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Scorsese et le cinéma américain

Lien publiée le 29 septembre 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

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Martin Scorsese et le cinéma américain

Martin Scorcese reste un cinéaste incontournable. Il a réalisé quelques grands classiques du cinéma américain et continue de rester actuel. Sa trajectoire se confond avec celle d'Hollywood et de la société américaine. 

Le réalisateur Martin Scorsese reste une figure incontournable du cinéma américain. Ses films, mais aussi son parcours, reflètent l’histoire de la société américaine. Il traverse plusieurs période du cinéma. Du Nouvel Hollywood jusqu'à Netflix, il ne cesse de s'adapter et de se renouveler. Même si ces films s'ancrent souvent dans la pègre des quartiers populaires de New York pour évoquer des thèmes moraux comme la  trahison. Régis Dubois propose une biographie qui évoque le cinéaste et la contre-culture américaine dans le livre Martin Scorsese, l’infiltré.

                       Martin Scorsese Linfiltre - livre

Classe ouvrière immigrée

Martin Scorsese grandit dans le quartier italien du Queens, à Long Island (New York). Il est issu d’un milieu ouvrier et d’une famille d’immigrés siciliens. Le jeune Marty découvre le cinéma, avec les péplums, les films d’aventures et de science fiction, les westerns avec John Wayne. La famille Scorsese déménage dans le quartier populaire de Little Italy. L’ambiance chaleureuse fait songer à un village sicilien. Mais c’est aussi le quartier de la Mafia, de la Cosa Nostra. Le jeune Marty observe que certaines personnes suscitent la crainte et le respect de la communauté. Mais il ne comprend pas encore. Les modèles à suivre sont des gangsters ou des prêtres.

Martin Scorsese subit l’influence d’un prêtre et semble intéressé par la dimension morale de la religion. Mais il découvre une passion pour le cinéma. Il dévore les films de Richard Brooks, Alfred Hitchcock, Samuel Fuller, Billy Wilders. Mais il est surtout marqué par le film Sur les quais, d’Elia Kazan. C’est à quatorze ans qu’il découvre cette chronique réaliste avec des personnages qui lui rappellent son quotidien. « Le fait est qu’ils venaient de la rue. Et je dois dire que c’était vraiment comme ça. C’étaient les gens qui m’entouraient », décrit Martin Scorsese. Ce film évoque le milieu ouvrier et immigré new-yorkais, mais surtout la Mafia qui a infiltré le syndicat des dockers.

Martin Scorsese rentre à l’université au début des années 1960. Il découvre un autre monde que la culture patriarcale italo-américaine. C’est la période des beatniks, avec leur musique jazzy et leur littérature existentialiste. Il découvre les protest songs et la musique folk de Bob Dylan. La jeunesse devient solidaire des luttes des Noirs pour les droits civiques et dénonce l’anti-communisme de la guerre froide. La jeunesse rejette le modèle parental, le puritanisme moral et l’american way of life.

Avec ses études de cinéma, Martin Scorsese découvre les grands classiques du septième art. Il voit également les films de jeunes réalisateurs qui tournent en dehors des studios hollywoodiens. Il devient alors facile de faire du cinéma. En 1964, il met en scène le court-métrage It’s Just Not You, Murray ! Ce film se plonge dans la communauté italo-américaine et le monde du crime. Bring on the dancing girl évoque les errements d’un jeune Italo-américain et de sa bande de potes désœuvrés dans le quartier de Little Italy. Martin Scorsese s’inspire de tous ceux qu’il observe, à commencer par ses amis. Il parvient à recréer l’atmosphère de son quartier avec les bagarres, la petite délinquance, l’ennui, les soirées, la drague.

Who’s that knoking on my door se concentre sur l’histoire d’amour entre J.R. et une jeune femme de classe moyenne. Le film évoque les tiraillements entre la morale catholique et la libération sexuelle. Le personnage hésite également entre la trahison avec l’ascension sociale et la fidélité à ses amis du quartier. Ses thèmes sont très autobiographiques. Martin Scorsese montre également son sens de la mise en scène. Il propose une scène érotique sur fond de musique rock.

Martin Scorsese embrasse la contre-culture, la contestation et l’opposition à la guerre du Vietnam. Il participe au documentaire collectif et militant Street Scene. Il montre la frustration et l’impuissance de jeunes gauchistes issus de bonnes familles. Il se sent différent des autres étudiants, « car même s’il ne résonna jamais en termes de classe, il ne fait aucun doute qu’il se sentait davantage proche de la classe ouvrière – dont il était issu – que de la petite bourgeoisie », analyse Régis Dubois. Martin Scorsese réalise le documentaire Woodstock, sur le festival qui incarne l’apogée de la culture hippie. Ce qui lui ouvre les portes d’Hollywood.

