[RSS] Twitter Youtube Page Facebook de la TC Articles traduits en castillan Articles traduits en anglais Articles traduits en allemand Articles traduits en portugais

Newsletter

Ailleurs sur le Web [RSS]

Lire plus...

Twitter

Lycée professionnel: les profs dénoncent une réforme bancale voire "dangereuse"

éducation

Lien publiée le 5 novembre 2019

Tweeter Facebook

Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.marianne.net/societe/reforme-lycee-professionnel-professeurs-a-bout

Mise en place à la rentrée 2019, la réforme du lycée professionnel de Jean-Michel Blanquer est largement contestée sur le terrain. Pour les risques "psycho-sociaux" qu’elle ferait courir aux professeurs comme pour la détérioration qu'ils dénoncent de la formation donnée aux élèves.

Transmettre des « compétences de pointe », créer « un tremplin vers une insertion immédiate », répondre aux « défis de l’économie et de la société »… Bref, atteindre « l’excellence ». Avec la réforme du lycée professionnel, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, entendait rénover en profondeur une voie longtemps laissée pour compte avec, au programme, une « meilleure articulation entre enseignements professionnels et enseignements généraux », la mise sur pied d’une « offre adaptée à la réalité économique », via un regroupement en classe de seconde des formations en « familles de métiers » pour une « spécialisation plus progressive » et enfin, une « consolidation des savoir-faire et savoir-être tout au long de la formation ». Une révolution fragilisée par sa récente mise en application… Dans les établissements en effet, depuis la rentrée, les professeurs concernés dénoncent une réforme « intenable », entre « injonctions contradictoires » et « absence de cadrage ». Une situation qui fait peser sur le personnel enseignant des « risques psycho-sociaux », a alerté le comité d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail ministériel (CHSCT-M), qui a ordonné début septembre la suspension de la réforme. « Patience ! », claironne pour sa part le ministère, défendant un « changement de paradigme conséquent ».

UNE RÉFORME "À MARCHE FORCÉE"

« Nous sommes sans cesse dans le dépassement de fonction sans rien avoir en retour, déplore Catherine Limier, professeur de français et d’hstoire-géographie au lycée Frédéric Bartholdi de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), syndiquée à la CGT Educ’Action. Dans ces conditions, comment trouver du sens dans l’accomplissement de notre mission ? ». Depuis le mois de septembre, les professeurs de lycées professionnels enragent, obligés de faire face à une réforme qu’ils avaient prédite « dangereuse », pour les élèves comme pour eux. « Il faut se souvenir que tous les syndicats ont voté contre cette réforme pendant la phase de concertation, signale la professeur. Et pourtant, elle a été mise en place à marche forcée, contre notre gré. Et c’est à nous de la porter aujourd’hui ».

Pilier de la réforme, la mise en place d’heures de « co-intervention » est le premier motif de colère des enseignants. Le principe : pour alléger des « emplois du temps particulièrement lourds pour les élèves » (selon la communication gouvernementale), atteignant parfois 33h30 par semaine, les professeurs d’enseignements généraux (français et mathématiques-sciences) et de matières professionnelles sont appelés à s’associer, donc à fusionner leurs enseignements, pour proposer des cours communs pendant 1h30 par semaine. « On nous parle d’innovation pédagogique alors que le but est simplement de baisser les heures et donc de supprimer des postes, déplore Sigrid Gérardin, secrétaire générale du Snuep-FSU. La preuve, au global, les élèves ont perdu cette année 4 heures de cours par semaine. Et nous, 900 postes ! ».

Malgré une baisse des heures, la charge de travail des enseignants n’a pas diminué, loin de là, nous explique-t-on en chœur. Lisa*, professeure de mathématiques et de sciences physiques en Gironde, témoigne d’« heures en plus non payées » pour préparer ces fameux « nouveaux cours communs »« On nous dit : "Allez-y, innovez !" Pourtant, aucun cadrage, aucune aide ne nous est apporté pour façonner ces enseignements d’un nouveau genre. C’est donc à nous de nous réunir hors de notre temps de travail pour créer des "projets"… On nous donne les clés et nous devrions prendre cela comme un cadeau ! ». Même colère du côté d’une professeur alsacienne de gestion-administration : « Avec mon binôme professeur de français, soit on se réunit 2 heures chaque soir pour créer un programme, soit, si on ne veut pas se fatiguer, on se contente de faire faire aux élèves des lettres de motivation, avec le risque de perdre leur attention ».

"Nous devons travailler comme des dingues pour se mettre à jour, tout ça pour devenir des animateurs de garderie"

Pourtant, rappelle Lisa, « lier les enseignements généraux et professionnels » n’a rien de nouveau en lycée professionnel. « Mais c'étaient des projets lancés sur la base du volontariat et de manière ponctuelle, avec des objectifs clairement identifiés ». Surtout, ajoute un professeur de banlieue parisienne, « ces sessions avaient lieu en groupe et non en classe entière, en mêlant tous les publics(élèves scolarisés ou apprentis en rupture de contrat, ndlr) comme cela nous est demandé aujourd’hui. Comment voulez-vous atteindre l’excellence dans ces conditions ? ».

