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Esteban Volkov, le dernier survivant de la famille Trotski
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Le 21 août, date anniversaire de l'assassinat de l'opposant de Staline, rappelle que le dirigeant russe a fait tuer la famille tout entière du révolutionnaire.
À Mexico
C'est un homme au regard bleu rougi par le temps, le port fier malgré le poids des années et de l'histoire. À 93 ans, casquette à étoile rouge vissée sur le front, Esteban Volkov reçoit dans le jardin d'une maison en brique du quartier résidentiel de Coyoacán, au cœur de Mexico. Celle-là même où son grand-père fut assassiné le 20 août 1940, sous ses yeux.
D'emblée, il se présente comme une anomalie: «Je suis l'unique membre de la famille qui a pu arriver à l'âge de 93 ans.» Survivant d'un clan décimé par la paranoïa meurtrière de Staline, Esteban Volkov s'exprime dans un français parfumé d'accent espagnol, une langue apprise pendant ses années d'exil.
«L'élu»
Né en 1926 dans une URSS en pleine guerre de succession, celui que le personnel de la maison appelle aujourd'hui Don Esteban avec déférence s'appelle à l'époque Sieva Volkov.
Son grand-père, Lev Davidovich Bronstein, alias Léon Trotski, héros de la révolution d'Octobre et créateur de l'Armée rouge, est alors évincé par son rival Staline, qui s'impose comme successeur de Lénine.
Déporté en Sibérie puis expulsé d'URSS en 1929, Trotski devient l'opposant idéologique principal de Staline. Il défend l'idée d'une révolution mondiale permanente et pourfend la dérive totalitaire du régime.
Volkov doit sa vie à un geste de Staline, qui autorisa sa mère, la fille de Trotski, à fuir avec un seul de ses enfants.
Le monde communiste se scinde alors en deux. Staline emploie toutes les ressources des services secrets pour éliminer son rival et les membres de sa famille.
«Toute ma famille et nos proches ont été exterminés par Staline», murmure Esteban Volkov. Il doit sa survie à un geste magnanime du leader soviétique, qui autorisa sa mère, la fille de Trotski, à fuir le pays, accompagnée d'un seul de ses enfants. Elle laisse sa fille Alexandra et emmène son fils Sieva: «Je fus l'élu.»
Le jeune Sieva et sa mère rejoignent Trotski sur l'île turque de Prinkipo, dans le détroit du Bosphore, «un paradis de vie maritime», où le proscrit est en exil avec sa deuxième femme Natalia, «ma grand-mère politique». Sa mère part soigner sa tuberculose à Berlin, où elle se suicide en janvier 1933. Son père, resté en URSS, est déporté par Staline puis exécuté.
Vivre en sursis
Trotski est expulsé de Turquie et trouve refuge au Mexique en 1937, le seul pays qui lui ouvre ses portes. Sieva le rejoint en 1939, à l'âge de 13 ans. La famille s'installe dans cette maison, à quelques rues de celle de l'artiste Frida Kahlo, qui sera la maîtresse de Trotski. Le quartier devient le lieu de passage obligé pour artistes en quête d'onction révolutionnaire –André Breton y rédigera son Manifeste pour un art révolutionnaire indépendant.
La tranquillité ne dure pas. Même à l'autre bout du monde, la famille est rattrapée par les griffes de Staline. Dans la nuit du 20 mai 1940, des militants communistes mexicains déguisés en policiers pénètrent dans l'enceinte de la maison et tirent à tout-va depuis le jardin.
«La question, c'était par où viendrait l'attentat suivant.»
«Ils sont entrés par ici, se souvient le vieil homme, pointant vers une porte de l'enceinte aujourd'hui condamnée. Ils ont arrosé la maison des gardes pour qu'ils ne puissent pas sortir puis ils ont tiré dans les chambres par les portes-fenêtres en bois. Je me suis laissé tomber du lit, c'est grâce à cela que je suis en train de vous parler. J'ai quand même reçu une balle dans l'orteil.» L'adolescent est le seul blessé de cet attentat. Trotski et sa femme s'en sortent vivants, «un miracle».