    Â« Taxi Driver », de Martin Scorsese

Nouvel Hollywood

La fin des années 1960 permet l’émergence du Nouvel Hollywood. Les westerns et les comédies musicales sont ringardisés par les mouvements contestataires, les luttes des minorités, l’opposition à la guerre et la libération sexuelle. Le public, plus jeune et conscientisé, aspire à des films exigeants et audacieux. Mais l’industrie du cinéma ne s’autorise pas à parler de sexe, de drogue, de violence et de politique. Le code Hays incarne la censure au cinéma. Mais une nouvelle génération de réalisateurs, sur fond de culture rock, s’emparent d’Hollywood. Bertha Boxcar s’inscrit dans cette filiation. Martin Scorsese s’inspire de la vie de Bertha Thompson, une anarchiste hobo pendant la Grande Dépression. Cette bande de brigands révolutionnaires comprend un syndicaliste communiste, un Juif, un Noir et une femme libérée et sexy. Des scènes de violences et d’érotisme rythment cette ambiance contestataire.

Mean streets évoque une bande de petits délinquants de Little Italy qui fréquentent la mafia et basculent dans la violence. Harvey Keitel et Robert De Niro sont les acteurs principaux. Martin Scorsese replonge dans ses thèmes de quartier populaire, d’ascension sociale, de trahison et de criminalité. C’est un mélange de code d’honneur sicilien et de rêve américain. Mean streets inaugure un « cinéma de la rue » ancré dans la réalité des quartiers populaires. Auparavant, les films se focalisent sur le quotidien de la petite bourgeoisie et les classes populaires apparaissent peu à l’écran.

Paul Schrader, un critique de cinéma, crée le scénario de Taxi Driver. Ce film brosse l’histoire d’un vétéran de la guerre du Vietnam rendu insomniaque qui devient chauffeur de taxi de nuit à New York. Il sillonne les quartiers populaires de Time Square et de Harlem rongés par le vice, la violence et la saleté. Il ne cesse de ruminer sa haine des autres et bascule progressivement dans la folie. Cette histoire correspond bien à Martin Scorsese. Elle évoque les tiraillements d’un individu entre les tentations d’une ville pleine de vice et une morale religieuse.

Ensuite, le film évoque le contexte social. En 1975, New York et l’Amérique semblent sur le déclin. La débâcle de l’armée au Vietnam, les révoltes des ghettos noirs, les affrontements de rue entre les gauchistes et la police, les assassinats politiques, le scandale du Watergate, la montée du trafic de drogue et du porno dessinent une ambiance de décadence. Le film fait écho à cette crise morale de l’Amérique avec les désillusions post-Woodstock. Le personnage incarné par Robert De Niro est un individu raciste et réactionnaire. Le film montre l’absurdité des attitudes machistes et des violences contre les femmes. Il évoque également la misère sexuelle et la frustration.

      

  Photo Robert De Niro

En marge des années Reagan

 

Un tournant s’observe en 1977. Hollywood valorise les films positifs, avec une fin heureuse, pour faire revivre le rêve américain. Rocky gagne trois oscars alors que Taxi Driver n’en obtient aucun. Ensuite, Les Dents de la mer et Star Wars ouvrent l’ère des blockbusters. Des films de divertissements bourrés d’effets spéciaux deviennent à la mode. Le cinéma n’est plus destiné uniquement aux adultes mais vise davantage un public adolescent. 1977 marque aussi l’émergence du mouvement punk.

Dans Raging Bull, Robert De Niro incarne Jack La Motta. Le film retrace la vie du champion de boxe, de son ascension à sa chute. Il se compromet avec la Mafia et doit se coucher au court d’un match truqué. Le film explore le sentiment de culpabilité et la déchéance morale. Il se plonge également dans la mentalité sauvage et tourmentée du boxeur. Raging Bull marque la rédemption de Martin Scorsese après son addiction à la cocaïne.

En 1980, l’élection de Ronald Reagan amorce une « révolution conservatrice ». La contestation et la contre-culture disparaissent au profit du retour de l’Amérique triomphante, avec son culte de l’argent et son puritanisme moral. La réussite devient le seul objectif. Le Nouvel Hollywood s’effondre. Les producteurs prennent le pouvoir pour écarter les réalisateurs. Les films d’actions spectaculaires sont valorisés. « Exit les antihéros torturés, les univers sombres et les fins déprimantes, l’heure était de nouveau aux happy ends, au manichéisme, aux héros vertueux, à la célébration de la famille, au rêve américain et aux corps bodybuildés », observe Régis Dubois.

