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L’autogestion algérienne dans la revue Autogestion

Algérie autogestion

Lien publiée le 30 octobre 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://editionsasymetrie.org/autogestion/2018/11/29/lautogestion-algerienne-dans-la-revue-autogestion/

L’ensemble de la revue est consultable sur le site archives autonomies
Nous avons extrait ici les articles qui portent spécifiquement sur l’autogestion en Algérie.

Le premier numéro de la revue contient un article de Yves Sartan « Perspectives de l’autogestion en Algérie » ( PDF : autogestion-n01) , écrit après le coup d’État de juin 1965 et qui fait preuve d’une grande lucidité quant à la situation du secteur autogéré. Pour l’auteur, la prise de pouvoir de Boumédiènne ne change  pas grand chose puisque les mêmes obstacles persistent ( Concurrence du secteur capitaliste, inadaptation des structures de l’État postcolonial, bureaucratisation interne et externe, etc) et qu’au bout du compte on en reste à l’aporie d’un double pouvoir fortement asymétrique : « Trop faible pour briser le vieil appareil d’Etat et pour le remodeler en fonction de ses intérêts historiques et de ceux de la paysannerie pauvre ignorée depuis l’indépendance, le prolétariat algérien n’a pu que faire entendre sa voix. Maître d’un large secteur économique, il y a été confiné ; les grandes décisions (rythme des nationalisations, réforme agraire, planification, etc.) échappent à son contrôle et à sa volonté. (…) Comme auparavant, mais de façon plus nette, la séparation subsiste entre la sphère de l’économie et celle de l’Etat. Promus autogestionnaires, les travailleurs algériens n’ont pas la possibilité de dépasser le simple cadre économique. L’ « autonomie de gestion » est dans ce contexte une arme à double tranchant ; d’une part, l’unité autogérée semble être préservée, du moins en droit, de l’intervention de la bureaucratie d’Etat dans ses affaires, d’un autre côté, cette « autonomie » ne résout en rien les contradictions déjà analysées de la gestion ouvrière en Algérie : concurrence sur le marché, commercialisation anarchique, absence de plan économique. L’autogestion n’a en fait une possibilité de survivre que si l’économie dans son ensemble ainsi que l’Etat sont contrôlés et dirigés par les travailleurs. »
Toutefois Sartan souligne les nombreuses résistances qui expliquent probablement la prudence, idéologique et pratique, du nouveau pouvoir vis à vis du secteur autogéré : « Mais dans la course de vitesse entre les militants les plus conscients du mouvement ouvrier algérien et la bureaucratie d’Etat de type post et néo-colonial. celle-ci crut remporter une victoire définitive au
moment du coup d’Etat du 19 juin. En fait, installés dans un appareil d’Etat conçu en fonction de l’exploitation coloniale et maintenu tel quel depuis l’indépendance, les bureaucrates, s’ils mettent un frein à la vie et à l’organisation du mouvement ouvrier restent confrontés avec les contradictions explosives de l’Algérie révolutionnaire. »

Dans le second numéro de la revue se trouve un article (téléchargeable ici ) tiré d’une enquête menée par un ingénieur, un sociologue et un ethnologue dans les grandes fermes d’autogestion, « Les problèmes de l’autogestion dans les grandes fermes algériennes en 1963 », qui constate : « Entre ces deux perspectives, paysannes et gouvernementales, que nous avons un peu outré chacune en son sens par simplification, l’incompatibilité est très grande. L’état ne disposant pas d’un nombre suffisant de cadres capables de diriger plus convenablement que les représentants des ouvriers les exploitations, et par conséquent d’être agréé par ces derniers, il lui serait difficile de réaliser ses objectifs. Et par contre, si le monde paysan ne réussit pas à créer, avec l’appui de l’UGTA, les organismes dont il a besoin, il échouera également. » Et conclut :
« Deux points doivent être retenus :
1) Les premiers comités de gestion sont nés spontanément
de la volonté d’assurer le fonctionnement de telle usine ou de
telle exploitation agricole abandonnée par la direction ; autrement
dit, leur naissance est davantage marquée par le souci
de l’économie du pays que par la perspective d’une appropriation
des moyens de production par une classe donnée ; ils sont
moins l’expression d’une révolution sociale que d’une volonté gestionnaire.
Les deux éléments ne sont pas opposés l’un à l’autre,
ils constituent cependant deux composants que l’on doit distinguer
si l’on veut comprendre les problèmes véritables que
pose l’autogestion.
2) Le problème de l’élection démocratique des comités ne
semble ne s’être présenté que dans une deuxième étape, après
la leçon apportée par l’expérience des comités mise en place
de l’extérieur. Par delà les questions de différence de salaires
entre Directeurs, membres du comité d’un côté et travailleurs
de l’autre, c’est le problème du contrôle des bénéfices qui a
poussé à la désignation démocratique. Or l’aspiration d’un
contrôle plus étroit sur les bénéfices provient d’une double exigence:
(…) la volonté du salarié de voir s’établir un rapport aussi direct que possible
entre son effort et rémunération et entre celle-ci et ses besoins,
mais aussi celle du gestionnaire de consentir volontairement et
en connaissance de cause les sacrifices exigés par la solidarité
nationale. Si les rapports entre ces deux exigences sont appelés
à écrire la page de l’histoire interne des comités de gestion,
l’existence de la deuxième doit constituer la base intangible d’une
politique d’ensemble pour le pays. »