La maison est alors barricadée. Les murs d'enceinte sont fortifiés, un mirador est édifié et les fenêtres donnant vers l'extérieur sont condamnées.
«[Trotski] savait parfaitement qu'on ne lui avait donné qu'un répit. Chaque matin quand il se levait il ouvrait la fenêtre et disait à Natalia: “Ils nous ont donné un jour de plus de vie!” La question, c'était par où viendrait l'attentat suivant.» Le coup fatal sera porté trois mois plus tard.
Témoin de l'assassinat de Trotski
Un certain Franck Jackson, se présentant comme journaliste et sympathisant trotskiste, parvient à approcher le premier cercle du révolutionnaire. Il s'agit en réalité de Ramón Mercader, un agent envoyé par Staline pour assassiner son opposant.
«C'était un homme très correct, élégant, très aimable, se souvient Esteban Volkov. Sa stratégie était justement de ne montrer aucun intérêt à connaître Trotski. Il se maintenait toujours aux alentours de la maison, il rendait des petits services aux camarades, aux secrétaires, il les emmenait manger dans de bons restaurants.»
Pendant plusieurs semaines, Franck Jackson parvient à gagner la confiance des proches du révolutionnaire, à commencer par son petit-fils. «Il nous emmenait pique-niquer autour de Mexico. On faisait des promenades avec lui dans la montagne. Il a même conduit des amis en voiture jusqu'à Veracruz, à 400 kilomètres d'ici.»
Le 20 août 1940, Franck Jackson obtient un entretien avec l'homme politique, afin qu'il corrige un de ses articles. «Comment refuser de rendre un petit service à ce nouvel ami? C'est comme ça qu'il a réussi à entrer dans son bureau. Trotski est tombé dans le piège.»
«Par une porte entr'ouverte, j'ai vu mon grand-père par terre, la figure en sang.»
Alors que l'exilé est penché sur le texte, Franck Jackson brandit un piolet de montagne dissimulé sous sa gabardine et le plante dans le crâne du révolutionnaire. L'assassin est saisi par les gardes. Trotski, mortellement blessé, parvient à ramper jusqu'à la pièce d'à côté.
«Je rentrais tranquillement de l'école dans l'après-midi, c'était une chaude journée d'été, se remémore Esteban Volkov, les yeux mi-clos. De loin j'ai vu que quelque chose d'étrange se passait devant notre maison. Il y avait des policiers, de l'agitation, ça m'a angoissé. J'ai accéléré le pas et je suis entré. J'ai d'abord vu l'un des secrétaires, très nerveux, pistolet à la main. Je lui ai demandé ce qu'il se passait. Son unique réponse fut: “Jackson, Jackson!”.»
D'un pas difficile, soixante-dix-neuf ans après, Esteban Volkov refait le chemin qu'il avait emprunté ce jour-là dans le jardin et entre dans la chambre de son grand-père.
Léon Trotski entouré des couples De Boer et Bartlett à Mexico en 1940. | Archives gouvernementales via Wikimedia
Dans le silence de la pièce, il restitue la scène. «Dans un coin, j'ai vu Jackson avec du sang plein la figure, frappé par des policiers et des camarades. Il gémissait comme un animal, je n'avais jamais vu une personne dans cet état. Par une porte entr'ouverte, j'ai vu mon grand-père par terre, la figure en sang. Natalia lui mettait de la glace sur la tête. J'ai su plus tard que quand il a entendu mes pas dans la bibliothèque, il a réussi à dire: “Maintenez mon petit-fils éloigné, il ne doit pas voir cette scène.” Ça m'a toujours été difficile de raconter cet épisode.» Trotski décèdera le lendemain à l'hôpital.
Garde-mémoire
Dans cette maison de la rue Vienna muée en musée, le temps s'est arrêté en août 1940. Les affaires du proscrit n'ont pas bougé. Sur le bureau sont disséminés quelques livres, une machine à écrire et un téléphone à cadran.
