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    Climat, le désir de sécession des riches

    Lien publiée le 1 novembre 2019

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    https://comptoir.org/2019/11/01/climat-le-desir-de-secession-des-riches/

    Nous vivons une période profondément anxiogène. La crise environnementale actuelle semble une crise de fin du monde. Tout laisse croire que sans un véritable tournant tout pourrait s’effondrer, nos modes de vie, l’organisation sociale et économique, le confort de la société moderne (déjà réservé à une fraction de la planète), les quelques régimes politiques non autoritaires qui subsistent, tout pourrait disparaître. La survie même de l’humanité semble être en jeu. Et les puissants s’en contrefichent.

    Si cette crise suscite à juste titre de vives inquiétudes parmi les populations, elle ne semble guère provoquer l’émoi parmi les élites dominantes, aussi bien économiques, médiatiques ou politiques. Le mal-nommé Champion de la Terre (Emmanuel Macron) a beau couler quelques douces larmes pour l’Amazonie en feu, il apparaît clairement que son gouvernement agit le plus souvent contre la cause environnementale (refus d’interdire le glyphosate, suppression du train de Rungis, démantèlement programmé de l’Office National des Forêts, vote du CETA, projet minier en Guyanne, extraction d’uranium au Kazakhstan, etc.). Et pour les grandes fortunes de ce monde, c’est toujours Business as usual. Il semblerait que ces gens ne puissent imaginer vivre sans ces bénéfices colossaux dont même une vie entière ne saurait venir à bout.

    Pourtant, d’aucuns ont encore espoir en un revirement. On veut en appeler à une sorte de nouvelle « union nationale » de toute la société (des grands entrepreneurs aux travailleurs, en passant par les ONG, les politiques, les scientifiques, les peoples, les journalistes, les artistes, etc.). Nous serions en guerre et tout le monde devrait se serrer les coudes.

    « Le mal-nommé Champion de la Terre (Emmanuel Macron) a beau couler quelques douces larmes pour l’Amazonie en feu, il apparaît clairement que son gouvernement agit le plus souvent contre la cause environnementale. »

    Ce discours s’insère opportunément à celui des structures militantes écologistes traditionnelles selon lesquelles il faut d’abord s’entendre sur les actions écologiques urgentes : ce qui nécessite de ne pas débattre de questions politiques ou sociales. Peu importe que tu sois macroniste, insoumis, frontiste, ou vieux gaulliste, peu importe que tu sois riche ou pauvre, il faut agir.

    Ce discours est-il lucide ?

    Il est bon de se rappeler que l’idée d' »union nationale » est un héritage de la Grande guerre de 14-18. Lorsque la bourgeoisie européenne voulut faire la guerre et envoyer les travailleurs sur le front, c’est ce discours national-xénophobe (relayé comme aujourd’hui par les politiques et les médias) qu’elle mit en avant pour contrer la propagande des diverses organisations de travailleurs qui affirmaient jusqu’alors la fraternité des travailleurs de tous les pays.

    Il est également opportun de se rappeler que lors des crises précédentes, économiques, sociales ou politiques, ce sont le plus souvent les plus pauvres qui ont trinqué. Même si on a voulu nous faire croire le contraire, les grandes fortunes de ce monde n’en ont guère été perturbées. Ou, pour peu qu’elles l’aient été, l’État s’est empressé de voler à leur secours, comme lors de la crise des Subprimes [i]. Certains en ressortiront même plus riches.

    Mais de cette crise, affirme-t-on, ils ne pourront pas s’en préserver. Face à « Mère Nature » les différences de classes ne comptent pas. Et on y va allègrement de son « il faudra bien que l’humanité réagisse, car tout le monde est concerné ».

    Est-ce que la grande bourgeoisie, les magnats de la finance internationale, les leaders de la Silicon Valley, les fameux 1%, sauront prendre conscience de l’effondrement possible de leur monde ? Quelques uns pourraient se sentir l’âme philanthrope et se lancer dans des investissements pour des énergies plus propres. C’est même déjà le cas. Les multi-nationales Total et Vinci par exemple, investissent sporadiquement dans ces secteurs. On rase quelques forêts pour installer des parcs solaires ; toujours dans l’espoir d’en récupérer des bénéfices.