Le numéro 3 de la revue est constitué d’un seul article (téléchargeable ici  et sur le site archives autonomies) de Michel Raptis ( Pablo) « Le dossier de l’autogestion en Algérie » qui s’apparente à un livre à part entière et constitue une histoire institutionnelle de l’autogestion algérienne par l’un de ses principaux acteurs ( sur le rapport entre Raptis, la IV ème internationale et l’Algérie on peut se reporter à la très bonne synthèse de Sylvain Pattieu :  « Le camarade Pablo, la IV ème internationale et la guerre d’Algérie » ).
Ce texte s’ouvre par un tentative assez cocasse par le désormais ex-dirigeant trotskyste de s’annexer la théorie des conseils ouvriers tout en préservant la doxa léniniste, avec ce que ça suppose de conclusions rétro-historiques alambiquées : « Que des nécessités immédiates aient imposé aux bolcheviks de s’écarter des « normes » de la société démocratique et égalitaire décrite dans L’Etat et la Révolution par Lénine et de la conception initiale du rôle des « conseils » dans cette société, est un fait incontestable. (…) Mais par la suite, ce qui n’était, certes, dans l’esprit de Lénine que recul passager et conjoncturel, plus particulièrement en ce qui concerne le rôle de la classe, de l’Etat, du parti, des syndicats, dans la gestion de l’économie et de la société, est devenu pratique et théorisation durables. »
Abordant l’histoire des débuts de l’indépendance, Raptis ignore les luttes de pouvoir de juillet 62 et reconnait, sans s’attarder, que la naissance de l’autogestion fut en grande partie le fruit de l’initiative spontanée des travailleurs, ce qui n’invalide en rien pour lui la nécessité d’une direction : « Le processus révolutionnaire n’est pas le produit de la pré-existence d’une « direction » révolutionnaire consciente, mais, avant tout, d’un déséquilibre objectif des structures traditionnelles qui emporte les masses dans un mouvement à la recherche confuse d’une « issue », d’une « solution » à une situation devenue insupportable, intenable. La « direction subjective » est la condition indispensable pour la conclusion victorieuse du processus révolutionnaire, mais non pas le facteur déterminant pour déclencher ce processus. » De même, la tutelle ne se justifie, comme le veut la tradition,  qu’à l’aune de son prochain dépérissement « Mais la « tutelle » doit être orientée dès le début dans le sens d’aider réellement la classe à faire l’apprentissage de l’autogestion et donc dans une perspective de dépérissement continué et accentué de la tutelle. Si, par contre, cette dernière se stabilise et s’approprie toute une série de prérogatives qui appartiennent à l’essence même de l’autogestion, nous sommes en présence d’une déformation bureaucratique de l’autogestion. »

