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Conjoncture économique : le port de l’angoisse

économie

Lien publiée le 20 septembre 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.regards.fr/economie/les-economistes-ne-sont-pas-tous-des-sales-types-par-bernard-marx/article/conjoncture-economique-le-port-de-l-angoisse

Découvrez vite l’épisode 2 des « choses lues par Monsieur Marx », deuxième saison !

En cette fin d’été, la situation de l’économie mondiale fait penser à une vielle chanson d’Ouvrard, « Je ne suis pas bien portant ». L’embellie de croissance de 2017/2018 a fait long feu. L’économie mondiale, souligne Sébastien Jean, le directeur du CEPII, subit un « ralentissement sous haute tension » [1].

En Europe, la faible reprise d’après 2016, alimentée par la politique ultra laxiste de la BCE fait plus que s’essouffler. Elle tousse. L’Allemagne entre en territoire négatif. L’Italie y fait des allers et retours. Du fait des concessions gouvernementales sur le pouvoir d’achat pour endiguer la révolte des gilets jaunes, la France fait un peu mieux que ses voisins. Mais le rythme annuel de croissance de l’ordre de 1,3% a diminué de moitié.

En Chine, le ralentissement de la croissance va bien au-delà d’une fin de l’hyper croissance à deux chiffres des décennies passées. Le Japon continue de se trainer et s’embourbe dans un affrontement économique perdant- perdant avec la Corée. L’Amérique Latine et les autres pays émergents (Afrique du Sud, Russie, Turquie) vont mal. La croissance y est faible, l’inflation élevée. Les monnaies locales sont affaiblies, les capitaux ont fui, le piège de la dette se reforme.

Les Etats-Unis vont apparemment mieux. La croissance dure depuis une dizaine d’années après les mesures massives de relance monétaires et budgétaires prises après le choc de 2008. C’est la plus longue phase d’expansion depuis la seconde guerre mondiale. Le taux de chômage officiel est au plus bas. Mais là-bas aussi la croissance ralentit. Les effets de la relance fiscale supplémentaire massive et très macronienne de Donald Trump (baisse des impôts pour les riches et sur les profits) appuyés sur les privilèges internationaux du dollar, se sont vite estompés. Le ralentissement tend à s’accentuer alors que le déficit public est durablement au-dessus de la barre des 5%. Les investissements patinent. Le taux d’intérêt très bas (1,4%) sur les emprunts à 2 ans de l’Etat fédéral est passé au-dessus de celui sur les emprunts à 10 ans. C’est ce qu’on appelle l’inversion des courbes des taux. Et c’est un symptôme fort de récession à venir, puisque cela signifie que les préteurs pensent que dans les prochaines années il y aura beaucoup plus de risque de perdre de l’argent en investissant que de chance d’en gagner.

Récession ou pas…

Patrick Artus économiste en chef de Natixis et favori des médias spécialisés affiche un optimisme qui justifierait presque un statu quo des politiques macro-économiques. « Le scénario le plus probable pour les pays de l’OCDEaffirme-t-ilest une croissance modérée, voisine de la croissance potentielle et pas une récession. » Selon lui les taux d’intérêt très bas protège contre un retournement à la baisse du prix des actifs, l’inflation faible soutient les pouvoir d’achat, et la très forte profitabilité des entreprises protège d’une crise du crédit et d’un retournement à la baisse de l’investissement et de l’emploi. Pour faire bonne mesure, il considère que le freinage du commerce mondial ne peut « absolument pas causer un recul significatif de la croissance », que Donald Trump n’acceptera pas une récession et qu’il a les moyens de l’empêcher, que « la Chine ne pourra pas s’installer dans la guerre commerciale ». Et cerise sur le gâteau« s’agissant de la France il faut rester optimiste sur les perspectives de croissance » : l’investissement des entreprises augmente, la progression des revenus des ménages est rapide et la hausse du taux d’épargne qui freine la consommation ne devrait être selon lui que transitoire. Les ménages n’ont pas, selon lui, une « rationalité » suffisante pour compenser la baisse de rendement de leur assurance vie par une augmentation de leur épargne.

