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SNCF: les grèves surprises préoccupent le gouvernement et les bureaucrates

SNCF

Lien publiée le 29 octobre 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Article du journal patronal l'Opinion

SNCF: le jeu dangereux de la grève sauvage

Les mouvements sociaux surprise préoccupent l’entreprise, le gouvernement et même les syndicats, à quelques semaines d’un mouvement massif contre la réforme des retraites. Tous redoutent une incontrôlable spirale

SNCF: le jeu dangereux de la grève sauvage

Un TGV sur trois circulera mardi sur l’axe Atlantique, selon la direction de la SNCF. C’est à peine plus que la veille. La raison : la grève sauvage, depuis presque une semaine, de 200 techniciens de maintenance d’un dépôt des Hauts-de-Seine, en conflit avec la direction du site.

Pour les usagers de la SNCF, l’enfer, ce n’est plus la grève. L’enfer, c’est la grève sauvage. L’expérience de la protestation contre la réforme ferroviaire, en 2018, l’a démontré. La « grève en morse » (trois jours de travail, deux jours de grève) organisée par les syndicats pour s’y opposer n’a pas produit les effets de blocage escomptés. Avec une bonne organisation et un système d’information qui fonctionne, la SNCF a pu faire rouler des trains. Les préavis, déposés obligatoirement 48 heures à l’avance, ont permis d’établir des plans de transports relativement satisfaisants. Un service dégradé, certes inconfortable, mais le pays n’a pas été bloqué. A l’inverse, le« droit de retrait » spontané, sans préavis ni encadrement syndical, il y a une dizaine de jours, et un jour supplémentaire de grève sauvage, dans un dépôt de maintenance du secteur Montparnasse ce lundi, ont laissé les gares dans une indescriptible pagaille.

Des précédents inquiétants pour le trafic ferroviaire alors que se profile, le 5 décembre, une grève massive contre la réforme des régimes spéciaux de retraite. Initiée par les syndicats de la RATP, elle devrait être suivie par une partie des syndicats de la SNCF. Pour l’heure, SUD rail, Unsa ferroviaire et FO cheminots ont déclaré qu’ils se joindraient au mouvement. La CGT réserve sa position pour début novembre. Dans l’idéal, chaque organisation respectera les règles en vigueur depuis la loi de 2007 « sur le dialogue social et la continuité des services publics dans les transports », en déclarant clairement ses intentions. La SNCF pourra prévoir, les usagers aussi.

Gestion de crise. Mais les initiatives de débrayage hors cadre des dernières semaines sont de mauvais augure. Les avis convergent à la SNCF, dans les organisations syndicales et au gouvernement : on n’est pas à l’abri de nouvelles grèves surprises, pour des motifs divers et variés. Les syndicats, garants de l’organisation de la contestation dans le respect de la loi, sont dépassés. « Pour le droit de retrait, comme pour la grève du centre technique de Châtillon qui touche les TGV Atlantique, ce n’est pas venu des syndicats, concède Laurent Poncet, secrétaire fédéral de SUD rail. Dans ce dernier cas, ce sont des cheminots, syndiqués ou pas, qui ont décidé du mouvement, pour protester contre les méthodes de la direction du site qui les met devant le fait accompli dans la réorganisation de leur travail. Les organisations syndicales n’ont n’a pas vu venir la protestation, ne sont pas à son origine. On ne fait que la gérer. »

La CGT, qui a aussi attrapé le mouvement au vol, tente de le réintégrer à son corpus revendicatif global. « Il y a une tentation d’utiliser ces étincelles pour faire chauffer la marmite de la contestation afin qu’elle soit prête pour l’ébullition le 5 décembre », constate un cadre de l’entreprise. Mais dans les faits, la CGT cheminots – premier syndicat de l’entreprise – ne maîtrise rien. On redoute la spirale.

Base perdue. Pour Bernard Aubin, du petit syndicat ferroviaire FiRST, « on paie là le prix de tout ce qui a été fait en France pour que les syndicats perdent de l’envergure, depuis la réforme des règles de représentativité syndicale menée par Nicolas Sarkozy. Il y a moins de représentants sur le terrain, donc moins de moyens de régler les conflits locaux. A la SNCF, il n’y a plus l’unité syndicale qui avait le mérite de centraliser problèmes et négociations. Les syndicats les plus contestataires ont perdu du crédit. Ils n’ont pas réussi à sortir la tête haute du conflit social long qui a accompagné la réforme de l’entreprise. »

Pour l’ex-cheminot, ce n’est pas une bonne nouvelle car ils ne jouent plus leur rôle de soupape de sécurité. « Les syndicats réformistes n’en ont pas bénéficié pour autant. Ils ont choisi d’accompagner le mouvement de réforme, se sont décrédibilisés auprès d’une partie de la base qui ne se sent plus défendue. Les salariés de l’entreprise sont perdus, certains choisissent de se battre seuls, avec tous les risques que cela comporte, pour eux comme pour l’entreprise. »

Pour lui, il se passe à la SNCF ce qu’il s’est passé dans la société française avec les Gilets jaunes : des mouvements spontanés, inflammables, qu’il compare à « des éléphants dans le magasin de porcelaine fragile du dialogue social ». « Qui n’en serait pas inquiet ? s’interroge un cadre de la SNCF. Ce n’est pas une conflictualité classique. Les organisations syndicales ont conscience qu’il faut toujours chercher les portes de sortie ; ce n’est pas du tout le cas de ces mouvements sans cadre ».

L’ère des paradoxes. Il faut donc prévoir l’imprévisible. Au cabinet du secrétaire d’Etat aux Transports, Jean-Baptiste Djebarri, on dit effectivement « s’attendre à un mois de décembre très dur ». Mais comment éviter un enlisement du conflit après le 5 décembre ? Comme il l’a fait avec les organisations de la RATP, Jean-Baptiste Djebarri va engager des rencontres avec chaque syndicat de la SNCF. Elles auront lieu cette semaine. Mais il acte aussi le fait que les syndicats ne sont plus qu’une partie de l’équation – semblant donner raison à ce que théorisait Emmanuel Macron au début de son mandat sur la perte d’influence des corps intermédiaires... « Nous allons adapter la méthode à la situation, aller à la rencontre des salariés eux-mêmes, pour compléter les discussions que nous aurons avec les syndicats. Cela va demander plus de travail, plus de temps », explique l’entourage du ministre.

Alors que le gouvernement, par la voix d’Édouard Philippe, a appelé la SNCF à « examiner les suites judiciaires » à donner aux grèves sauvages, ces rencontres informelles reviennent à inviter à la table du dialogue toute personne qui aurait une colère à exprimer, à légitimer une contestation sociale émiettée, désordonnée, éruptive, voire à donner corps à des insatisfactions qui se traduiraient en arrêts de travail surprises. Autant dire que les portes de l’enfer des grèves sauvages, ingérables, seraient alors grandes ouvertes devant nous.