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LUBRIZOL : LES GENS DU VOYAGE EN PREMIÈRE LIGNE

écologie santé

Lien publiée le 3 octobre 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

À 500 mètres de l’usine Lubrizol qui a brûlée dans la nuit du 26 septembre 2019 se situe l’aire d’accueil des gens du voyage de Rouen/Petit-Quevilly, qui est gérée par la métropole de Rouen. Pour ce terrain situé en zone Seveso, qui ne possède aucun local de confinement, aucun plan d’évacuation n’avait été prévu. Pendant la nuit de l’incendie, et contrairement aux autres habitants du voisinage, les habitants des trente caravanes de l’aire n’ont reçu aucune information. Le seul message à leur attention a été le suivant : « Si vous voulez évacuer, faites-le, mais les caravanes restent ici. »

[Photo : Petit-Quevilly. 26 septembre 2019 © Mise à l’écart]

Parmi les Voyageurs français, beaucoup ont été très émus par l’incendie de l’usine Lubrizol de Rouen. Ceux qui se trouvent actuellement sur des aires d’accueil ici et là en France se sont immédiatement identifiés aux Voyageurs présents au moment de l’incendie. D’autres aires d’accueil sont également situées en zone Seveso, beaucoup dans des zones industrielles, plaçant ainsi les gens du voyage parmi les premières victimes des inégalités sanitaires et environnementales [1]. 

Une habitante de l’aire d’accueil de Petit-Quevilly a accepté de raconter la nuit de l’incendie. Soucieuse de conserver son anonymat, elle a suggéré de lui donner pour nom Mise à l’écart.

Entretien réalisé avec l’aide de William Acker, Lise Foisneau, Valentin Merlin et Rémy Vienot.

LF : Est-ce qu’il est possible de savoir comment vous avez vécu la nuit de l’incendie ?

Mise à l’écart  : On était à 500 mètres à peine. De l’aire d’accueil, il y a une route et un mur, de là on voyait l’incendie d’à peine 300 mètres. Au moment des explosions, on voyait des tonneaux exploser, qui montaient à plus de 50 mètres de hauteur. C’est à ce moment-là qu’on a vraiment eu peur. Mais l’usine en face de chez nous, à 5 mètres de la place, c’est l’usine Total. Et on a eu peur aussi que les flammes atteignent cette usine Total dont seulement 5 mètres nous séparent.

Et qu’avez-vous fait pendant la nuit ?

Le feu s’est déclaré à 2h30 du matin, y’avait 240 pompiers juste à côté de la place. Ils nous ont dit : « On ne va pas vous laisser brûler. » Pas plus pas moins. Mais c’est nous qui sommes allés les voir. Ensuite, on ne s’est pas remis au lit, on est resté éveillés. Le lendemain personne n’est venu, sauf le gardien de l’aire d’accueil qui nous a passé des masques. Et c’est nous qui sommes allés les voir pour leur dire : « Monsieur, on a des picotements dans la bouche ». Ils nous ont dit : « Venez, on va vous faire un test. » Ils nous ont mis un truc au bout du doigt, c’était pour la tension. C’est ça que j’appelle le test, mais c’est nous qui sommes allés les voir.

Est-ce que vous vouliez fuir ?

À ce moment-là on voulait fuir, mais on a attendu et surveillé les enfants. Il y a une aire d’accueil à Bois-Guillaume : les toits des caravanes à mes cousines sont complètement brûlés.

Est-ce que quelqu’un de la préfecture ou de la mairie est venu vous voir ?

Ils nous ont dit : « Si vous voulez évacuer faites-le. Mais les caravanes restent ici. » C’est pas normal non ?

Vous a-t-on tenus informés d’une manière ou d’une autre ?

Non, personne n’est venu, il y a juste une chaîne de Youtube qui s’appelle Le Media qui est venu m’interroger. Ça passe sur Youtube, c’est moi qui parle. Je ne l’ai pas encore regardée, c’était hier. Ensuite la police a bloqué. Elle a fait un périmètre de 500 mètres pour la circulation. Les gadjé [2] passaient avec les autos, pas de contrôle. Nous, on passait pour aller au tabac ou aux courses, ils nous contrôlaient. Bizarre. Pourquoi alors ?

Vous étiez dans le périmètre des 500 mètres ?

