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En Colombie, des dissidents des FARC se lancent dans une guerre hasardeuse
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
DES FIGURES DE L’EX-GUÉRILLA ONT DÉSERTÉ LE PROCESSUS DE PAIX, INVOQUANT LA VIOLATION DES ACCORDS DE PAIX PAR L’ÉTAT ET LA NÉCESSITÉ DE FÉDÉRER LES LUTTES CLANDESTINES CONTRE L’« OLIGARCHIE CORROMPUE ». CE NOUVEAU GROUPE, MINORITAIRE DANS LE PAYSAGE DU CONFLIT ARMÉ, PEINE À TROUVER SES ALLIÉS, MAIS EST À LA SOURCE DE NOUVELLES TENSIONS ENTRE LE GOUVERNEMENT ET LE VENEZUELA VOISIN.
Ils avaient disparu des radars depuis plusieurs semaines. Voilà qu’ils réapparaissent, en treillis, au milieu de la forêt, pour annoncer la reprise des armes le 29 août dernier. Loin d’être des inconnus, ceux qui surgissent au premier plan de la vidéo sont quatre anciens cadres des Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC) : « Romaña », « El Paisa », « Jesús Santrich » et « Iván Márquez ». Quatre alias, le dernier n’étant pas moins que l’ex-numéro 2 de la rébellion et le dirigeant des négociations relatives aux accords de paix.
C’est en réponse à la « trahison de l’État » face aux engagements signés fin 2016 que cette vieille garde se dit « obligée » de retourner à la lutte clandestine. « Nous étions tout prêt de mettre fin, via le dialogue, au conflit le plus long de notre époque. Mais nous avons échoué à cause d’un establishment qui n’a pas voulu respecter les principes d’un pourparler », tance « Márquez ».
« L’histoire ne peut se répéter d’une manière aussi grossière », lui répond Jairo Cala. Interrogé par Le Média, celui qui a également occupé une fonction dirigeante au sein de la direction assure que ce nouveau groupe « n’a rien à voir avec ce que furent les FARC ».
Cala est aujourd’hui membre de la Chambre des Représentants en vertu des accords de La Havane, au sein du parti qui a choisi, il y deux ans, de garder les mêmes initiales en se nommant Force Alternative Révolutionnaire Commune. Il assure que « plus de 90 % » des ex-rebelles se maintiennent toujours dans le processus de paix.
Il rappelle également que l’organisation marxiste fonctionne via des « prises de décisions collectives » et que « toute personne qui fait bande à part et reprend les armes en arborant ses couleurs ne peut que faire du mal » au processus de paix et à ceux qui s’y sont engagés. « Cela nous frustre, car ils [« Márquez » et « Santrich »] ont été des négociateurs de premier plan et sont ensuite allés eux-mêmes dans les campements expliquer aux combattants que le temps des armes était révolu », poursuit Jairo Cala.
UNE DÉSERTION CONDAMNÉE PAR LE RESTE DE L’APPAREIL
Aujourd’hui, il ne lutte plus dans la jungle mais bien depuis son siège de député, où il se bat pour apprivoiser le dédale de normes et faire appliquer les dispositions des accords de paix. Le dernier rapport de suivi fait état d’une mise en œuvre d’à peine un tiers des engagements signés et souligne des défaillances critiques, notamment en termes de sécurité. « La violence dans les territoires contre les mouvements sociaux et les dirigeants populaires n’a toujours pas de solution », affirme le parlementaire.
D’autre part, il rappelle que « 87 % » des personnes liées au FARC sont d’origine paysanne et dénonce le fait que « le gouvernement ne fournit pas les garanties nécessaires pour assurer une transition économique et productive dans la légalité ». « Nous avons remis nos biens, en échange de quoi nous aurions du recevoir des terres pour lancer nos activités, mais à peine quelques parcelles ont été délivrées », poursuit Cala, pour qui l’accord de paix doit nécessairement aboutir à « réduire les brèches entre les campagnes et les villes, mais également entre les plus pauvres et les plus riches ».
Comme elle l’avait fait lorsque le gouvernement avait tenté en vain, six mois plus tôt, d’amender le processus de justice transitionnelle, l’opposition a montré un visage uni pour condamner cette tentative de résurrection de la guérilla. Soutenu par des formations de centre et de gauche, Rodrigo Londoño, alias « Timochenko », le dernier commandant en chef de la guérilla, a pour sa part réitéré ses appels à la mise en œuvre complète de l’accord final, tout en soulignant que les « violations évidentes de l’État » n’ont pas été suivies d’« autres violations » dans le camp d’en face.
Mais « Márquez » et ses acolytes affirment cependant avoir été « contraints de retourner dans le maquis » du fait de la « perfidie » d’une élite qui a « modifié unilatéralement le texte de l’accord ». « Un État qui ne respecte pas ses engagements ne mérite ni la confiance de la communauté internationale ni celle de son propre peuple », proclame le manifeste lu par l’ex-numéro 2, qui annonce également la mise en place d’un nouveau modus operandi. Finies les attaques, « nous ne répondrons qu’à l’offensive » des autorités, explique-t-il.