    Mais il est à croire que la plupart se comporteront, et se comportent déjà, comme lors de précédents effondrements de civilisation. Pour prendre un exemple plus ou moins récent, on peut évoquer l’effondrement du vieux « monde communiste ». Lorsqu’ils comprirent que leur système n’avait plus d’avenir, comment donc ont réagi les membres de la Nomenklatura ? Les bureaucrates soviétiques se sont-ils démis de leur fonction pour jouer un rôle dans la « transition démocratique » ? Loin de là ! La réaction première fut de s’enrichir aux dépens de l’ancien État soviétique. Ils ont fini par proprement ruiner le pays en bradant le patrimoine russe. Dès la fin de la décennie, Henri Alleg qualifiait cela de « plus grand hold up de tous les temps » (Le grand bond en arrière, 1997). L’élite soviétique, les proches de Boris Eltsine notamment, se sont empressés de revendre des pans entiers de l’infrastructure industrielle russe aux entrepreneurs américains. Ceux-ci les rachetaient pour une bouchée de pain et les fermaient aussitôt pour pouvoir vendre leur propres produits d’exportation sur ce nouveau marché prometteur de plusieurs centaines de millions de clients potentiels. Les magnats russes touchaient le pactole et mettaient leur petit trésor à l’abri. À la fin des années 90′, le directeur de recherches socio-politiques de l’Académie des Sciences, Guennadi Ossipov, estimait déjà à 200 milliards de dollars le montant des richesses russes transférées dans les paradis fiscaux.

    Aujourd’hui, que constate-t-on ? De nombreux indices laissent croire que le même phénomène se reproduit, à l’identique.

    « L’augmentation des températures, la raréfaction de l’oxygène, l’augmentation de la pollution se retourneront, comme toujours, contre les plus faibles. »

    Ne voit-on pas les patrons s’octroyer des rémunérations de plus en plus scandaleuses (Renault, Air France, Carrefour) alors que souvent l’entreprise déplore la crise et jette par milliers les travailleurs sur le pavé ? Ce n’est guère mieux du côté des élites politiques : sans parler de leurs augmentations de salaires en période de « ceintures serrées », combien de ministres actuels sont suspectés dans des affaires de détournement de fonds ? L’argent n’a jamais autant migré sans aucune contrainte vers les paradis fiscaux (dernière estimation en date : 80 à 100 milliards d’euros par an rien que pour la France [ii]). Pensent-ils que le système court à sa perte ? Comme la mafia russe après l’effondrement de l’Union Soviétique, ne sont-ils pas en train de détourner toutes les richesses, tant qu’ils le peuvent ? Macron n’est-il pas en train de vendre (brader) à ses amis tous les biens de l’État français (Aéroports, barrages électriques, SNCF, etc.), comme l’ont déjà fait ses prédécesseurs (Autoroutes, EDF, etc.) ?

    Un monde invivable ?

    Mais cette fois ils n’auront nulle part où aller, objectera-t-on. Nous sommes tous sur la même planète. Les puissants de ce monde ont aussi des enfants pour lesquels ils devront bien faire un effort pour préserver la planète. Peut-être…

    Pourtant, force est de constater que si nous sommes bien tous sur la même planète, nous n’avons probablement pas tous la même éthique, et surtout, pas les mêmes moyens.

    L’augmentation des températures, la raréfaction de l’oxygène, l’augmentation de la pollution se retourneront, comme toujours, contre les plus faibles. Les riches eux, pourront se protéger plus ou moins bien. À Lyon, lors d’une Marche pour le climat, un manifestant arborait un écriteau où l’on pouvait lire « l’air pur ne se vendra pas sur Amazon ». Et pourquoi pas ? Mickaël Jackson avait bien son propre caisson à oxygène. Quand on a de l’argent, il n’y a guère de limites. Mais évidemment, cela se vendra à prix d’or, et les populations les plus pauvres ne pourront certes pas en commander sur Amazon.

    La dégradation du cadre de vie, sur cette unique planète, ne les arrêtera pas. François Ruffindisait il y a peu : « On le sait maintenant : ils iront jusqu’au bout. Ils raseront les forêts. Ils videront les mers des thons, des baleines, des sardines. Ils pressureront les roches. Ils feront fondre les pôles. Ils noirciront l’Alaska. Ils réchaufferont l’atmosphère jusqu’à ébullition. Ils nous vendront un air côté en bourse. Ils affameront des continents… »

    Aucun scrupule moral ne semble les arrêter. Ni même le fait que leurs descendants survivraient dans un monde quasi-invivable.

