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Pourquoi une nouvelle crise financière se profile-t-elle ?

économie

Lien publiée le 18 octobre 2019

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https://www.humanite.fr/table-ronde-pourquoi-une-nouvelle-crise-financiere-se-profile-t-elle-678881?amp

Avec la participation des économistes :

Véronique Riches-Flores, Économiste, présidente de RF Research, diagnostic économique et financier international, conseils et stratégie

Dany Lang, Maître de conférences au Centre d’économie de Paris Nord, membre des Économistes atterrés

Denis Durand, Économiste, membre de la commission économique du PCF

De nombreux économistes alertent sur l’imminence d’une nouvelle crise financière. Les politiques austéritaires et inégalitaires d’un côté et la guerre commerciale d’un autre côté ne forment-elles pas le problème plus que la solution ?

VÉRONIQUE RICHES-FLORES Les ingrédients d’une crise financière majeure, potentiellement pire que celle de 2008, pourraient effectivement être réunis. Cette menace est tellement évidente qu’elle monopolise déjà les banquiers centraux, qui, depuis le début de l’été, ont renouvelé leurs opérations d’assouplissement monétaire, sous la forme de baisses des taux d’intérêt directeurs et, en zone euro, d’un nouveau plan d’achats d’actifs par la Banque centrale européenne (BCE). De fait, les indicateurs économiques se sont considérablement détériorés ces derniers mois. Au-delà des effets délétères de la guerre commerciale que se livrent Américains et Chinois sur l’industrie mondiale, les ressorts de la croissance de la demande sont partout très distendus. En l’absence d’inflation, la croissance nominale des revenus est souvent trop faible pour faire face aux chocs, ce qui induit une extrême prudence des consommateurs, qu’illustrent des taux d’épargne élevés malgré le très bas niveau des taux d’intérêt. Dans un tel contexte, les politiques monétaires accommodantes sont assez largement inefficaces et n’ont aucun effet stimulant sur l’investissement productif.

DANY LANG Contrairement à d’autres économistes, je ne pense pas que la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine aura tant d’impact que cela à moyen ou long terme : cela amènera les pays concernés à développer localement les secteurs les plus touchés par la taxation. Dans ce contexte d’urgence climatique et d’urgence industrielle, c’est plutôt une bonne nouvelle. L’austérité, elle, ne fait qu’aggraver le problème de récession qui s’annonce, en particulier en Europe, où la demande est clairement insuffisante. Pendant plusieurs années, l’économie allemande s’était reposée sur ses exportations, en particulier vers la Chine. Depuis quelque temps, les Allemands commencent à être conscients de l’urgence de changer de stratégie et de stimuler leur demande interne, car ils font face à de sérieux soucis d’infrastructures et la stratégie allemande fondée sur les exportations se heurte au ralentissement de l’économie chinoise, mais le changement de politique nécessaire tarde à venir. Le creusement des inégalités participe aussi à cette dynamique, en retirant des moyens aux ménages qui contribuent le plus à l’économie réelle (les pauvres et les classes moyennes) et en transférant ces sommes aux ménages les plus riches, qui en achetant des produits financiers contribuent au gonflement de la sphère financière. Enfin, et avant tout, il y a le niveau et l’évolution de la dette privée, qui devraient être au centre des inquiétudes mais qui ne sont pas considérés par les économistes qui ont l’oreille attentive des États, tout simplement parce que ces économistes travaillent très majoritairement avec des modèles sans banques commerciales donc sans dette privée ! Pour moi, la bonne question n’est pas de savoir si une crise majeure va éclater, mais quand. Avec Steve Keen, en mai 2018, nous annoncions une crise dans les 12 à 36 mois. Nous n’avons pas changé d’avis, d’autant que nos indicateurs, niveau et dynamique de la dette privée, qui avaient permis à Steve de prédire la crise de 2008, se sont fortement dégradés. La France a même rejoint le club des pays à risque, ce qui est d’autant plus préoccupant que notre pays compte trois banques systémiques, établissements qui peuvent entraîner tout le système financier dans leur chute (Crédit agricole, BNP Paribas et Société générale).

