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Le communisme pour dépasser le capitalisme

Lien publiée le 27 septembre 2019

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https://www.humanite.fr/table-ronde-le-communisme-pour-depasser-le-capitalisme-677779?amp

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Sur fond de crise du capitalisme et face aux menaces environnementales, le communisme, avec le recours à Marx, est pleinement d’actualité. Extraits de la rencontre organisée le 14 septembre à l’Agora de la Fête de l’Humanité.
Avec la participation des philosophes Lucien Sève, Isabelle Garo, Bernard Vasseur et Jean Quétier.

Jean Quétier

Doctorant en philosophie, traducteur de Karl Marx et de Friedrich Engels

Bernard Vasseur

P>Philosophe et auteur de Communiste ! Avec Marx (Éditions PCF 93)

Isabelle Garo

et autrice de Communisme et stratégie (Éditions Amsterdam)

Lucien Sève

Philosophe

Philosophe et auteur de Communisme ? (Éditions sociales)

En quoi le communisme de Karl Marx nous est-il utile pour penser un monde nouveau ?

JEAN QUÉTIER Depuis une dizaine d’années, la référence à Marx a fait un retour sur la scène intellectuelle notamment. On peut même parler d’un recours nouveau à Marx. Les publications le concernant se multiplient dans différentes disciplines. L’an dernier, le bicentenaire de sa naissance a eu un rayonnement international. Cela montre que l’œuvre de Marx est incontournable. Ce n’est pas un hasard si cette réémergence de la pensée de Marx date de la crise financière de 2008. Dans ce retour à Marx, on a mis en avant la pertinence de ses analyses des contradictions qui traversent le mode de production capitaliste. En philosophie, on y revient pour penser l’aliénation. Plus récemment, on a mis en lumière le caractère précurseur de ses analyses sur l’environnement en lien avec la problématique écologique. Toutes ces directions de recherche sont décisives, mais je dirais qu’il y a un autre apport de sa pensée qui fait le lien avec le thème de ce débat et qui devrait être davantage mis en avant. C’est ce que l’on appelle le Marx politique : le Marx communiste pour le dire en une expression. Le film de Raoul Peck le Jeune Karl Marx lui donne d’ailleurs la part centrale. On peut alors s’interroger : en quoi la conception de communisme chez Marx est-elle novatrice ? On le sait, le philosophe n’est pas l’inventeur du communisme, ni du mot ni de la chose.

Quel est alors son apport singulier ?

JEAN QUÉTIER Avec Marx, le communisme cesse d’être une utopie, au sens d’une recette toute faite, pour devenir le nom d’un engagement au cœur de la pratique réelle de la classe des travailleuses et des travailleurs. Le communisme devient chez Marx, au cours des années 1840, une question d’organisation. Cela va le conduire à participer à l’émergence pratique et théorique de la forme moderne de l’organisation du mouvement ouvrier : le parti politique. En rompant avec un communisme de nature utopique, Marx rompt également avec une forme d’organisation de la société secrète ou de la secte, liée au communisme archaïque et utopique dont le caractère était fondamentalement antidémocratique. Cette intervention sur le terrain stratégique ouvre alors un nouveau champ du possible pour le communisme. On aurait intérêt à réinvestir cette direction de recherche.

Bernard Vasseur, vous venez de publier Communiste ! Avec Marx. Pourquoi faut-il être communiste aujourd’hui ?