    Le politique s’occupe de tout

    L’État, véritable béquille des classes sociales favorisées, s’applique depuis plusieurs décennies à casser le modèle social. Un véritable travail de sape de tout ce qui peut représenter une protection pour les populations les plus fragiles, qui se couple à un travail idéologique de fond sur le « chacun pour soi ». Sous prétexte de « responsabiliser » l’individu, on supprime tous les outils de solidarité entre citoyens. Le « pognon de dingue » censé être dépensé dans les aides sociales est un exemple de cette attaque. Au nom du « chacun doit se débrouiller selon ses moyens », on supprime les aides. L’ignominie de cette philosophie ressort clairement lorsque l’ont voit des PDG évincés suite à des scandales partir avec un parachute doré alors que les travailleurs eux se retrouvent bien souvent gravement endettés ou à la rue. Au final, nulle responsabilisation n’en découle, on ne fait qu’augmenter la part des richesses sociales détournées par les classes les plus riches. Et au passage, leurs amis politiciens prélèvent leur part.

    « La grande réussite du mouvement des gilets jaunes est d’avoir rendu visible les invisibles, de les avoir introduit sur la scène politique. »

    L’atomisation de la société civile est une conséquence de cette vase entreprise de privatisation, de dilapidation des acquis sociaux, de destruction de la République sociale. Comment ne pas s’interroger sur le délitement de la société que cette entreprise amène nécessairement. L’atomisation prônée par en haut est une tentative de destruction de l’esprit de solidarité, de destruction des liens sociaux.

    Criminalisation des contestations

    Depuis novembre dernier, les attaques gouvernementales contre les communs ont poussé les classes moyennes et populaires à la rue. En retour, la répression policière s’expose dans toute sa nudité.

    L’échec des syndicats à faire reculer le gouvernement sur ces projets n’y est sans doute pas pour rien. Fin de mois, fin du monde, même combat : les gilets jaunes viennent amplifier la contestation de la Macronie et son monde.

    La grande réussite du mouvement des gilets jaunes est d’avoir rendu visible les invisibles, de les avoir introduit sur la scène politique. On discute de politique partout, sur les ronds-points, dans les rues, partout. On discute de temps à autres avec les gilets verts, avec les gilets noirs quelques fois. Des liens se sont créés. Face à une répression implacable, cruelle, les gilets jaunes restent soudés. Une solidarité qui, manifestement, dérange. Au point que l’on tabasse, éborgne, mutile, tue [iii].

    La seule réponse gouvernementale à ce mouvement de contestation sociale et politique, hormis quelques discours lénifiants, aura été une répression policière et judiciaire démesurée.

    Pire, en se servant de l’appareil judiciaire pour tenter d’étouffer cette révolte, on en vient à la criminalisation [iv] de toute opposition sociale ou politique, au-delà même du seul cadre des gilets jaunes. Se mobiliser pour sauver la planète, dénoncer l’injustice des institutions, sauver des migrants en danger de mort, défendre le droit des femmes, affirmer son droit à prendre part aux décisions politiques : tout cela est devenu un CRIME. Ils ont même tenté le « délit de solidarité » !

    Individualisme et sécession

    Dès lors, dans un monde où l’on jette l’anathème sur toute forme de solidarité, où l’individualisme est érigé en quasi-religion dominante aussi bien par l’État que par les puissants de ce monde, comment croire que ceux-là même qui promeuvent cette idéologie de tout le poids de leur presse et de leur service de communication, se poseront le problème autrement que par le prisme de leurs propres intérêts personnels ?

    Pourtant, leur vision n’est peut-être pas si court-termiste qu’on peut le penser. Il est possible que l’avenir les préoccupe. Mais, c’est ici et maintenant qu’il faut engranger de l’argent. Surtout, si le temps se gâte, ajouteront-ils ! Face à une tempête imminente, on peut raisonnablement penser que leur réaction ne sera pas de se questionner sur les origines de celle-ci. Elle sera de chercher les moyens d’accaparer un maximum de richesses avant le chaos.

    Et ce chaos à venir, plusieurs récentes enquêtes journalistiques montrent qu’ils en sont conscients. En Nouvelle Zélande, plusieurs dizaines de milliardaires de la Sillicon Valley auraient acquis des terres pour faire face à l’Apocalypse. C’est ce que révèle le journal L’Humanité dans un article d’avril dernier. Selon cet article, le cinéaste James Cameron serait de la partie. Mark Zuckerberg, le PDG de Facebook, lui, chasse les insulaires à coup de dollars, non loin d’Hawaï pour se créer un refuge sur mesure. S’appuyant sur la culture survivaliste qui se développe parmi les fortunes de la Silicon Valley, le commerce d’abris post-apocalypse se porte à merveille. Certaines sociétés, comme Survival Condo, Vivos, Ultimate Bunkers ou encore Terra Vivos se sont spécialisés dans la construction ou le réaménagement luxueux d’anciens bunkers.