Au contraire, l’accumulation de symptômes inquiétants, comme la nouvelle montée record du taux d’endettement des ménages et des entreprises, est telle que la survenue d’un retournement et d’une récession plus ou moins généralisée dans le monde est considérée comme « inéluctable » par l’ancien président de la BCE Jean Claude Trichet, lui-même.Ce n’est pas parce que les taux d’intérêt sont bas qu’il ne faut pas rembourser ses dettes.

D’autant plus que le choc pourrait aussi venir du pétrole, en effet boomerang de la stratégie guerrière de Trump et de ses alliés d’Arabie Saoudite et d’Israël vis-à-vis de l’Iran. « Si les tensions venaient à dégénérer en conflit militaire, expliquait fin août Nouriel Roubiniles cours mondiaux du pétrole pourraient grimper en flèche et engendrer une récession, comme ce fut le cas lors des conflagrations précédentes au Moyen-Orient en 1973, 1979 et 1990. » Sans même un embrasement complet, la hausse des prix consécutive à l’attaque de drones Houthis sur les installations pétrolières saoudiennes fragilise à la fois la stratégie américaine et ce qu’il reste de croissance.

Mais, récession ou pas en 2020, la détérioration de la situation économique estgrave en ce qu’elle montre les limites, les impasses et les contradictions des politiques mises en œuvre face à la crise de 2008. L’économie mondiale n’est pas repartie sur des bases nouvelles. Elle reste enfermée dans la crise systémique du capitalisme néolibéral et financiarisé.

Vulnérabilités financières

Dans ce tableau d’ensemble soulignons particulièrement deux questions. D’une part, en Europe le modèle mercantiliste et ordo libéral allemand a imposé sa loi à toute la zone euro et au-delà à toute l’Union. Or, ce modèle n’est pas simplement en panne. Il est en crise. Ce devrait être l’heure des aggiornamentos. Mais cela n’ira pas de soi. Il faudra une mobilisation sociale européenne de grande ampleur pour sortir l’Allemagne du culte de l’épargne et de la recherche d’un redressement au détriment des autres pays européens.

D’autre part, loin de disparaître, des vulnérabilités financières se sont de nouveau développées. Reprenant un diagnostic récent du FMI lui-même, Michel Aglietta souligne que « les déclencheurs d’une vente en détresse d’actifs » susceptible d’engendrer un mouvement général et une crise financière majeure ne manquent pas : « Un ralentissement de la croissance globale plus sévère qu’attendu, un changement non anticipé vers des politiques monétaires plus restrictives dans les pays avancés, des rivalités commerciales prolongées, un Brexit chaotique perturbant les systèmes de paiement internationaux » [2]. A quoi il faut ajouter ce qui se passe dans l’économie réelle et qui est peut- être le plus essentiel : l’épuisement durable des gains de productivité, malgré les innovations et la « nouvelle révolution technologique » de la robotique et de l’intelligence artificielle. Quant aux fragilités financières structurelles, où les ruptures pourraient intervenir, le FMI, dit Michel Aglietta, en identifie au moins trois : « L’endettement élevé des entreprises dans les économies avancées, particulièrement aux Etats-Unis ; le regain de cercle vicieux entre banques et finances publiques en zone euro, particulièrement en Italie ; les vulnérabilités du crédit en Chine et dans les pays émergents face à des investisseurs internationaux devenus plus moutonniers ».

Au secours, la politique monétaire !

Face à la montée des périls, la politique monétaire est à nouveau appelée à la rescousse. La Banque centrale des Etats Unis (FED) a interrompu depuis plusieurs mois sa sortie, pourtant très progressive, de la politique « non conventionnelle » de très bas taux d’intérêt et d’achat massifs d’actifs financiers instaurée dès la fin 2008. Cela ne suffit pas à Donald Trump qui veut que la FED arrose beaucoup plus l’économie des Etats Unis à l’instar de ce qu’il préconisait pour éteindre l’incendie de Notre-Dame.

En Chine, la Banque centrale réduit aussi les réserves obligatoires des banques pour soutenir la distribution des crédits et l’on s’attend à de nouveaux assouplissements de la politique monétaire. Pour ce qui la concerne, la Banque Centrale Européenne n’a pas eu besoin de pressions gouvernementales. Juste avant la fin de mandat de Mario Draghi, elle a décidé, le 12 septembre, un nouvel assouplissement de sa politique monétaire, qu’elle avait pourtant à peine resserrée. Le taux d’intérêt directeur s’enfonce un peu plus en territoire négatif et les rachats d’actifs repartent de plus belle. Un mécanisme d’exonération permettra aux banques de ne pas être pénalisés par les taux négatifs de leurs réserves auprès de la BCE, qui agit en fait comme une taxe. Mais là c’est en quelque sorte le serpent qui se mord la queue, puisque les taux négatifs sur les réserves des banques visent à inciter les banques à distribuer des crédits.

