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Équateur : un pays révolté par "le retour du FMI dans la politique"

Equateur

Lien publiée le 12 octobre 2019

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https://reporterre.net/Equateur-un-pays-revolte-par-le-retour-du-FMI-dans-la-politique

Équateur : un pays révolté par «<small class="fine"> </small>le retour du <span class="caps">FMI</span> dans la politique<small class="fine"> </small>»

Un mouvement social d’ampleur secoue l’Équateur, marqué par des blocages de routes et de puits pétroliers en Amazonie, des manifestations et des grèves. Pour la chercheuse Marie-Esther Lacuisse, le président Moreno n’a pas tenu ses promesses écologiques et sociales et en paye le prix.

Marie-Esther Lacuisse est chercheuse associée au Centre de recherche et de documentation des Amériques (Creda), à l’Institut des hautes études sur l’Amérique Latine.  


Reporterre — Un gouvernement qui déménage de la capitale, Quito, des grèves et des blocages partout dans le pays, un état d’exception et un couvre-feu aux abords des lieux de pouvoir… La situation en Équateur est-elle inédite ?

Marie-Esther Lacuisse — L’Équateur est un pays à part en Amérique latine, pour ses mobilisations. Il s’agit d’un petit État, très divisé, tant du point de vue géographique – entre l’Amazonie, la Sierra et le sud – que politiquement, avec une polarisation forte entre la capitale administrative, Quito, et le cœur économique, Guayaquil. Il y a également de nombreuses communautés, notamment indigènes, et l’État s’est construit à partir de ces localismes.

Les Équatoriens se sont toujours beaucoup mobilisés, tout au long du XXe siècle, avec des blocages, des grèves générales. Le dernier ’grand’ cycle de mobilisation remonte à la fin des années 1990, avec notamment la destitution du président Jamil Mahuad en 2000. Quand la population estime qu’un Président n’est plus légitime pour gouverner, elle est prête à se mobiliser jusqu’à son renversement. Ce qui se passe aujourd’hui relève donc d’une situation ‘commune’ pour l’Équateur. 

À la source de la mobilisation, il y a une série de mesures prises par le gouvernement dans le cadre des politiques néolibérales poussées par le Fonds monétaire international (FMI). Pourtant Lenin Moreno a été élu sur un programme de gauche… Comment en est-on arrivé là ?

Lenin Moreno a été élu en 2017 pour relancer la révolution citoyenne, le programme politique social et écologique porté par son prédécesseur, Rafael Correa [Moreno a été le vice-président de Correa de 2006 à 2013]. Ce dernier avait suscité un fort mécontentement de la population, en raison de sa politique très pro-industrie et pas assez écologique et sociale, mais aussi en raison de ses tentations autoritaires, tel son coup de force pour inscrire dans la Constitution la réélection indéfinie des autorités publiques. Moreno est donc arrivé comme le sauveur de la révolution citoyenne.

« Lenin Moreno, a, dès son élection, immédiatement amorcé un tournant néolibéral, avec des politiques d’austérité. »

Mises à part quelques mesures prises au début de son mandat – le référendum pour retirer l’amendement de la Constitution sur la réélection indéfinie des autorités publiques, ou bien les limitations de l’exploration pétrolière et minière près des aires protégées – il a, dès son élection, immédiatement amorcé un tournant néolibéral, avec des politiques d’austérité.

Le président a ainsi choisi de rétablir des liens avec le FMI, qui avaient été rompus par Correa en 2006. Le pays a une dette publique importante, liée entre autres à des investissements dans les infrastructures — l’aménagement du territoire constituait un des volets de la révolution citoyenne. Pour faire face à cette dette, Lenin Moreno a demandé un prêt au FMI. Sauf que ce dernier pose toujours des conditions : il est un levier pour imposer des réformes politiques. Au début des années 2000 par exemple, le FMI avait poussé pour l’abandon de la monnaie nationale et la dollarisation de l’économie.

Cette fois-ci, les politiques d’« ajustement structurel » demandées par le FMI ont entraîné la fin des subventions étatiques sur le prix du carburant, avec pour conséquence une augmentation de 123 % du prix de l’essence, mais aussi une réforme du droit du travail, notamment la réduction des congés payés des fonctionnaires de 30 à 15 jours. Aujourd’hui, qu’est-ce qui cristallise la colère des Équatoriens ?

La fin des subventions à l’essence a été mise en avant, notamment dans la presse européenne. Mais derrière l’essence, c’est le retour du rôle du FMI dans la politique équatorienne qui est dénoncé. C’est pourquoi les mobilisations sont si fortes, avec des manifestations réprimées et aussi, dans les provinces, des blocages de barrages hydroélectriques, d’entreprises horticoles [l’Équateur est un gros exportateur de fleurs], de puits pétroliers.