En 1990, le film Les affranchis évoque à nouveau la communauté italo-américaine de New York et ses liens avec la Mafia. Les affranchis permet à Martin Scorsese de renouer avec son identité de cinéaste. Ce film culte marque une nouvelle génération de spectateurs, de critique et de jeunes réalisateurs. Il retrace l’histoire d’Henry Hill qui grandit dans un quartier ouvrier de Brooklyn. Il est fasciné par les gangsters et devient un des leurs. Le récit s’étend de 1955 à 1980. Le film brosse la vie quotidienne de ces gangsters et s’attache à la précision du détail véridique. Les affranchis n’évoque pas les grands parrains mais les « prolétaires » de la Mafia.

Ce film fait écho à la vie de Martin Scorsese. Henry Hill refuse de tuer mais tente de s’intégrer dans le milieu du crime organisé, sans jamais se sentir à sa place. Un peu comme Martin Scorsese avec le milieu du cinéma. Ensuite, le film évoque la trahison et la culpabilité. Martin Scorsese se sent également coupable de s’être éloigné de ses amis d’enfance de son milieu social de Little Italy.

      Leonardo DiCaprio et Jack Nicholson - Les Infiltres

Cinéma réaliste

Les années 1990 marquent le retour des films destinés aux adultes et moins consensuels. Jim Jarmusch, Spike Lee, Steven Soderbergh, les frères Cohen ou encore Gus Van Sant incarnent un cinéma indépendant dans le sillage de leurs aînés du Nouvel Hollywood. « Les films se voulaient plus exigeants et plus personnels, mais surtout plus subjectifs, car ce qu’ils montraient c’était l’envers du rêve américain, le monde des laissés-pour-compte, des marginaux, des Noirs, des gays… », analyse Régis Dubois. Ce cinéma reste ancré dans la réalité sociale. Avec Nerfs à vif, Martin Scorsese écorne l’image de la petite famille idéale et le modèle de l’american way of life. Dans Le temps de l’innocence, le contexte de la haute société new-yorkaise des années 1870 permet de critiquer le conformisme et les conventions conservatrices.

Casino évoque la mafia de Chicago et la ville de Las Vegas. Des gangsters un peu plus embourgeoisés font écho à la face sombre du rêve américain. La ville de Las Vegas illustre également la modernité marchande et l’artifice du monde capitaliste. « La transformation de Las Vegas en Disneyland ressemble à ce que l’on observe partout dans le monde depuis la fin de la guerre froide : le règne des corporations géantes avec leurs parcs d’attractions et leur cinéma de grande consommation », confie Martin Scorsese.

Au début des années 2000 sort une salve de blockbusters avec MatrixLe seigneur des anneaux ou Harry Potter. Martin Scorsese doit à nouveau se réinventer alors que de nombreuses figures du Nouvel Hollywood sont ringardisées. Gangs of New York apparaît comme une grande fresque historique. Ce film évoque la guerre des gangs du sud de Manhattan des années 1840 aux années 1860. Une histoire de vengeance s’inscrit dans la grande histoire de l’Amérique avec la guerre de Sécession, la corruption politique, les émeutes liées à la conscription et autres événements majeurs. Ce film à grand spectacle permet à Martin Scorsese de revenir à son sujet de prédilection. Il se replonge dans sa ville natale, avec ses origines prolétaires et immigrées.

Leonardo DiCaprio devient le nouvel acteur fétiche de Martin Scorsese, après Harvey Keitel et Robert De Niro. Mais le blondinet insipide au physique lisse ne cesse de s’améliorer. Il atteint la maturité avec Les infiltrés. L’histoire se situe dans le milieu irlandais de Boston. Un « indic » (Leonardo DiCaprio) infiltre la Mafia tandis qu’une « taupe » (Matt Damon) au service du caïd Frank Costello (Jack Nicholson) intègre la police. Ce film évoque la réalité de l’époque, et non le passé. Il présente une vision sombre de la société et de l’humanité. Shutter Island, situé en 1954, raconte une enquête au sein d’un hôpital psychiatrique de haute sécurité. Il évoque à nouveau les thèmes de la culpabilité et de la paranoïa.