BERNARD VASSEUR En 2020, ce sera le centenaire du Parti communiste, et ce sera l’occasion de parler à la société. Je vois bien ce que l’on pourra dire du passé : Jaurès, la tuerie de la guerre de 1914-1918, le Front populaire, la Résistance, etc. Mais sur l’avenir ? Les médias ne vont pas manquer de nous envoyer à la figure : « 100 ans, c’est un bel âge pour mourir. Il faudrait songer à renoncer et à faire autre chose. Par exemple, devenez le parti du commun ou des communs, ou encore le parti du peuple ou le parti de la planète, ou tout simplement un parti de gauche un peu plus à gauche. » Nous répondrons, je l’espère : « Nous devons être communistes, mais l’être d’une manière nouvelle. » Le Parti communiste est très fier de s’appeler ainsi, mais ne parle pratiquement jamais du communisme. On en parle au moment du congrès. Le problème est de parler du communisme et de le faire vivre dans des batailles, dans des pratiques politiques, dans ce qui est en quelque sorte l’aliment du combat. C’est au nom du pour quoi on se bat qu’on est bien plus fort que dans le contre quoi on agit. La conscience du contre est impuissante à secréter la conscience du pour. C’est en partant de là qu’on peut lire Marx de manière nouvelle, car il est un acteur du communisme. Lorsque Marx avec Engels écrivent le Manifeste du Parti communiste, ils sont des penseurs et des acteurs du communisme. De l’autre côté existe un mouvement ouvrier où ceux qui sont majoritaires portent l’appellation de socialisme. Cette distinction entre communisme et socialisme se poursuit au XXe siècle, notamment lors de la révolution d’octobre 1917 pour d’autres raisons. Ce que nous a légué l’histoire des deux siècles derniers, c’est cette idée que le communisme ne pouvait jamais être à l’ordre du jour des luttes sociales du présent, parce qu’il y a toujours eu un préalable : le socialisme. Le communisme a toujours été repoussé dans un horizon lointain. Pour moi, il faut mettre à jour cela afin de le détricoter pour enfin accéder à la pensée de Marx telle qu’elle a été formulée et revenir au communisme : la critique de l’exploitation du capitalisme dans le travail, mais aussi celle de l’aliénation dans tous les domaines, la dépossession des leviers de sa propre vie. Le but de la société communiste est « le développement humain comme fin en soi », ce que Marx appellera aussi l’émancipation.

Isabelle Garo, dans Communisme et stratégie, vous affirmez que l’enjeu stratégique peut ouvrir une nouvelle voie alternative au capitalisme ?

ISABELLE GARO Il est frappant de voir ressurgir le terme de communisme, alors que les alternatives subissent une crise aussi profonde que le capitalisme lui-même. De fait, ce retour est surtout théorique, voire rhétorique : le communisme comme concept, ou comme idéal, reste séparé d’un véritable projet politique incluant la question des conditions pour y parvenir. Parler du communisme, c’est donc commencer par se confronter à l’état désastreux du mouvement ouvrier, organisations politiques et syndicales comprises, à la montée d’un néolibéralisme autoritaire qui fait le lit de l’extrême droite : il y a urgence. Face à cette urgence, une visée communiste grandiloquente, mais sans consistance politique, nous condamne à une stratégie qui se résume aux accords électoraux par en haut, les yeux braqués sur les élections et qui conduisent à perdre et à perdre encore. Elle entretient aussi et par contrecoup le dégoût de la politique institutionnelle, dont se nourrissent l’abstention, le désespoir et le fascisme. Une stratégie digne de ce nom doit rendre au mot de communisme son sens politique au présent. Pour autant, l’arracher au monde des songes creux ne veut pas dire renoncer à la théorie, cela signifie penser ensemble les conditions concrètes de la construction du grand soulèvement social et politique dont nous avons besoin.

Comment alors y parvenir ?

ISABELLE GARO Le propre de la stratégie ne consiste pas à définir les moyens d’un but prédéfini, mais à relier une finalité (un projet de société non capitaliste) et des conditions concrètes (la situation sociale et politique). L’utilisation du mot socialisme est de ce point de vue à reconsidérer. Sur un terrain où l’intervention ne peut être que collective et concertée, je voudrais surtout insister sur ce constat : l’éclatement présent des projets et des perspectives. Il s’agit alors de se préoccuper des moyens de nous mobiliser et d’organiser les classes populaires autour de la construction d’un projet commun, rompant radicalement, de façon globale et concertée, avec un capitalisme toujours plus mortifère et violent, irréformable. Marx lu comme stratège nous aide à penser ce que peut être non le communisme comme idéal, mais une politique communiste, comme moyen et médiation pour parvenir à ce qui est le plus gigantesque effort de l’humanité consciente, le communisme. Il s’agit d’un processus long et conflictuel, qui s’invente à mesure qu’il s’incarne. Ainsi, le communisme n’est pas seulement un autre mode de production et d’autres rapports sociaux, mais un mode de dépassement et d’invention historique, permettant de sortir du capitalisme et de l’emporter face à des classes dominantes. C’est bien la construction d’un bloc populaire émancipateur et anticapitaliste qui est la condition de la réélaboration progressive et collective d’une alternative radicale viable, face à l’urgence sociale et environnementale. Bref, toutes les luttes, bien distinctes, sont à considérer ensemble, à relier sans les réduire. Le mot de communisme, et surtout l’adjectif communiste, en incluant les organisations qui s’en réclament, mais bien au-delà d’elles, désignent ce long combat et la nécessité de faire le bilan de nos victoires autant que de nos échecs, d’utiliser les structures existantes, mais aussi de les réinventer radicalement. Un avenir humain en dépend.

