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Interview de François Boulo par Kévin Boucaud-Victoire

Gilets-jaunes

Lien publiée le 30 octobre 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.marianne.net/debattons/entretiens/francois-boulo-la-colere-est-bien-plus-grande-aujourd-hui-qu-au-debut-des

François Boulo est avocat et porte-parole des gilets jaunes de Rouen.

Dans "La ligne jaune", livre qui porte le même nom que la plateforme en ligne qu’il a fondée, François Boulo revient sur les gilets jaunes et leurs motivations. Presque un an après les débuts du mouvement, entretien avec "l'avocat des gilets jaunes".

Propos recueillis par Kévin Boucaud-Victoire.


Marianne : Quelles sont les ambitions du livre La ligne jaune et de la plateforme du même nom ?

François Boulo : Le but du manifeste est de donner des arguments aux gilets jaunes et d’éclairer toutes les personnes qui ont, à un moment où un autre, été sympathisantes du mouvement – et elles sont extrêmement nombreuses, puisque le soutien a presque atteint 80% – et ne l’ont suivi que sous le prisme des médias traditionnels. J’essaie de montrer la réalité dans son ensemble. Les médias se sont appliqués à mettre l’accent sur les faits divers racistes, homophobes ou antisémites et sur les violences des manifestants, afin de les discréditer. Il y avait des cortèges de dizaines de milliers de personnes dans tout le pays. Pourtant, la télévision ne montrait que la poubelle qui brûle.

La plateforme a deux ambitions. D’abord, elle essaie de mettre en réseau l’ensemble du mouvement et de le structurer. Ensuite, il s’agit d’un projet associatif qui a pour objectif de politiser les gens, c’est-à-dire de leurs transmettre certaines idées. Il n’y aura cependant aucune visée électorale. Il y aura aussi un système de vote, une espèce de RIC numérique.

Vous parlez d’unir les 99% contre les 1% d’ultra-riches, est-ce réellement réaliste ? Le soutien aux gilets jaunes n’a jamais totalement atteint les 80% de la population. N’existe-t-il pas une classe de 20%-25% de cadres salariés qui a intérêt au maintien du système et œuvre pour lui, même si parmi elle se trouve quelques exceptions comme vous ?

Je crois qu’effectivement en l’état actuel, il y a 20 à 25% des gens qui croient avoir trouvé en Emmanuel Macron le défenseur de leurs intérêts. C’est ce qui explique la fracture entre les 75%-80% de Français qui aspirent à un changement plus ou moins radical et les 20-25% plus conservateurs, qui se complaisent parfaitement dans tout cela. Je nuancerais néanmoins. La politique néolibérale a conduit au déclassement des classes populaires, puis, depuis une dizaine d’années, des classes moyennes. Maintenant, elle s’attaque aux classes supérieures. Si cette dynamique se poursuit, demain ils verront leur niveau de vie baisser. Il y avait une étude publique sur le pouvoir d’achat des ménages et sur le budget 2018, qui montrait que les réformes entreprises augmentaient uniquement le pouvoir d’achat des 1% au détriment de tous les autres.

"Le processus électoral est bloqué par Macron d’un côté et Le Pen de l’autre"

Vous rejetez toute ambition politique au sens partisan du terme. Les élections municipales ne sont-elles pas pourtant propices à des listes locales de gilets jaunes, contrairement aux européennes ?

Je crois que toutes les initiatives qui participent à la politisation des gens, au sens noble, c'est-à-dire sur le terrain des idées, sont bonnes à prendre. En ce qui me concerne, je ne m’intéresse pas aux élections municipales. Je préfère me concentrer sur les enjeux nationaux et internationaux, sur les questions macroéconomiques et fiscales. En revanche, qu’il y ait des citoyens qui s’investissent dans le cadre des élections municipales me semble être une bonne chose. C’est un moyen de parler avec d’autres citoyens, de faire de la politique et de sensibiliser les gens aux questions écologiques, économiques ou d’organisation du territoire.

Que peuvent espérer les gilets jaunes au niveau national ?