Le loup de Wall Street s’attaque au monde des traders et de la délinquance en col blanc. Mais l’univers reste le même que Les Affranchis ou Casino. « Comme dans presque tous ses films, on y retrouvait un personnage d’outsider venu de nulle part (un "infiltré") qui intégrait un milieu fermé, se hissait au sommet puis, par excès d’orgueil, d’ego et d’ambition, sombrait dans le pêché qui précipitait sa chute et sa déchéance », analyse Régis Dubois. Cette trajectoire fait écho à celle de Martin Scorsese et à son vécu par rapport au monde du cinéma.

The Irishman se dessine comme un nouveau projet ambitieux financé par Netflix. Des anciens gangsters reviennent sur leur passé et replongent dans le milieu du crime organisé des années 1970. Martin Scorsese saura sans doute bien filmer des personnages à son image. Ils sont issus de la classe ouvrière et jettent un regard sur leur parcours, leur ascension sociale, leur mélancolie, leur culpabilité et leur trahison sociale.

      

   

Cinéma et critique sociale

Régis Dubois propose une belle biographie de Martin Scorsese. Il développe un regard croisé sur la vie et l’œuvre du cinéaste. Ses films puisent dans son vécu et dans ses questionnements existentiels. Surtout, Régis Dubois replace les films de Martin Scorsese dans leur contexte historique. Il propose, à travers le parcours d’un réalisateur emblématique, une histoire du cinéma américain.

Martin Scorsese est parvenu à traverser les époques. Il ne cesse de se renouveler mais tente de rester fidèle à la démarche de ses débuts. Son cinéma s’inspire directement de sa vie quotidienne dans un quartier ouvrier et immigré. Une filiation s’observe de Mean Street au Loup de Wall Street, en passent par Les affranchis et Casino. Ses personnages suivent la même trajectoire sociale, des gamins des rues de New York à l’homme d’affaire milliardaire, en passant par la petite bourgeoisie du crime organisé. Le thème de la culpabilité et de la trahison sociale imprègne ces films. Martin Scorsese reste un cinéaste qui aime se plonger dans le milieu de la classe ouvrière immigrée, dans les bas-fonds de New York, dans la pègre et la Mafia.

Martin Scorsese accompagne également l’histoire du cinéma et de la contre-culture. Il est bercé par la contestation des années 1968. Il participe à la révolte étudiante. Surtout, il incarne le Nouvel Hollywood. Il propose un cinéma qui jette un regard sombre sur la réalité sociale. Il reste éloigné de la féérie et de la magie du cinéma. Le grand écran ne doit pas uniquement permettre de s’évader, mais il permet aussi d’explorer la face sombre de la société américaine. Martin Scorsese reste en marge du cinéma des années Reagan. Les films d’action patriotiques qui exaltent la réussite sociale ne sont pas du tout son registre. Ensuite, Martin Scorsese s’immerge dans la folie du milieu du cinéma jusqu’à se perdre dans la cocaïne.

Mais, dès les années 1990, Martin Scorsese fait un retour fracassant. Il explore le monde de la Mafia avec un réalisme cru. Il renoue avec un cinéma de la rue, sombre et violent. Cette démarche inspire même le nouveau cinéma français. Martin Scorsese reste ancré dans un cinéma réaliste. Il refuse longtemps les films à gros budgets. Il n’aime pas la pression des producteurs qui imposent des contraintes et corsètent la créativité.

Martin Scorsese développe même une critique de la société capitaliste. Néanmoins, son approche reste plus imprégnée de morale chrétienne que d’analyse marxiste. Il évoque des individus et non des exploités qui s'organisent pour lutter. Le prolétariat peut même semblé passif et asservit à la logique consumériste. Martin Scorsese pointe surtout la perversion morale de l’argent. Derrière la réussite se dévoile la trahison sociale et perte des valeurs morales.

Source : Régis Dubois, Martin Scorsese, l’infiltré, Nouveau Monde, 2019

Extrait publié sur le site Le sens des images

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Pour aller plus loin :

Vidéo : Jean-Baptiste Thoret, Martin Scorsese, vitesse trompeuse, conférence enregistrée le 19 novembre 2015

Vidéo : Jean-Baptiste Thoret et Murielle Joudet, Le cas Scorsese, mis en ligne sur le site Hors-Série le 31 octobre 2015

Site Le sens des images

Jacques Demange, Livre / Martin Scorsese, l’infiltré. Une biographie : critique, publié sur le site Ciné Chronicle le 17 février 2019

Serge Toubiana, Martin Scorsese, le maître cinéphile, publié sur le site de la Cinamathèque 

Léo Moser, Pourquoi Martin Scorsese sera partout cet automne, publié sur le site du magazine Les Inrockuptibles le 13 octobre 2015