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Éric Delbecque, Les Ingouvernables. De l’extrême gauche utopiste à l’ultragauche violente
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://dissidences.hypotheses.org/12282
Un compte rendu de Jean-Guillaume Lanuque
Dans les années 2000, les ouvrages grand public sur l’extrême gauche avaient largement tendance à se centrer sur les trotskystes, en lien avec les résultats électoraux étonnamment élevés obtenus par les candidats de la LCR et LO, aux élections présidentielles de 2002 et 2007 en particulier. Au cours des années 2010, la focale s’est déplacée vers les zadistes et les « casseurs », ces derniers tant prisés par les chaînes d’information. C’est à cette composante qu’Éric Delbecque s’est intéressé, en s’efforçant de nuancer son propos… tout en insistant sur le risque porté par ces marges politiques. Tour à tour, il présente les zadistes (développant largement la figure intellectuelle d’Hakim Bey), les écologistes extrémistes ou radicaux, les Black blocs (qu’il présente pourtant justement comme une tactique et non comme un courant politique bien défini) et la mouvance du Comité invisible, en essayant également de les situer dans une filiation plus longue (mais largement incomplète, le socialisme utopique justement cité ne suffisant pas à pallier l’absence des « milieux libres » anarchistes, par exemple).
Plusieurs défauts entachent toutefois gravement cette étude, où les éléments pertinents apparaissent bien isolés (l’accent mis sur un certain rejet du progrès, par exemple). Un flou typologique, d’abord. On sent que l’auteur, qui s’est pourtant documenté et a mis à profit une bibliographie relativement large, ne maîtrise pas son objet d’études (l’extrême gauche), qu’il réduit essentiellement à sa composante d’influence marxiste, occultant ainsi sa diversité. L’ultra-gauche, sous sa plume, devient une catégorie valise, d’où surnagent situationnistes, autonomes et « Socialisme ou barbarie » ; quant au spartakisme, il est transformé en communisme de conseils, rejetant les chefs (!!). Le PCF, à ses yeux, s’est inscrit dans l’extrême gauche au début du XXIesiècle, puis désormais dans l’ultragauche, tout comme la France insoumise et les Verts ! Dans une volonté de marquer son apport personnel, il qualifie les sujets de son étude d’ingouvernables, ou, plus singulier et discutable encore, de HipPunks (sic), synthèse des mouvances hippie et punk. D’autre part, son étude est marquée par un biais subjectif jamais présenté en tant que tel, mais qui transparaît clairement à la lecture. Éric Delbecque s’efforce en effet explicitement de défendre les forces de l’ordre face à des zadistes présentés comme machiavéliques et manipulateurs ; il réutilise même ce poncif qu’est l’alcoolisme – l’homme a d’ailleurs écrit, dans une bibliographie étendue et bigarrée, Sécurité privée, enjeu public (préfacé par Alain Bauer), Le harcèlement communautariste : défense du roman national ou L’impuissance française, une idéologie ? – tout en privilégiant une grille de lecture psychologisante, expliquant les comportements militants par des traits individuels (romantisme, fascination pour la guérilla1…) sans prendre en compte la situation sociale et politique. Il n’est dès lors guère étonnant de le voir évoquer un marxisme-léninisme forcément fourrier du totalitarisme, un altermondialisme « irréaliste et archaïque », et une brutalisation de la société dont seraient en grande partie responsables ces franges politiques, loin de la vision plus systémique d’un François Cusset dansLe déchaînement du monde2. Les débouchés logiques de l’extrémisme de gauche sont donc la violence, l’intolérance, l’antidémocratisme et l’incompréhension du réel3.
Éric Delbecque se pose en effet en gardien de l’ordre, en thuriféraire de la démocratie libérale et d’une République idéale, celle d’une Ve où les élites seraient davantage à l’écoute du réel afin de maintenir une domination socio-économique qu’il ne remet jamais en question. Pour preuve, la contestation doit selon lui respecter des bornes bien strictes, ce qui le conduit à considérer la désobéissance civile légitime pour des combats… passés, plus que présents. Conséquemment, sa peur de la métamorphose de notre pays en une « France léopard », constellée de ZAD refusant les lois communes, entre autres éléments d’éclatement identitaire et communautaire, apparaît largement fantasmatique. Son ouvrage rejoint ainsi la longue cohorte des journalistes ayant voulu s’emparer du thème de l’extrême gauche – il cite entre autres avec éloge L’extrémisme4 de Christophe Bourseiller, dont on connaît toute la solidité scientifique – sans parvenir à faire autre chose qu’à le caricaturer et le falsifier à l’aune de préoccupations bien ternes quoique idéologiquement connotées.
1« L’imaginaire du guérillero habite le cœur et l’esprit des radicaux de l’ultragauche et construit une esthétique existentielle venant combler une béance identitaire. » (p. 84).
2Voir sa recension sur notre blog : https://dissidences.hypotheses.org/9377
3« Ce qui permet d’affirmer que le radicalisme, l’extrémisme, est le frère de l’esprit sectaire, un autre visage ou une manière différente de nommer une vision close de la réalité, fermée à la dialectique et aux opinions divergentes. » (p. 247).
4Voir sa recension sur notre blog : https://dissidences.hypotheses.org/766