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    En finir avec les besoins artificiels… prendra du temps

    Lien publiée le 5 novembre 2019

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

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    En finir avec les besoins artificiels… prendra du temps

    Dans le livre « Les besoins artificiels. Comment sortir du consumérisme », Razmig Keucheyan rappelle l’importance de la consommation inutile dans le désastre écologique. Et promeut le ralentissement des nouveautés, pour éteindre la soif de la distinction. Lecture.

    « Le capitalisme sait tout marchandiser. » Le constat fait par Razmig Keucheyan, professeur de sociologie à l’université de Bordeaux, n’est certes pas nouveau. De Marx à André Gorz en passant par quelques autres grands noms de la sociologue (on pense à Bourdieu), nombreux sont les penseurs à avoir mis l’accent sur la formidable capacité du capitalisme à tirer profit, au sens propre, de ce qui constitue les besoins vitaux de l’Homme.

    Mais il va au-delà. Dès lors que, selon le mot de la philosophe Agnes Heller, ces besoins « radicaux » (se nourrir, se vêtir, s’alimenter…) sont assouvis, le capitalisme se renouvelle et s’ingénie à en créer de nouveaux qui, peu à peu, s’infiltrent au cœur de nos existences qu’ils envahissent et colonisent, tel un cancer. La norme du « toujours plus » prend la place du « suffisant ». Les exemples abondent de cette emprise. Le culte de la performance individuelle en est un à travers le coaching et la vogue actuelle du nutritionnisme. Mais l’illustration la plus caricaturale et la plus immédiate est l’avalanche d’objets numériques (smartphones, montres et autres enceintes connectées) dont nous sommes sommés de nous équiper sous peine de passer pour des ringards.

    Reprenant les travaux d’autres chercheurs, l’auteur évoque d’autres cas de ce « toujours plus », moins immédiats mais tout aussi pervers. Ainsi de la pollution lumineuse. « A l’origine, l’obscurité et le ciel étoilé ne sont pas des biens rares, écrit-il. Il n’y a pas si longtemps, ils existaient en abondance (…) Pourtant, du fait de la pollution lumineuse, l’obscurité s’est transformée en bien rare, et qui le devient de plus en plus à mesure que l’éclairage artificiel poursuit son avancée. Cette raréfaction a donné lieu à l’émergence d’un nouveau besoin : le besoin d’obscurité ». Pour tous ceux qui contestent le « cosmocapitalisme », l’obscurité est devenue un bien menacé, rare, qu’il convient donc de préserver, constate-t-il. Demain, pour rêver devant un ciel étoilé il faudra sans doute payer. N’est-ce pas d’ailleurs déjà le cas lorsqu’on part « faire un trek » au Népal ou au Sahara ?

    La grande fête du « communisme du luxe » 

    Au-delà du constat, Razmig Keucheyan ouvre des pistes, certaines pratiques, d’autres politiques, pour nous désaliéner. Dans des pages qui sont les plus stimulantes de l’ouvrage, il préconise d’abord de sortir de la course permanente aux nouveaux objets, et de privilégier « les biens émancipés ». Il entend par là des objets robustes (au moins pour ceux peu susceptibles d’évoluer sur le plan technologique — un réfrigérateur par exemple), faciles à démonter (avec des pièces à détacher disponibles durant des années), compatibles d’une marque à l’autre (ce qui a été fait il y a peu au sein de l’Union européenne pour les chargeurs de téléphone portables), des objets ouverts aux évolutions technologiques mais, si possible, standards. Inutile de préciser que les conférences de presse d’Apple, où la plus minuscule innovation est mise en avant pour inciter les consommateurs à changer de smartphone, hérissent l’auteur.

    Ces biens émancipés ouvrent la voie à ce que l’auteur appelle un « communisme du luxe » (une expression qui a surgi pendant la Commune de Paris). Il ne s’agit pas « que les produits coûteux deviennent accessibles à tous » mais d’éteindre la soif du luxe, du nouveau, justement en favorisant les produits émancipés. « En ralentissant le rythme des mises sur le marché, on désamorce la distinction par le très neuf. Moins il y a de marchandises nouvelles, moins il y a d’occasions de se distinguer par leur entremise. On empêche par là même, ajoute l’auteur, que les produits “haut de gamme”, donc durables, soient réservés à une élite de consommateur, et que le bas peuple doive se contenter de bien jetables. Des biens durables pour tous ! »

    Avant la grande fête du « communisme du luxe », convient Razmig Keucheyan, « il y a un peu de travail » à faire. C’est un euphémisme ! Et l’auteur de plaider pour une alliance entre les secteurs engagés dans les luttes environnementales et les forces syndicales. Il faut « hybrider », écrit-il, le mouvement ouvrier et le mouvement écologiste. De cette convergence on ne voit guère les prémices dans les mouvements du type Extinction Rebellion mais l’auteur, en conclusion d’un livre au goût d’inachevé, se dit convaincu que l’exemple viendra des pays du Sud, de la Chine, de l’Inde, de l’Afrique du Sud et du Brésil. Là-bas, assure-t-il, l’écologie est en train de devenir un axe central des revendications ouvrières. Malheureusement, rien ne vient étayer le propos.

    • Les besoins artificiels. Comment sortir du consumérisme, de Razmig Keucheyan, éditions La Découverte, septembre 2019, 250 pages, 18 €.