Lucien Sève, vous présentez le quatrième tome « Le communisme ? » de votre grande œuvre Penser avec Marx aujourd’hui, où vous insistez sur le communisme en tant que mouvement ?

LUCIEN SÈVE En effet, je viens juste de publier ce livre de près de 700 pages auquel j’ai travaillé quatre ans, et qui n’est pourtant que sa première partie, le second volet, à paraître, abordera la question cruciale de « Quel communisme pour le XXIe siècle ? ». J’ai voulu d’abord exposer la genèse et le contenu de ce que j’appelle la visée communiste marxienne. C’est une affaire complexe, bien trop peu approfondie à mon sens, et de capitale importance pour comprendre ce qui s’est produit de si grandiose et si terrible à la fois au XXe siècle. À ce sujet, passionnante est déjà la formation première de cette visée entre 1843 et 1848, à Paris d’abord, au contact de ce prolétariat français qui a plébiscité en 1840 le mot communisme, et à laquelle Marx, à moins de 30 ans, va donner un contenu d’une richesse et d’une clairvoyance impressionnantes. Mais aux chances ainsi ouvertes se lie souterrainement un grave risque ensuite. Non que Marx se soit trompé sur le fond, bien au contraire : il a entrevu juste, mais avec une énorme avance sur le mouvement de l’histoire. Car passer du capitalisme au communisme comporte de drastiques conditions de possibilité sociales et humaines. Et au XXe siècle, même dans les pays les plus avancés, elles sont encore trop peu rassemblées, à plus forte raison dans des pays en lourd retard comme la Russie. Ainsi se noue une redoutable contradiction entre maturité de la révolution politique et immaturité de l’immense transformation sociale visée. Il y a du drame dans l’air…

Comment qualifieriez-vous ce « drame » ?

LUCIEN SÈVE Je résume d’une phrase : au XXe siècle, le communisme aurait été essayé, et ce fut le plus effroyable des échecs – disqualification définitive et sans appel ! Ici se joue donc la réponse à la question qui nous assaille avec violence : allons-nous pouvoir sortir du capitalisme avant qu’il nous ait conduits à des catastrophes écologiques et anthropologiques définitives ? Et ce n’est là rien d’autre que l’incontournable question renaissante du communisme. Oui, mais ça, se disent la plupart, on a vu au siècle dernier que c’est le pire de tout. On n’a donc aucune chance de rendre à nouveau crédible et même désirable le communisme si l’on ne tire pas radicalement au clair pour tous la question apparemment rebattue et en vérité entièrement mystifiée du stalinisme. Peut-on oser, la tête haute, se réclamer encore du communisme après Staline ? Oui, si ce qui a été vécu sous Staline fut le contraire même du communisme. Par là, tout le communisme du XXe siècle, malgré ses mérites et plus d’une fois son héroïsme, va se trouver dévoyé, paralysé, disqualifié. Par-delà la légende qu’entretiennent soigneusement ses adversaires et que partagent naïvement même des marxistes, la vérité pure et simple est que le communisme n’a jamais nulle part été mis en œuvre jusqu’ici. Conclusion politique capitale : il n’est pas derrière nous comme le pire des échecs, il est devant nous comme la plus précieuse des chances. À condition que nous ayons la lucidité et le courage de sa repensée fondamentale et de sa reconstruction novatrice. Le fait nouveau crucial est que le passage à une société sans classes n’est enfin plus une chimère, le capitalisme est d’évidence en bout de course historique, les déjà-là de communisme se multiplient – leur mise en relief sera une part centrale de la deuxième partie du livre dont j’ai commencé la rédaction. L’heure est à engager sans attendre le dépassement communiste d’un capitalisme qui nous tue. Énormément de travail nouveau est à faire, de débats à mener. Le communisme est et doit être le « mouvement réel d’aujourd’hui ». C’est vital, et c’est urgent. Allons-y !