    Qu’est-ce qui peut motiver des milliardaires à acquérir des terres sur ces îles ? À l’évidence, elles ont l’avantage d’être peu peuplées, donc moins polluées. Mais aussi, ces îles sont montagneuses, et donc résisteront à la montée des eaux. Selon leur propres propos, ces milliardaires anticipent aussi la possibilité d’une « révolution ou d’un conflit social qui s’en prendrait au 1 % ».

    « Le capitalisme est par essence le pillage en coupe réglée du monde. »

    Une autre étude fait état de la même tendance à se prémunir face au dérèglement climatique et les probables révolutions politiques qui pourraient s’ensuivre.

    En septembre 2017, l’enquête de Hors-sol et Pièces et Main d’œuvre évoque le projet Seasteading, à l’initiative du milliardaire Peter Thiel (Paypal, Facebook, Palantir…). Sachant que les terres vont être de plus en plus peuplées, polluées, ravagées, le capitalisme high-tech semble voir son salut dans la conquête de la surface des océans. Le Seasteading Institutevient donc de signer un accord avec le gouvernement polynésien pour la création d’une Zone Économique Spéciale. Il est envisagé de construire des îles flottantes high-tech énergétiquement autonomes qui miseraient sur la culture des algues pour en faire un carburant propre, dépolluer l’océan et l’air. Les îles polynésiennes étant particulièrement menacées par la montée des eaux, les habitants y voient nécessairement un radeau de sauvetage ! Et c’est ainsi que le projet leur est présenté. Dans son protocole d’accord avec Seasteading, le gouvernement de Polynésie s’engage « à tout mettre en œuvre en faveur de la préservation du patrimoine naturel et culturel polynésien pour devenir une vitrine mondiale du développement durable » ! La richissime Californie au secours des îles perdues de Polynésie…

    Pourtant le Seasteading Institute vise déjà le large. Toutes précautions sont prises pour s’assurer d’une autonomie par rapport au gouvernement polynésien. Le statut de Zone Économique Spéciale leur offre des conditions fiscales et juridiques avantageuses qu’ils ne sauraient trouver sur terre. Le rêve libertarien de pouvoir faire de la recherche hors de toute contraintes juridiques pointe à l’horizon. Or, 45% de la surface de la terre n’appartient à aucune nation. Ces îles flottantes, mobiles, seraient donc libres de toutes contraintes juridico-politiques.

    En fait de projet écologique, il ne s’agit rien moins que de la poursuite de l’accaparement, de l’appropriation privé des biens de la nature. Après avoir exploité à outrance terres, montagnes, lacs, fleuves, bords des océans, l’homme s’apprête à conquérir le large. L’auteur de l’étude conclue : « Les lagons polynésiens sont au XXIe siècle ce que les commons anglais étaient au XVIIe : la proie des enclosures dans une sorte d’accumulation primitive du capital maritime, aurait dit Marx ».

    Nous n’en sommes plus au stade de projet. Milliardaires et technocrates sont passés à l’expérimentation in situ. Dans l’attente de l’apocalypse, environnementale ou sociale, ils se préparent un monde à part, réservé aux élites. C’est bien là leur philosophie : que chacun sauve sa peau selon ses moyens ! Ils ont beau essayer de se redonner un vernis humaniste de temps à autre – comme les dons pour Notre-Dame de Paris récemment – on peut être certain qu’ils montreront leur vrai visage en cas de grave crise sociale ou environnementale.

    Les 1%, ces élites haineuses, préparent là activement leur sécession. Les puissants de ce monde s’acclimateront. Du moins, c’est ce qu’ils espèrent. Comme l’affirme Pierre Madelin dans son dernier ouvrage (Après le Capitalisme, 2017) on ne peut pas attendre que le capitalisme s’effondre de lui-même pour laisser émerger des sociétés résilientes. Le capitalisme est par essence le pillage en coupe réglée du monde. Le mouvement social et écologique en cours doit prendre acte de cette volonté de sécession des riches et, sans attendre quoique ce soit des élites dominantes, inventer lui-même les formes d’émancipation qui pourront assurer un avenir à l’humanité.

    Jérôme Correia

    Notes :

    [i] Une étude du magazine l’Express l’Expansion de 2012 chiffrait à 1 600 milliards d’euros les aides consenties aux banques par les États de l’Union Européenne
    [ii] Estimation du syndicat Solidaires Finances Publiques, largement relayé par toute la presse économique.
    [iii] Le nombre de victimes et les types de blessures sont largement documentés par le remarquable travail du journaliste David Dufresne, notamment via son Allo Place Beauvau.

    [iv] Sur la criminalisation, et la tentative de dépolitisation du mouvement que cela suggère, voir notamment la récente étude de Vanessa Codaccioni, Répression, L’État face aux contestations politiques, Éditions Textuel, avril 2019

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