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Le vent du monde

Lien publiée le 26 octobre 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://aplutsoc.org/2019/10/25/le-vent-du-monde-editorial-du-25-10-2019/

Depuis quelques jours, une petite musique assez nouvelle se fait entendre dans les médias et éditoriaux. Rien de moins que l’idée d’une vague d’insurrections ou de révolutions dans le monde entier en cette fin d’année 2019 ! Certains éditorialistes évoquent pour illustrer cela le film le Joker où folie du malheur individuel (aux causes sociales) et hooliganisme généralisé s’abattent sur une ville-monde symbole. Vision de peur, mais aussi vision d’espoir quand on entend soudain sur une chaîne de grande écoute que «Aucun continent n’échappe au mouvement de contestation» (Antenne 2, 22 octobre à midi).

Gardons la tête froide et comprenons d’où vient cette «ambiance». Beyrouth, Quito et Santiago sont les trois cités qui l’ont soufflée dans la tête des éditorialistes et là, il ne s’agit pas de l’air du temps, mais de toute la lourdeur du réel.

Au Liban, l’annonce d’une taxe sur les appels téléphoniques (annulée depuis) a été l’étincelle d’une vague énorme de grèves et de manifestations exigeant de vrais services publics, et corollairement la destruction des mafias corrompues qui structurent l’État et du système d’appartenances confessionnelles qui vise à diviser la société, le tout sous le mot d’ordre commun des révolutions arabes : Le peuple veut la chute du régime, et avec la présence notée des réfugiés syriens aux côtés du peuple libanais. Grèves, manifestation et défi à l’autorité affectent toutes les zones confessionnelles et particulièrement celles tenues par le Hezbollah, fer de lance de la contre-révolution en Syrie. Cela au moment même où les manifestations massives reprennent en Irak, dans les zones considérées comme «chiites», où le cri est, là encore, Le peuple veut la chute du régime, assorti deDehors l’Iran et Dehors l’Amérique.

Au moment où Poutine organise la distribution des territoires, les uns à Erdogan, les autres à Bachar, dans le Nord de la Syrie, la liste des révolutions arabes démarrées en 2011 (Tunisie, Égypte, Libye, Syrie, Yémen, Bahreïn), complétée déjà depuis des mois du Soudan et de l’Algérie, voit le Liban et l’Irak se joindre à eux. Là est l’espoir réel pour tous les peuples de la région, les Kurdes compris.

Cependant, dans cette Amérique latine qu’il serait humainement plus juste d’appeler indo-négro-latine, semble s’être déclenchée une série d’explosions en chaîne.

En Équateur, d’abord, où la hausse féroce des prix des carburants (annulée depuis) a suscité grève générale et marche sur la capitale des peuples indiens, conduisant le président Lenin Moreno – successeur conflictuel de Rafael Correa et d’un régime «populiste de gauche» – à fuir la capitale tout en faisant tirer l’armée, instaurant l’«état d’urgence» tout en négociant avec les organisations indiennes un recul en rase campagne concernant les mesures d’austérité antisociale qu’il s’était engagé à mettre en œuvre auprès du Fonds Monétaire International.

Une massive auto-organisation spontanée associée à un solide mouvement de centralisation pour prendre d’assaut capitale et pouvoir ont arraché cette première victoire, qui bien entendu ne règle rien.