Du pouvoir actuel, pas grand-chose, si ce n’est rien. Emmanuel Macron nous a fait savoir à l’issue du grand débat qu’il n’amenderait plus du tout sa politique, sachant que les quelques concessions qu’il a faites sont minimales, voire ridicules. Les citoyens doivent comprendre que le clivage gauche/droite n’a plus aucun sens sur les questions économiques et fiscales. Aujourd’hui, la fracture est entre les libéraux pro-européens et les souverainistes. Ces derniers remettent en question les règles actuelles de l’Union européenne qui nous empêchent de mener une autre politique économique. Le véritable enjeu est maintenant là. Le processus électoral est bloqué par Macron d’un côté et Le Pen de l’autre. Des millions et des millions de citoyens aimeraient un troisième choix, plutôt qu’être enfermés dans cette alternative.

Vous dénoncez l’Union européenne, vous vous décrivez comme "souverainiste" et vous réjouissez que les gilets jaunes aient réinvesti les symboles républicains et nationaux. Comment expliquez-vous que le camp souverainiste, Rassemblement national mis de côté, soit si faible, par exemple aux européennes ?

Il faut relativiser les élections européennes. Nous savons que l’électorat qui s'y mobilise, c’est plutôt la classe moyenne supérieure. Le vote conservateur est avantagé. Cette élection s’est focalisée sur une espèce de référendum anti-Macron. Or, d’après les sondages, le RN était la principale force d’opposition. Actuellement, je pense qu’il y a beaucoup de personnes qui n’adhèrent pas forcément aux idées du RN mais ont voté pour lui afin d’affaiblir le président. Cela aurait plutôt bien "fonctionné" – sans aucun jugement moral – si l’électorat de droite ne s’était pas massivement reporté sur la liste de LREM au détriment de François-Xavier Bellamy. Il faut donc nuancer ces résultats. Enfin, je pense que le niveau de conscience progresse.

"Les citoyens doivent comprendre que le clivage gauche/droite n’a plus aucun sens sur les questions économiques et fiscales"

Dans le cadre du mouvement, cela me paraît assez évident. Il va falloir évidemment une stratégie de rupture avec les règles actuelles de l’Union européenne. Tant que nous serons bloqués dans ces règles auxquelles nous avons consenti, en matière budgétaire, monétaire et commerciale, il sera à l’évidence impossible de tenter de conduire une autre politique économique.

Maintenant, Jacques Attali nous explique que lorsque nous sommes souverainistes, nous sommes aussi antisémites. Défendre la notion de souverainisme est un vrai combat idéologique. Mais il faut également en expliciter le contenu. Pour moi, les notions de souveraineté de la nation et du peuple sont identiques. En réalité, la souveraineté est le corollaire de la démocratie. De Gaulle expliquait que "la démocratie se confond entièrement avec la souveraineté nationale".

Les gilets jaunes sont-ils destinés à rester une force de contestation ? Vont-ils à terme rejoindre d’autres luttes, comme les luttes écologiques ou Extinction Rebellion ?

Je pense qu’il faut faire le bilan du mouvement. S’il y a un enseignement à tirer, c’est qu’il y a des dizaines, des centaines de milliers de personnes qui étaient endormies hier et qui se sont réveillées le 17 novembre 2018. Elles se sont muées en citoyens conscients ou, au moins, investis dans le champ politique. Ceux-ci s’intéressent de très près à l’actualité et aux réformes gouvernementales. La colère est bien plus grande aujourd’hui qu’au début du mouvement. Car les gens ont vu que le pouvoir leur mentait, les méprisait et les brutalisait.

"S’il y a un enseignement à tirer, c’est qu’il y a des dizaines, des centaines de milliers de personnes qui étaient endormies hier et qui se sont réveillées le 17 novembre 2018"

Certes, il y a une mobilisation bien moins grande qu’il y a six mois. Mais cela s’explique par le phénomène d’usure. Les gens sont fatigués de devoir manifester tous les samedis. Ils ne le faisaient pas par plaisir. Ensuite, ils ont dû faire des sacrifices pour cela. Monter à Paris coûte cher. Enfin, il y a une répression qui a conduit à 25 éborgnés et 5 mutilés. Une bonne partie des gens ont peur d’aller manifester. Il y en a donc qui ne manifestent plus mais sont plus en colère qu’il y a un an. Nous avons des citoyens dormants qui n'attendent qu'une nouvelle opportunité pour tenter à nouveau de mener le rapport de force, de manière pacifique. Une étincelle. Il y aura sûrement une mobilisation très suivie pour l’anniversaire du 17 novembre, sans oublier l’appel à la grève, à partir du 5 décembre, dans les transports. Si cela prend, ces secteurs-là vont être massivement soutenus par des gens qui vont sûrement ressortir.