Oui, on était dans le périmètre de 500 mètres. Ensuite, sur un parking, on voyait les pompiers de loin qui montaient des tentes pour les riverains, pour les tests, les vrais, et nous rien.

Est-ce qu’il y a un endroit sur l’aire où vous pouvez vous tenir protégés ? Un local fait pour les urgences comme celle-ci ?

Non, rien pour nous réfugier, à part les caravanes.

Rien pour vous ?

Là encore, juste sur le côté de la place, il y a huit camions de police et des motards. Et tout à l’heure l’usine fumait encore, c’est incroyable !

Et après, que s’est-il passé ?

Eh bien, on a attendu, attendu, comme des gens mis à l’écart. Des riverains sont venus nous voir, mais rien pour nous. Le lendemain vers 23h, ça sentait le gaz sur la place. Je suis allée appeler les pompiers, ils sont venus, ils nous ont dit : « On revient vous voir. » Mais rien.

Donc les habitants du terrain n’ont reçu la visite de personne, sauf celle du gardien de l’aire ?

Oui, le gardien, deux pompiers et la police pour nous dire : « Pour l’instant ne sortez pas avec les véhicules, c’est compliqué. »

Mais vous vouliez sortir avec les campines et ils ont dit non ?

Et nous, on a dit : « Monsieur, qu’est-ce qu’il faut qu’on fasse ? » Ils nous ont dit : « Si vous voulez évacuer, faites-le, mais les caravanes restent ici. » Donc oui. Mais on est des têtes dures chez les gens du voyage, donc on est resté avec nos enfants et nos caravanes. Là, l’usine fume encore.

Est-ce que les campines sont abimées ? Est-ce que vous sentez des effets de la pollution de l’air ?

T’imagines un peu comme on était pétrifiés par la peur. Ben non, nos campines à nous non. La santé, ça nous pique toujours dans la gorge et mal à la tête.

Est-ce que quelqu’un de la mairie ou de la préfecture est venu depuis l’incendie ?

Nous voir ? Non, personne. Pourtant la mairie est à quelques mètres de chez nous.

Et le gardien de l’aire vous a dit quoi ?

Rien, à part de nous avoir dit : « Restez dans vos caravanes et mettez des masques. »

À quelle société appartient le terrain ? Le gardien travaille pour qui ?

Le gardien travaille pour la métropole de Rouen. Franchement ce que moi j’ai à dire aujourd’hui sur ça, c’est qu’on a été mis à l’écart et, comparés aux riverains, ils ne se sont pas tracassés pour nous.

Les enfants ont eu peur ?

Les enfants disaient : « Viens Maman, on s’en va, on va brûler ! »

Vous êtes combien à peu près sur le terrain ?

On est trente caravanes.

C’est beaucoup.

Oui, c’est énorme et il y a beaucoup d’enfants. La mairie le sait qu’il y a beaucoup d’enfants, ils sont scolarisés dans leur ville.

Tout le monde est en colère aujourd’hui ?

Oui, tout le monde se pose la question : « Pourquoi on nous a traité comme ça ? » On nous met à part des autres.

Et que comptez-vous faire ?

Eh bien que voulez-vous qu’on fasse ? Nous, on ne gagne jamais. On n’aura jamais raison.

L’aire d’accueil des gens du voyage de Petit-Quevilly. 2019 © Valentin Merlin

En France, plusieurs collectifs se battent pour obtenir la relocalisation des aires d’accueil dans des environnements moins dégradés. Le Collectif des femmes de l’aire d’accueil des gens du voyage d’Hellemmes-Ronchin (59) appelle à manifester le 9 octobre prochain (13h30, sur la Grand Place, à Lille). Un film réalisé par les femmes d’Hellemmes rend compte de leurs conditions de vie et de leur combat : Nos poumons c’est du béton

Entretien réalisé avec l’aide de William Acker, Lise Foisneau, Valentin Merlin et Rémy Vienot.

[1] Lise Foisneau, « Dedicated Caravan Sites for French Gens du Voyage : Public Health Policy or Construction of Health and Environmental Inequalities ? », Health and Human Rights Journal, vol. 19 n° 2, 2017, p. 89-98.

[2Gadjo, pl. é  : non-Voyageur, non-Rom, non-Sinti, non-Yéniche, non-Gitan, etc.