L’argent facile alimentera essentiellement les investissements financiers. Cela permettra peut-être d’éviter – mais jusqu’à quand ? – une nouvelle crise financière. Mais pas de relancer l’activité économique. On en est au point où les économistes de l’establishment eux-mêmes alertent sur les limites des politiques monétaires. Il y a comme un « malaise dans l’économie dominante »analyse l’économiste atterré Michel Husson.

« Précisément ce dont nous n’avons pas besoin »

Ainsi Lawrence Summers, l’un des théoriciens de la stagnation séculaire qui publie avec Anna Stansbury, un article où il se rallie même aux analyses des économistes post-keynésiens« D’un point de vue macroéconomique, écrivent les deux économistes, de faibles taux d’intérêt favorisent l’effet de levier et les bulles d’actifs, en réduisant les coûts d’emprunt et les facteurs d’actualisation, ainsi qu’en incitant les investisseurs à rechercher le rendement. Les explications autour de la crise financière de 2008 pointent presque toutes du doigt les conséquences des très faibles taux d’intérêt observés au début des années 2000. » « Il y a quelque chose de malsain, ajoutent-ils, dans une économie au sein de laquelle des entreprises peuvent emprunter et investir avec rentabilité même si leur projet ne produit aucun rendement. »

Conclusions : « Ces aspects suggèrent que la réduction des taux d’intérêt pourrait non seulement ne pas suffire, mais en réalité se révéler contre-productive, dans la réponse à la stagnation séculaire [...] Les ingéniosités des banquiers centraux dans l’assouplissement de la politique monétaire, au sein d’un environnement de stagnation séculaire, constituent précisément ce dont nous n’avons pas besoin. Le besoin réside dans la reconnaissance d’une impuissance, qui pousserait les gouvernements à promouvoir la demande par des politiques budgétaires et d’autres moyens. » Tout le contraire de la politique d’Emmanuel Macron et de son projet de budget 2020 qui n’accorde une baisse de l’impôt sur le revenu des couches sociales moyennes qu’en renforçant l’asphyxie des services publics et qu’en perpétuant une volonté de réformes antisociales.

A vrai dire ajouter une simple et nouvelle relance budgétaire à une politique monétaire accommodante ne suffira pas. Le mal est beaucoup plus profond. C’est ce que diagnostique, pour sa part, Michel Husson : « Il faudrait traiter le problème de manière moins circonstancielle et se demander si le capitalisme est capable de restaurer la source de son dynamisme. On pourrait aussi poser cette question de fond : l’épuisement des gains de productivité ne conduit-il pas à une raréfaction des investissements rentables qui serait responsable de la dépendance à une finance chaotique ? Dans ce cas, les appels des néo-keynésiens à une politique de relance budgétaire seraient vains, parce qu’ils ne répondent pas à la soif de profit du capitalisme. »

Les mauvaises nouvelles économiques ne font que renforcer l’urgence de réformes institutionnelles extrêmement profondes pour réorienter les financements vers les investissements humains et matériels de long terme. Comme l’explique sur son blog l’ancien responsable économique de la CGT, Jean-Christophe Le Duigou : « L’endettement actuel est la contrepartie des déséquilibres du mode économico-financier de croissance qui s’est imposé à partir des Etats-Unis depuis 40 ans. Remettre en cause cette financiarisation est une priorité. Cela passe d’abord par une relance sélective du crédit. Ensuite une restructuration tout aussi sélective des créances accumulées est impérative. Le douloureux exemple de la Grèce à qui les créanciers ont refusé d’engager le processus, en est à contrario la démonstration. Encore faut-il rapidement, avant un nouveau crack financier, ouvrir ce double chantier. »

Bernard Marx

Notes

[1] CEPII : L’économie mondiale 2020. Editions La Découverte, septembre 2019

[2] CEPII : L’économie mondiale 2020. Editions La Découverte, septembre 2019