Simultanément, au Chili,c’est la hausse des tickets de métro (annulée depuis) qui a enclenché un mouvement révolutionnaire spontané d’une importance considérable. Les gens se sont organisés pour passer en masse gratuitement dans les stations de métro et contre eux, la police est vite venue épauler les contrôleurs puis l’armée, la police. L’armée est celle de Pinochet, celle du 11 septembre 1973. Pour toute l’Amérique du Sud, pour le monde, un affrontement entre le peuple et l’armée au Chili se charge d’une lourde portée. La grève s’est généralisée, non pas de manière «classique» mais par le biais des bandes auto-organisées de jeunes et de pauvres sans-emplois allant d’un nœud logistique à un autre, les Indiens dans le Nord du pays s’y sont mis en bloquant les routes, et les dockers bloquent les ports. L’armée a assassiné des dizaines de personnes, elle a torturé, elle a violé. Mais elle rencontre un peuple qui en a assez et veut l’affronter, qui, dans la nuit du couvre-feu, tape sur les casseroles à ses balcons et fait entendre les chansons de Victor Jara, renouant le lien coupé de l’histoire symbolisé par les mains de l’artiste populaire. Le président néolibéral Pinera a affirmé que des bandes armées ont déclaré «la guerre» au«Chili». Il déclare ainsi la guerre au peuple : c’est son éviction et c’est la destruction de cette armée criminelle qui sont les points de passage vers la réalisation de la démocratie.

Dans les comités de quartiers de Santiago, on se réfère aux gilets jaunes et on discute de l’organisation d’élections à une assemblée constituante.

Non seulement la crise révolutionnaire au Chili ébranle et suscite manifestations et discussions dans tous les pays voisins et au-delà (dont l’Argentine où des élections ont lieu ce dimanche), mais en Uruguay aussi, d’énormes manifestations ont fait irruption contre le projet du pouvoir, soumis à référendum le 27 octobre, de recourir à l’armée contre «l’insécurité» qui résulte de la destruction néolibérale des droits et garanties.

En Haïti, pays le plus pauvre du continent et sans doute du monde, puni par le capitalisme mondial pour avoir été la première République noire d’esclaves auto-émancipés, les manifestations se poursuivent pour chasser, là aussi, le président Jovenel Moïse, en finir avec la corruption, instaurer la démocratie comme fondement de la construction du bien-être.

Tout à fait caractéristique de cette chaîne de crises révolutionnaires qui reprend en Amérique du Sud, en Amérique centrale et dans les Antilles, est sa déconnexion des représentations convenues de la gauche et du «populisme» européen sur le prétendu «épicentre latino-américain». Que ce soit dans des pays passés par le cycle du «populisme de gauche» ou dans des pays passés par le cycle des dictatures néolibérales, les soulèvements sont similaires, leurs revendications visent la démocratie et le respect comme conditions du bien-être, le rejet des pouvoirs corrompus de droite ou de gauche est le même et le mot d’ordre arabe «Le peuple veut la chute du régime» peut se conjuguer en espagnol, en mapuche ou en créole. D’ailleurs, ce n’est (hélas) plus «la CIA» qui accuse le président bolivien Evo Morales, autrefois leader d’un mouvement paysan devenu président aymara, d’avoir truqué les dernières élections, c’est l’avis général, et ici aussi, les éléments d’une explosion se réunissent, qui ne risquent de profiter à la droite basée à Santa Cruz de la Sierra, près du Brésil, que par la faute de «la gauche» au pouvoir. Et les insurrections vénézuélienne et nicaraguayenne couvent et risquent de se réveiller aux échos chiliens et écuadoriens.

Rien ne ressemble plus, dans les méthodes et dans les victimes – opposants politiques, syndicalistes, et, massivement, jeunes des quartiers pauvres, femmes …- que la répression par les militaires flanqués de mafieux à Caracas ou à Quito, à Santiago ou à Managua.

Cette vague sud-américaine est donc, au fond, unificatrice des révolutions qui viennent. Et, au Chili, elle est confrontée de manière immédiate à ce qui est latent, par exemple, en Algérie, et qui a été à l’origine du carnage en Syrie : la nécessité de détruire l’armée, cœur de l’État capitaliste.

Et cette vague nous concerne et va nous concerner en Europe comme en Amérique du Nord, où les vieux États nord-américain et britannique s’enfoncent dans une crise sans fin.

Le vent se lève, et cette année n’est pas finie.

25-10-2019.