Or c’est pourtant bien ce qui s’est passé comme il le constate plus loin :  « Soit pour des raisons d’exploitation financière de l’autogestion, soit pour des raisons de commodité administrative, bureaucrates de l’administration, du parti, et notables locaux, s’arrangeaient pour traiter exclusivement avec le comité de gestion et son président qu’ils arrivaient, peu à peu, à domestiquer. Ce processus fut favorisé par la tutelle administrative exercée sur l’autogestion agricole et industrielle, déformant la conception du fonctionnement global de l’autogestion. Les tentatives en vue d’attribuer la tutelle administrative à la présidence du conseil et au B.N.A.S.S. échouèrent devant la résistance des bureaucrates des ministères de l’agriculture et de l’industrie, qui bientôt revendiquèrent et obtinrent cette tutelle. »
Raptis décrit longuement la lutte mené par le Bureau National d’Animation du Secteur Socialiste ( B.N.A.S.S) contre ce qu’il appelle « la poussée aveugle des forces sociales hostiles à l’ouverture socialiste de la révolution » et son échec : « La fin de l’été 1963 marque un tournant capital dans le développement ultérieur de l’autogestion. Il y eut tout d’abord comme nous l’avons déjà noté, l’interdiction de la « Voix de l’Algérie socialiste » et ensuite le démantèlement du B.N.A.S.S. dont une partie passa au ministère de l’agriculture et une autre au ministère de l’industrie. Il s’agissait pratiquement de la fin du B.N.A.S.S., du rôle et de la perspective dans lesquels il avait été initialement conçu et avait fonctionné. Désormais le sort de l’autogestion passait pratiquement aux mains de l’administration, préoccupée par des considérations essentiellement « technocratiques ». Mais, dans le cas particulier de l’Algérie de l’époque, ce qui était particulièrement grave, c’était le degré médiocre de qualification « technique » de cette administration, qui, loin de suppléer aux carences inévitables des travailleurs dans ce domaine, obstruait souvent et paralysait leurs initiatives créatrices. Au fond, la lutte pour I’autogestion, devenait objectivement une lutte politique entre deux tendances au sein de la révolution algérienne. »
Et dans cette lutte, Raptis n’a pas ménagé ses efforts pour influencer Ben Bella, comme l’illustre par exemple la lettre envoyée en aout 1963 où « Pablo » l’avertit : « Dans les conditions actuelles de l’Algérie où nous manquons encore d’une administration efficace et compétente, ainsi que de cadres techniques suffisants en nombre et qualification, s’engager dans la voie de la direction étatique, centralisée de l’économie, aboutirait plus vite qu’ailleurs à deux choses : favoriser la prolifération d’un appareil bureaucratique, pléthorique, onéreux et politiquement peu sûr, qui, faute d’efficacité y compris strictement administrative et technique, va s’imposer aux masses par la contrainte; désorganiser et stériliser davantage l’économie, la privant de la seule force valable à l’heure actuelle : l’initiative des masses organisées dans l’autogestion.(…)
Il est dans la nature de la révolution socialiste qu’en se développant
elle donne lieu à des différenciations idéologiques dans son sein. Il n’y a pas seulement les ennemis déclarés de la révolution, qui se placent délibérément, consciemment, à l’extérieur de celle-ci; il y a, à l’intérieur même de la révolution, une différenciation inévitable entre la gauche démocratique de la révolution, qui fait confiance aux masses, qui ne conçoit pas la révolution
sans participation consciente et volontaire des masses à la gestion de l’économie et de l’Etat, et l’aile bureaucratique de la révolution à mentalité politique féodale et autoritaire, qui a tendance à se substituer partout aux masses et à les réduire au rôle de salariés de l’Etat et de simples exécutants de ses décisions. C’est ma ferme conviction que ce danger commence
actuellement à se préciser chez nous, autour de la question de l’autogestion en particulier, et qu’il serait hautement souhaitable que vous interveniez énergiquement et à temps. »
Mais,si il se refuse à critiquer le dirigeant algérien, Raptis ne peut que constater la « carence du pouvoir » : Si la situation commençait à stagner et même à se détériorer en ce qui concernait le développement réel de l’autogestion, la faute en incombait pour beaucoup à la carence manifestée
par le pouvoir. Certes celle-ci était due, comme nous l’avons déjà signalé, aux incertitudes, aux convulsions, aux menaces de plus en plus claires qui marquaient l’évolution politique, et qui se traduisaient politiquement par un découragement et une paralysie grandissants de l’action des militants et de l’administration. » Jusqu’à l’épilogue : « Le 19 juin 1965, le régime présidé par Ahmed Ben Bella qui s’apprêtait à surmonter un bon nombre de ses hésitations et à esquisser une nouvelle et très importante « ouverture à gauche »,fut renversé.
Un nouveau chapitre devait alors commencer dans l’histoire convulsive, tumultueuse, de la révolution algérienne. (..) Notons simplement que la
tendance à la gestion « étatiste » de l’économie nationalisée s’est amplifiée, les forces technocratiques et autoritaires se développant plus vite, plus Iibrement. que les forces attachées à la gestion démocratique de l’économie, de l’Etat, de la société, qui ont douloureusement ressenti la défaite du 19 juin 1965. »
Ce qui n’empêche pas Raptis de conclure de façon optimiste : « Seule une véritable contre-révolution sociale pourrait détruire complètement cette expérience en exerçant une dictature sanglante contre les travailleurs. Et, même dans une telle éventualité, le souvenir de l’autogestion qui a marqué l’aube de la véritable libération sociale des travailleurs algériens et illuminé pour quelque temps l’espoir de la jeunesse du pays, restera toujours vivace, stimulant la lutte pour la reconquête de l’autogestion à un niveau encore plus élevé. »
Document incontournable, notamment du fait de ses très riches annexes, « Le dossier de l’autogestion » n’en est pas moins un témoignage édifiant sur les illusions du « conseiller du prince » sur Ben Bella et son régime, et sur ses accommodements avec la vérité historique dés lors qu’il veut faire passer les organismes qu’il a dirigé et les initiatives qu’il a promu, comme seuls remparts contre une bureaucratie dont il représentait au final, comme l’écrit l’I.S., « l’extrême gauche. »

Enfin on trouve dans le numéro 9-10 de la revue , un court résumé par Damien Hélie de sa thèse, que nous avons publié en intégralité : PDF autogestion-n09-10