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Sur les ruines de Porto Rico, la bataille des utopies

Porto-Rico

Lien publiée le 12 septembre 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.cadtm.org/Sur-les-ruines-de-Porto-Rico-la-bataille-des-utopies

La relation coloniale que les États-Unis entretiennent avec Porto Rico date de 1898, quand l’Espagne vaincue leur céda ce territoire. Et malgré l’accès à un début d’autonomie cinquante ans plus tard, Porto Rico reste et demeure une colonie. La récente crise économique, accentuée par les ouragans Maria et Irma ces 2 dernières années, l’a cruellement montré.

Lorsqu’en 2006, le gouvernement des États-Unis décide de mettre fin à une série d’avantages fiscaux pour les entreprises américaines installées à Porto Rico, cela provoque une fuite de capitaux et engendre une crise qui persiste aujourd’hui encore. La crise économique mondiale qui explosa dans la foulée a également atteint l’île, entraînant une explosion de la dette et laissant le pays dans une situation économique désastreuse. Les décisions qui ont mené l’île dans cette impasse poursuivent le même objectif que l’on retrouve partout dans le monde depuis les années 1970 : c’est l’agenda néolibéral, son cortège de privatisations, de dérégulations, d’austérité et d’énormes mannes financières qui passent dans les poches d’acteurs privés qui n’ont que peu de soucis pour l’intérêt général.

C’est une histoire classique de domination économique, puis politique, largement comparable à la situation de la Grèce depuis la crise économique mondiale de 2008. Et cela a abouti à la mise en place du Financial Oversight Board (conseil de supervision financière), surnommé la junte (la junta) par les habitant-e-s, qui a pris le contrôle total sur l’économie de l’île, et dont l’objectif affiché est de rembourser les créanciers par n’importe quel moyen. Des centaines d’écoles ont été fermées, mais aussi des hôpitaux et toutes sortes de services publics. Les portoricains émigrent massivement vers les États-Unis et les infrastructures, déjà en triste état par manque de moyens, ne sont plus du tout entretenues. Et c’est à ce moment-là, lorsque l’on pensait que la situation pouvait difficilement être pire, que Porto Rico fut frappée, non pas par un, mais par deux ouragans successifs : Irma et Maria. Le résultat : une grande partie de l’île fut ravagée, les 3/4 de la population se sont retrouvés sans électricité pendant des mois, voire plus pour certains, l’aide fut très difficile à mettre en place et à acheminer (et largement insuffisante) et des milliers de personnes périrent. À ce moment-là, sur le continent, de nombreux-ses politicien-ne-s, aussi bien républicains que démocrates, ainsi que de nombreux grands médias s’acharnèrent à dénoncer l’insalubrité des infrastructures publiques, et notamment du réseau électrique. Mais extrêmement rares furent celles et ceux qui eurent le courage de reconnaître la responsabilité des politiques économiques imposées par Washington dans cette débâcle. En réalité, les discussions sur la privatisation du réseau d’électricité de Porto Rico étaient déjà en cours bien avant que les ouragans ne frappent l’île, et les spéculations allaient déjà bon train, résultat de la doctrine du choc telle qu’exposée par Naomi Klein dans son livre [1] et dans de nombreux articles, notamment sur la situation de Porto Rico [2].

Avant les ouragans, Porto Rico a connu les plus grandes manifestations de son histoire. La population, loin d’être dupe, réclamait notamment la fin des mesures d’austérité et l’annulation de la dette, largement illégitime et illégale. Les étudiant-e-s et les enseignant-e-s occupèrent les universités, il y eut de grandes grèves, des marches… Puis il y eut Maria et Irma, qui provoquèrent une accélération de la stratégie du choc, c’est-à-dire de la transformation de Porto Rico en territoire offert aux intérêts privés des plus offrants. Et c’est sur ces ruines qu’arrivent aujourd’hui les nouveaux millionnaires et milliardaires des crypto-monnaies, bitcoin et autres, qui veulent faire de Porto Rico le « Hong-Kong des Caraïbes » : un endroit où ils peuvent s’installer facilement (un passeport étasunien suffit) et surtout où la fiscalité leur est très avantageuse grâce aux nouveaux incitatifs mis en place par le gouvernement (sous contrôle de la junte). Si vous installez votre résidence principale à Porto Rico, ainsi que le siège de votre entreprise ou de votre hedge fund, vous ne payez plus de taxes sur les revenus du capital, ni sur les intérêts et les dividendes. Précisons tout de même que pour les portoricains, la situation est loin d’être aussi envieuse, puisque les impôts locaux sont très élevés.

De nombreux exemples pourraient être donnés sur la relation coloniale que les États-Unis entretiennent avec Porto Rico, qui a été un véritable cobaye pour les expérimentations étasuniennes, notamment économiques, déjà avant le début de l’ère du libre-échange. Mais les événements des dernières années en font d’ores et déjà un cas d’école pour les néo-libéraux, qui essaient aujourd’hui carrément de vider l’île de ses habitant-e-s pour en faire un paradis pour millionnaires des crypto-monnaies [3] ! Heureusement, les résistances sur place sont multiples et fertiles. De nombreuses personnes proposent d’autres utopies, d’autres voies possibles pour l’avenir de Porto Rico. Mais comme le dit Naomi Klein : « le problème, c’est que les mouvements sociaux, contrairement au capital, ont tendance à progresser lentement »... [4] C’est pourquoi ils ont besoin de notre soutien et de notre mobilisation.


Cet article est tiré du magazine semestriel AVP (Les autres voix de la planète) du CADTM, n°76, « Dettes coloniales et réparations » disponible à cette adresse :http://www.cadtm.org/Dettes-coloniales-et-reparations-17397

Notes

[1] Naomi Klein, La stratégie du choc, Actes Sud, Paris 2013.

[2] De nombreux articles sont à retrouver sur le site de The Intercept : theintercept.com.

[3] Naomi Klein, The Battle For Paradise, Puerto Rico takes on the disastercapitalists, Haymarket Books, Chicago, 2018.

[4Ibid.