Parmi les mesures critiquées, on trouve aussi les facilités fiscales octroyées aux entreprises exportatrices. Quand Lenin Moreno est venu en France au printemps dernier, il a clairement indiqué vouloir appuyer les investissements étrangers. À cause de la très importante crise économique, l’État cherche par tous les moyens à ramener de l’argent dans les caisses. Comme solution, Moreno a opté pour l’alliance avec les entreprises. Mais de ce fait, il apporte des réponses inaudibles à cette crise : il parle d’une politique juste, écologique, alors que les gens vivent l’inverse.

Le gouvernement a invoqué une justification « environnementale » pour supprimer les subventions sur les carburants. Comment jugez-vous la politique écologique de Lenin Moreno ?

Il était très attendu sur le volet environnemental. L’Équateur avait lancé des initiatives fortes dans les années 2000 mais peu ont abouti [En 2013, le projet Yasuni, visant à laisser indemne d’exploitation une région amazonienne riche en pétrole en échange d’une compensation internationale, a été abandonné]. Lenin Moreno avait fortement critiqué Rafael Correa sur son inaction environnementale et s’était engagé à agir. Bien qu’il ait pris des mesures pour limiter l’extraction du pétrole dans les zones d’amortissements longeant les espaces protégés interdits d’extraction, il soutient en même temps l’augmentation de la production avec l’ouverture de nouveaux puits de pétrole. Il poursuit sur ce point la politique de soutien au secteur pétrolier de Rafael Correa. Mais c’est une nouvelle contradiction.

La rente du pétrole n’est pas aussi importante en Équateur qu’au Venezuela mais l’État vit quand même de la « monoculture » du pétrole. Les gouvernements successifs ont échoué à diversifier l’économie. Le pétrole garantit des ressources à l’État et Lenin Moreno semble espérer beaucoup du secteur pétrolier pour relancer le pays.

Quant à la justification écologique de la fin des subventions sur le prix des carburants, elle est inaudible pour la population. Ces aides existaient depuis plus de 40 ans. Il s’agissait d’une politique sociale et de souveraineté. Le pétrole est extrait en Équateur mais raffiné à l’étranger, d’où son prix relativement élevé à la pompe. Les subventions permettaient de restituer à la population un produit à un prix relativement juste. Les Équatoriens sont très dépendants des camions, des bus et des voitures pour leur transport car il n’y a quasiment aucun train.

Les communautés indigènes sont également descendues dans la rue contre le pouvoir. Ont-elles des revendications particulières ?

Elles se mobilisent pour l’intérêt général, contre l’injustice sociale des mesures. Dans un communiqué, la Confédération des nations indigènes, la Conaie, a dit son opposition à l’accord avec le FMI. Les communautés indigènes ont toujours été un acteur majeur des mobilisations.

Cette vague de manifestations a été lancée par les syndicats des transports, mais aujourd’hui, c’est la Conaie qui porte la mobilisation. Les populations rurales paysannes et les étudiants sont aussi entrés dans la danse. Il existe aussi une forte solidarité à l’égard des communautés mobilisées, pour la nourriture, les campements.

 

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Comment l’Équateur peut-il sortir de cette crise ?

Lenin Moreno peut encore faire marche arrière et ouvrir des négociations. Il peut aussi être renversé comme d’autres présidents l’ont été en Équateur, notamment par les communautés indiennes. En tout cas, tant qu’il ne revient pas sur la fin des subventions à l’essence, aucune négociation ne sera possible. Et il ne semble pas décidé à revenir sur sa décision. Depuis l’état d’exception [décrété lundi dernier pour 60 jours], la mobilisation a monté d’un cran.



Quelles peuvent être les conséquences de la situation en Équateur sur la scène régionale ?

Que le gouvernement négocie ou qu’il soit renversé, cela pourrait freiner les conservateurs latino-américains qui souhaitent mener des politiques d’austérité. Ça peut créer un garde-fou, avec un écho en Argentine, un autre pays très vulnérable au FMI, où se tiennent des élections présidentielles à la fin du mois. L’Équateur et l’Argentine sont très différents mais les slogans de dégagisme (« se vayan todos », « qu’ils s’en aillent tous ») à l’égard de la classe politique dans les années 1990 sur fond d’accords avec le FMI ont émergé dans ces deux pays.

  • Propos recueillis par Lorène Lavocat.