Ces dernières n’ont pas tardé plus de 24 heures à leur répondre et à faire pleuvoir les bombes sur un campement de dissidents de la guérilla éteinte, situé dans le sud du pays, en en tuant neuf, dont un leader local. Guillermo Botero, le ministre de la Défense, a lancé une avertissement sans équivoque : « Les délinquants sont avertis : soit ils se rendent, soit ils seront vaincus ».
L’OMBRE DE LA CRISE VÉNÉZUÉLIENNE
L’attaque révèle la crainte du gouvernement face à la possibilité que « Márquez » et ses hommes parviennent à unifier l’ensemble des déserteurs au processus de paix, qui seraient entre 1000 et 3000, répartis sur toute la Colombie, suivant les estimations. « Cela me paraît difficile, les différents groupes dissidents ont gagné en autonomie au fil des années. Ayant comme fond de commerce l’économie illégale, la plupart d’entre eux préfèrent faire profil bas », estime Juan Carlos Garzón.
Interrogé par Le Média, ce spécialiste du conflit armé au sein de la Fondation Ideas para la Paz voit dans le manifeste des ex-chefs de la guérilla un moyen « d’insuffler du contenu politique à une dynamique qui semble, pour le moment, se baser surtout sur la criminalité ».
Dans son discours à la nation consécutif à l’annonce, le président Iván Duque a rejeté, de fait, tout fondement politique et a pointé du doigt le pays voisin. « Nous ne sommes pas confrontés à une nouvelle guérilla, mais aux menaces criminelles d’une bande de narcoterroristes qui ont l’abri et le soutien de la dictature de Nicolás Maduro », a-t-il affirmé, en appelant à la collaboration de Juan Guaidó, qu’il considère comme son homologue légitime, bien que ce dernier peine de plus en plus à exister huit mois après son auto-proclamation comme chef de l’État.
« La crise vénézuélienne s’est indéniablement invitée dans la création de ce nouveau groupe armé », analyse Juan Carlos Garzón. « Tous les acteurs du conflit colombien présents le long de la frontière vénézuélienne vivent des nombreux trafics qui émanent de ce pays. […] Les FARC de « Márquez » pourraient tout naturellement s’être agrégés à ce panorama ».
En harmonie avec les responsables colombiens, une partie de l’opposition vénézuélienne répète à tue-tête que les guérillas se pavanent sur le territoire de la République bolivarienne. Maduro avait affirmé il y a quelques semaines que « Márquez » et « Santrich » étaient les « bienvenus » chez lui : certains éléments troublants alimentent cette thèse, tels les uniformes revêtus par certains protagonistes de la vidéo diffusée le 28 août, identiques à ceux de l’armée locale.
UNE COQUILLE VIDE QUI ACCENTUE LES DIFFICULTÉS DU PROCESSUS DE PAIX
« Les guérillas colombiennes ont depuis longtemps utilisé le Venezuela comme une base arrière, une option de retrait », rappelle Juan Carlos Garzón. « Mais actuellement, c’est davantage une confluence d’intérêts entre le groupe de « Márquez » et le gouvernement de Maduro qui se manifeste », un paramètre de plus dans l’exacerbation des tensions entre Bogota et Caracas. « Cette situation ne demeure pas moins paradoxale car Hugo Chávez a eu un rôle fondamental dans le processus de paix avec les FARC, en leur expliquant que leurs idées pouvaient arriver au pouvoir sans armes. Cette dynamique a radicalement changé avec l’arrivée de son successeur et l’aggravation de la crise », ajoute le chercheur.
C’est en direction du Venezuela que s’était volatilisé « Santrich » en juin dernier. Cette autre figure du mouvement, reconnaissable à son keffieh et ses lunettes de soleil, avait été écrouée pour des accusations de narcotrafic, avant d’être libérée sur ordre de la justice transitionnelle. Son parti ainsi qu’un comité de soutien l’avaient défendu bec et ongles en dénonçant un « montage judiciaire ». Avant que celui-ci, malvoyant, ne réapparaisse, Kalachnikov à la main, aux côtés de « Márquez ».
Du pain béni pour l’extrême-droite colombienne, incarnée par l’ex-président Álvaro Uribe, qui a profité de l’occasion pour demander une nouvelle fois le démantèlement des accords de paix. « Ici, il n’y a pas eu de paix, mais une grâce accordée à certains responsables de crimes odieux », a lancé le chef de file du parti qui a propulsé l’actuel président, Iván Duque, à la tête du pays.
À coups d’envolées lyriques, « Márquez » et ses camarades invoquent tour à tour Simón Bolivar, père des indépendances sud-américaines, l’héritage de la fondation des FARC – remontant à 1964 -, ou encore le massacre des milliers de sympathisants de la Unión Patriótica, dans les années 1990, un processus de paix raté qui les avait déjà contraints à reprendre les armes. D’autres époques, d’autres guerres, comme pour justifier ce qui semble émerger comme une coquille vide. Les appels aux autres dissidents ne semblent pas fructueux, à l’instar de celui adressé à l’Armée de Libération Nationale (ELN), la guérilla guévariste qui s’accommode de zones périphériques débarrassées des FARC.
La FARC, le parti, songe quant à lui à changer de nom et se débat pour exister malgré tout dans la campagne pour les élections régionales, qui se tiendront fin octobre. Dans ce processus déjà entaché de violence, les ex-combattants convertis à la vie civile espèrent faire mieux que les 55400 votes qu’ils avaient obtenu lors des législatives de 2018.