DENIS DURAND La crise qui vient a des racines profondes dans les antagonismes qui mettent en cause la mondialisation capitaliste entamée dans le dernier quart du XXe siècle. Les multinationales s’emparent de la révolution informationnelle en structurant les chaînes de valeurs et d’activité et en constituant de vastes réseaux d’interdépendance locaux, nationaux, interrégionaux et mondiaux mais, sous l’empire de la rentabilité capitaliste, la baisse des coûts matériels et humains déprime la demande et la tendance à la baisse de l’efficacité du capital qui avait annoncé l’entrée en crise du capitalisme monopoliste d’État social il y a cinquante ans continue de se manifester. La suraccumulation de capital matériel, qui touche désormais non seulement les métropoles impérialistes, mais aussi les pays émergents, s’accompagne d’une énorme accumulation de capitaux financiers qui circulent sans entrave et qui réclament toujours plus de rentabilité. L’effet sur les gestions d’entreprise et les politiques publiques de la prise de pouvoir par les marchés financiers a relevé temporairement les taux de profit dans les années 1990, mais cette dictature de la rentabilité devient de plus en plus incompatible avec le développement de sept milliards d’êtres humains et avec la capacité de la planète à les accueillir.

A-t-on appris des leçons de la crise de 2008 ? Avec notamment le recours au secteur bancaire et le rôle joué par les banques centrales ?

DANY LANG En la matière, on fait vraiment preuve de schizophrénie ! Les banques centrales ont en grande partie fait face à cette crise en baissant immédiatement les taux d’intérêt et en pratiquant des politiques monétaires accommodantes, mais les politiques budgétaires sont allées en sens opposé… Il me semble clair que, cette fois, les autorités ne laisseront plus les banques faire faillite, en raison du précédent Lehman Brothers. Par contre, en matière de régulation bancaire, très peu de choses ont été réalisées. Aux États-Unis, Donald Trump a même mis fin au Dodd-Frank Act, qui tirait pour partie les leçons de 2008 ! En Europe, on a mis en place l’Union bancaire, qui n’est clairement pas en mesure de faire face au tsunami qui s’annonce. Nulle part, les autorités n’ont séparé les banques de dépôt et les banques d’investissement, ce qui est une grave erreur.

DENIS DURAND La crise de 2008 a mis à l’ordre du jour un dépassement de l’hégémonie du dollar mais l’exorbitant privilège de la monnaie américaine continue d’imposer sa loi au système monétaire international. Sous sa férule, les banques centrales ont surabondamment usé de leur pouvoir de création monétaire après 2008 pour sauver le système financier occidental, puis l’euro, jusqu’à produire des taux d’intérêt très bas, voire négatifs. Mais comme cette injection de liquidités n’obéit à aucun critère d’efficacité économique et sociale, elle s’est déversée sur les marchés financiers, élargissant de façon démesurée l’inflation financière et, par voie de conséquence, l’ampleur du prochain krach. La grande question politique est celle des critères d’utilisation de l’argent créé : développer les capacités humaines ou l’accumulation du capital et la prédation impérialiste ?

VÉRONIQUE RICHES-FLORES Force est de constater que, non seulement les leçons n’en ont pas été tirées, mais que les dérives d’avant 2008 ont été poussées à leur paroxysme. La gestion des lendemains de la crise a généralement été laissée aux seules mains des banques centrales, lesquelles ont agi avec les moyens qui sont les leurs : la baisse des taux d’intérêt et, lorsque celle-ci n’était plus possible, des achats massifs d’actifs. Ce sont à peu près 15 000 milliards de dollars, soit environ 15 % du PIB mondial, qu’ont injecté, réunies, les banques centrales américaine, japonaise, européenne et chinoise en dix ans. En l’absence de politiques publiques pour orienter ces liquidités vers l’investissement productif, celles-ci se sont déversées sur les marchés financiers, participant à une accélération inédite du processus de financiarisation de l’économie mondiale. Le résultat en est que, aujourd’hui, l’indice S&P 500 des valeurs boursières américaines a plus que doublé de valeur depuis 2012, tandis que les profits des sociétés américaines n’ont pas évolué depuis cette même période. Dans le même temps, la recherche de rendement a incité à minimiser l’appréciation du risque dans un environnement de bas taux d’intérêt, de sorte que les investissements financiers se sont massivement portés sur les pans les plus exposés ou les plus spéculatifs des marchés : les matières premières dans un premier temps, simultanément aux titres de la dette émergente et, plus récemment, un engouement exceptionnel pour la dette des entreprises. L’ensemble crée un environnement particulièrement fragile dès lors que les perspectives de croissance se détériorent et que les banques centrales ont de moins en moins de moyens d’agir pour soutenir l’activité et les marchés financiers.