Un travail conséquent qui vient s’ajouter à d’autres missions, comme l’aide à l’orientation ou l’assimilation des nouveaux programmes mis en place également en cette rentrée. « Il faut quand même les digérer et les absorber pour pouvoir les appliquer, décrit Sigrid Gérardin. Alors que nous sommes déjà débordés avec cette réforme, il n’y a eu aucune formation et aucun soutien institutionnel pour aider les collègues et leur faciliter la tâche ». Plus qu’un soutien, Catherine Limier préfèrerait obtenir des précisions quant aux contenus : « On a complètement changé les programmes pour les tirer vers le bas. À partir de cette année, en français notamment, les attentes du bac pro deviennent les anciennes attentes du CAP… »« Nous devons travailler comme des dingues pour nous mettre à jour, tout ça pour devenir des animateurs de garderie, peste pour sa part la professeur girondine. Tout ça, les jeunes le sentent bien. Ça crée des frustrations, des ressentiments contre l’institution, de la violence… Cette agitation, c’est à nous de la gérer, seuls et sans soutien ».

DES SPÉCIALISATIONS PARFOIS BANCALES 

D’autant que certains aspects de la réforme favorisent certains mouvements d’humeur, selon Catherine Limier. En premier lieu, la rénovation « bancale » de la seconde professionnelle en « familles de métiers ». Au grand dam des professeurs, aux avant-postes. Concrètement, plutôt que de laisser les élèves se spécialiser dès la première année de lycée pro, comme c’était le cas auparavant, Jean-Michel Blanquer a tenu à faire désormais découvrir aux élèves une « large gamme de métiers », afin de leur permettre « d’acquérir les premières compétences professionnelles utiles dans un secteur, de se professionnaliser et d’affirmer progressivement leurs choix » de spécialisation, laquelle n’interviendra donc qu’en classe de première.

"A nous d’improviser avec les moyens du bord"

Si d’ici à 2021, 14 familles de métiers doivent être proposées aux élèves, ceux-ci n’ont aujourd’hui le choix qu’entre trois familles (métiers de la construction durable, du bâtiment et des travaux publics ; métiers de la relation client ; métiers de la gestion administrative, du transport et de la logistique), qui contiennent en tout 13 matières. Une mise en place très progressive qui n’a pas empêchée certains couacs. « On met en avant le fait de "laisser le choix" aux élèves après leur avoir fait découvrir une large palette de possibilités, constate Guillaume Lefèvre, secrétaire national à l'enseignement technologique et professionnel du SNALC. En réalité, ils n’ont que très peu le choix. Par exemple, très peu d’établissements proposent les six disciplines de la famille des métiers du bâtiment. Le plus souvent, vous en avez 2, 3 ou 4 au mieux… Ces élèves feront donc un choix pas totalement libre, en fonction de ce qui est proposé chez eux et non pas d’après leurs envies ». Prolongeant donc un peu plus le règne de l’orientation par défaut qui est souvent déjà leur lot.

Au lycée Bartholdi de Saint-Denis, c’est la famille de métiers « gestion administrative, du transport et de la logistique » qui est amputée de cours… de logistique, faute de professeurs spécialisés. Pour garantir aux élèves un « choix en conscience », système D : les enseignants des autres disciplines ont accepté de « fabriquer » des présentations des métiers de la logistique. « Ils étaient déjà surchargés et démoralisés mais ils n’ont d’autre choix que de pallier les manquements de la réforme alors qu’ils n’ont aucune connaissance en logistique », témoigne la syndicaliste CGT. De nombreux cas semblables nous ont été rapportés sur tout le territoire. « De toute façon, il n’existe aucun texte réglementaire définissant précisément le contenu des enseignements donnés dans ces familles, note Catherine Limier. Tout ce que nous savons, c’est que nous avons en charge "l’appropriation de l’ensemble des référentiels’". Pour le reste, à nous d’improviser avec les moyens du bord ».

UN COMITÉ DE SUIVI DU MINISTÈRE

Ainsi « livrés à eux-mêmes », les professeurs de la voie professionnelle ont reçu un soutien de poids le 5 septembre. À la suite des signalements du Snuep-FSU portant sur les risques « psycho-sociaux » que ferait peser la réforme sur le personnel enseignant, le CHSCT ministériel a demandé au ministre de l’Éducation nationale de « suspendre l’application » du texte et d’apporter des « réponses » à ce malaise dans un délai de deux mois. En réaction, un « comité de suivi » de la réforme a été mis en place par le ministère. « Nous sommes bien évidemment à l’écoute de l’avis prononcé par cette instance comme de toutes les remontées de terrain documentées, démine Marc Foucault, inspecteur général de l'Éducation nationale, auprès de MarianneC’est une réforme particulièrement ambitieuse qui va se déployer par vagues. Et nous serons particulièrement réactifs face aux problèmes rencontrés sur le terrain. Mais il faut être patient avant de tirer des conclusions hâtives. Que la mise en application de la réforme soit inégale selon les territoires n’a rien d’anormal ».

"Si on voulait faire fuir les profs du pro, on ne s’y prendrait pas autrement"

Selon lui, cette réforme renverse la façon de fonctionner de ces établissements, leur imposant désormais une « approche par compétences » en se basant sur la capacité « d’innovation et de créativité » de la voie professionnelle. « C’est un tout autre schéma pédagogique auquel les professeurs devront s’habituerNous avons indiqué le cap et les équipes, j’en suis sûr, atteindront les objectifs fixés. Charge aux inspecteurs locaux de proposer des formations… Nous avons bien pris en compte cette volonté d’accompagnement ».

Une réponse loin de satisfaire les syndicats. « On avait prévenu, des mois avant son application, des risques liés à la souffrance au travail, s’étrangle Sigrid Gérardin. Les différents suicides qui touchent la profession devraient pousser le ministère à plus de prudence »« C’est à croire que cette réforme a pour but de favoriser la contractualisation, regrette Catherine Limier. On nous baisse les heures, on supprime des postes et dans le même temps, on nous demande de fabriquer nos propres programmes sans être reconnus pour cela… Si on voulait faire fuir les profs du pro, on ne s’y prendrait pas autrement ».