. C’est le plus gros du Finistère, le plus puant, celui qui représente le système agro-industriel breton. »

    Une des vaches de Bastien Moysan.

    Le 20 juin, le comité de la Safer a accepté de se substituer aux adjudicataires d’origine. « Le maintien des exploitants agricoles en place est un objectif légal, dit Thierry Couteller, directeur de la Safer Bretagne. Il y a eu une unanimité syndicale et politique au sein de la Safer. » Mais, si la Safer peut préempter, elle est dans l’incapacité juridique de réviser le prix de la vente. Ainsi, l’organisme détient provisoirement les trois lots de terres, et pourra les redonner à Bastien Moysan à deux conditions : s’il réunit l’argent, et si la surenchère du troisième lot est invalidée par le juge des saisies immobilières.

    « Le système agro-industriel ne nous laisse pas de place, c’est flagrant, dit Bastien, écœuré. Ils ne veulent pas nous laisser nourrir nos enfants, vivre, tout simplement. » Et d’ajouter : « J’ai à cœur de créer un autre modèle, mais on ne nous aide pas, voire on nous met des bâtons dans les roues. » Son contre-modèle ? Travailler en bio des plantes adaptées au terroir, valoriser ses produits, faire de la vente directe, au détail, etc. Ce qu’il subit est, selon lui, le symbole d’une histoire plus grande, celle des « gros agriculteurs qui veulent manger les petits paysans » pour produire plus, et gagner plus.

    Ses amis ont créé un comité de soutien, composé d’une dizaine de personnes. « Je trouvais légitime que Bastien puisse continuer à vivre de l’exploitation des terres qu’il avait défrichées, raconte Bernard Salou, membre du comité et frère de Jean-Louis Salou. La priorité lui était enlevée, ça a créé la colère en moi. » Le comité a lancé une pétition appelant au soutien de Bastien. Elle a déjà recueilli près de 77.000 signatures. Une cagnotte participative a également été créée, recueillant à ce jour 17.000 euros. « Je me dis qu’on a changé d’époque, les gens ont compris qu’il fallait faire des petites fermes, dit Bastien. Je suis très touché que des gens me soutiennent, je ne pensais jamais qu’il y en aurait autant. »

    « Un groupement foncier agricole, c’est un choix politique, parce que c’est un projet collectif qui mobilise les gens du territoire » 

    Loin de se laisser abattre, le paysan continue de lutter. Il veut créer un groupement foncier agricole (GFA). N’abandonnant jamais son grand sourire, il explique, enthousiaste : « C’est une solution juridique qui permet d’acheter à plusieurs la terre. Comme les miennes sont arrivées à un prix où je ne peux plus les acheter, l’idée est de les acheter à plusieurs. » D’après Bastien, si tous les Français investissaient des parts dans un GFA, « les citoyens pourraient tous être un peu propriétaires de toute la France, plutôt que de laisser des investisseurs richissimes acheter la terre à [leur] place. » Le prix minimum d’une part dans le GFA de Bastien est de 100 euros. Il n’y a pas de tarif maximum.

    Anne Le Jard, retraitée vivant à Daoulas, a choisi d’investir dans le GFA de Bastien. « Un GFA, c’est un choix politique, parce que c’est un projet collectif qui mobilise les gens du territoire, explique-t-elle. La politique semble de plus en plus s’éloigner des citoyens, c’est bien de remettre la main sur quelque chose, de retrouver une action sur le réel. » « C’est plus symbolique d’investir dans un GFA que de donner de l’argent tout court », ajoute Joëlle Richard, ingénieure pédagogique à l’université de Brest.

    Le projet de GFA est accompagné par Terre de liens Bretagne. « Notre rôle est de vérifier la viabilité du projet et d’être en appui sur l’ingénierie technique et juridique du montage citoyen, dans l’idée de préserver les intérêts des citoyens », explique Delphine Leroux, juriste de l’association. Selon elle, l’histoire de Bastien témoigne de l’importance de la lutte contre la spéculation financière, la capitalisation et l’accaparement des terres.

    La Safer a demandé à Bastien Moysan de réunir l’argent nécessaire à la création du GFA (environ 150.000 euros en tout, en comptant les frais de notaire, de Safer, etc.) avant la fin de l’année 2019. Si Bastien parvient à mobiliser à temps suffisamment de citoyens voulant investir sur ses terres, il pourra garder son activité. S’il ne réussit pas, la ferme du Guerniec reviendra aux mains du plus offrant.