Les murs de l'ancienne chambre de l'adolescent sont encore criblés des balles de la première tentative d'assassinat. Quelques photos jaunies retracent la vie du révolutionnaire. La quiétude du lieu n'est troublée que par les pépiements d'oiseaux et le pas des visiteurs sur le gravier.
Après le meurtre de son grand-père, le jeune Sieva resta au Mexique et devint ingénieur chimiste, «spécialisé dans les pilules contraceptives». Il hispanisa son prénom, de Sieva à Esteban, et consacra le reste de sa vie à faire vivre le musée dédié à la mémoire de son grand-père, qu'il perpétue.
Dans le jardin, son récit est interrompu par deux femmes d'une soixantaine d'années. «Vous êtes Don Esteban? C'est un honneur de vous rencontrer.» Ce sont deux camarades trotskistes, venues d'Argentine en pèlerinage dans la dernière demeure du révolutionnaire. Elles repartiront avec un selfie, le poing levé.
«Falsifications»
Esteban Volkov tient à préciser qu'il n'est pas trotskiste. Comme une manière de se protéger de la politique, dont il fut témoin du visage le plus meurtrier. «Mon grand-père ne parlait pas de politique avec moi. D'ailleurs, il disait aux jeunes camarades qui vivaient ici: “N'en parlez pas avec Sieva.” Il voulait me maintenir à la marge, que je puisse survivre.»
Reconnaît-il la part d'ombre de son grand-père? L'écrasement sanglant de la révolte des marins de Kronstadt en 1921? La répression des anarchistes makhnovistes?
Le petit-fils balaye ces accusations d'une grimace. «Trotski n'est pas intervenu personnellement dans les faits de Kronstadt. C'est une des falsifications de l'époque Gorbatchev.» Quant à la Terreur révolutionnaire, dont Trotski fut le théoricien, Esteban concède du bout des lèvres: «Quand on dirige une armée, naturellement, il y a des violences...»
Nouvel avatar des tentatives russes de souiller la mémoire de son grand-père, selon lui: la série Trotsky, diffusée depuis janvier 2019 sur Netflix. En dix épisodes, elle retrace le parcours du révolutionnaire de son enfance ukrainienne à sa mort mexicaine.
Loin du biopic laudateur, la fiction, produite par Rossiya 1, une chaîne réputée proche du Kremlin, brosse le portrait d'un homme égocentrique, sanguinaire, manipulé par des forces étrangères.
«C'est une série abominable, tranche Esteban Volkov. Le personnage est d'une médiocrité qui n'a absolument rien à voir avec mon grand-père, qui était un homme très dynamique, extrêmement laborieux et d'un caractère joyeux et optimiste.»
En février, il a écrit une tribune pour dénoncer les falsifications supposées de la production. Elle fut signée par des dizaines de sympathisant·es à travers le monde dont, en France, Olivier Besancenot, Philippe Poutou et Edwy Plenel. Maigre tentative de réponse au mastodonte Netflix et à ses dizaines de millions de comptes abonnés. Il reconnaît tout de même à la série un avantage, plus prosaïque: «Ça nous a apporté beaucoup de visiteurs.»
«Les réalisateurs de la série "Trotsky" ont accompli le désir de Staline.»
Si Esteban Volkov décrit l'attentat avec une précision d'historien, c'est que l'événement même est falsifié dans la série. Franck Jackson y est présenté comme un honnête journaliste, sincèrement écœuré par la violence commise par Trotski pendant la révolution d'Octobre. Le dernier épisode met en scène Trotski attaquant Franck Jackson qui, forcé de se défendre, le frappe à mort avec un piolet accroché au mur.
«C'est une falsification monstrueuse, tonne le vieil homme. Staline a toujours voulu présenter l'assassinat comme un acte commis par un partisan désillusionné par son leader. C'est absurde. Aucun cas comme l'assassinat de Trotski n'a été plus établi, légalement et historiquement.»
Devant la tombe de son grand-père, une sobre stèle grise habillée d'un drapeau rouge qui tombe faute de vent, Esteban Volkov souffle: «Les réalisateurs de cette série ont accompli le désir de Staline.» Netflix, ultime coup de piolet dans la statue du révolutionnaire le plus controversé de l'histoire.