Peut-on encore éviter cette crise ? Si oui, comment ? Et si non, comment en sortir ?

VÉRONIQUE RICHES-FLORES Le temps est compté mais le pire n’est jamais sûr. La période de bas niveau des taux d’intérêt doit être mise à profit pour rééquilibrer la politique économique en faveur d’initiatives de croissance structurelle qui ont toute leur justification, notamment face à l’urgence climatique. L’Europe pourrait jouer ici un rôle clé. Au cours des dix dernières années, l’investissement public a subi le contrecoup des politiques d’austérité, avec pour résultat qu’il est aujourd’hui en moyenne par habitant inférieur de 21 % à ce qu’il était en 2008. Ce sous-investissement a des conséquences désastreuses sur l’activité et la productivité et place la zone euro dans une situation très défavorable par rapport à ses principaux concurrents. Aux États-Unis, l’investissement public y est deux fois plus élevé ! Nous n’en serions pas là où nous en sommes aujourd’hui si la BCE avait consacré ne serait-ce que la moitié des sommes employées à ses rachats d’actifs ces cinq dernières années (2 600 milliards d’euros) au financement d’investissements structurels. Mais pour cela il nous faut une décision politique. C’est là toute la responsabilité de la nouvelle équipe, BCE et Commission réunies.

DANY LANG Éviter une nouvelle crise majeure impliquerait de décider, sans tarder, trois mesures. Premièrement, il faudrait injecter directement de la monnaie Banque centrale sur les comptes des entreprises et des ménages endettés, en exigeant que ces sommes soient utilisées pour rembourser les dettes privées. Deuxième point, procéder à des réformes profondes du système financier, pour pousser les banques à se concentrer sur le prêt aux ménages et aux entreprises. Troisième axe : augmenter la dépense publique, en investissant dans les hôpitaux, les universités, la transition écologique… et faire baisser les impôts payés par les classes pauvres et moyennes. Le contexte idéologique actuel n’est hélas guère propice à ce genre de politiques, défavorables aux intérêts des classes dominantes au pouvoir et contraires aux traités européens mis en œuvre depuis la crise.

DENIS DURAND La crise de la civilisation capitaliste et libérale est si profonde que les correctifs traditionnels aux fléaux du capitalisme (redistribution par l’impôt, réglementation de la concurrence, participation de salariés aux bénéfices ou aux conseils d’administration…) s’avèrent désormais impuissants à empêcher de violentes convulsions financières, économiques, sociales, politiques. Mais la profondeur même de la crise fait émerger la possibilité de nouvelles logiques pour opposer à la domination du capital une priorité au développement des capacités humaines et répondre ainsi aux urgences écologiques, à celles de la révolution informationnelle, de la révolution démographique, de la révolution monétaire. Tout de suite, les luttes sociales, politiques et écologiques peuvent converger contre la domination des multinationales et des marchés financiers pour imposer de nouveaux critères de gestion dans les entreprises, pour obtenir le développement et le financement de nouveaux services publics, pour mobiliser le levier d’un nouveau crédit contre les marchés financiers, pour construire une autre mondialisation commerciale, financière, politique, monétaire avec une monnaie commune mondiale. C’est ce qui est en germe dans des mobilisations comme celles de la filière énergie (General Electric Belfort, EDF), des transports (Alstom, SNCF), ou encore dans la santé et les services publics. Pour l’Europe, particulièrement vulnérable à la guerre économique déclarée par Trump à la Chine et, de fait, au monde entier, il est vital de changer radicalement la construction européenne, de l’émanciper de Wall Street et du dollar en s’appuyant sur une alliance de progrès avec les pays émergents.