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Guénolé : "Mélenchon s’est condamné au rétrécissement"

Mélenchon

Lien publiée le 19 novembre 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.marianne.net/politique/thomas-guenole-jean-luc-melenchon-s-est-condamne-au-retrecissement

L'auteur de "La chute de la maison Mélenchon" a accordé un entretien à "Marianne". Il y présente les thèses développées dans son livre : une France insoumise accusée de fonctionner de manière "dictatoriale", et à la stratégie politique défaillante.

Marianne : Votre ouvrage (La chute de la maison Mélenchon, Albin Michel) décrit une France insoumise fonctionnant comme un "régime autoritaire" dirigée par un "autocrate", Jean-Luc Mélenchon. Comment en êtes-vous arrivé à un tel constat ?

Thomas Guénolé : Je suis arrivé à LFI en été 2017, très enthousiaste pour servir l'idéal politique du mouvement avec lequel je reste d'accord. J'ai été dans la situation de L'Idiot de Dostoïevski : ce personnage qui n'est mû que par l'idéal et tarde à voir ce qu'il devrait voir. Pendant un peu moins d'un an, je me suis consacré avec Manon Le Bretton au dispositif de formation politique des militants, sans contacts fréquents avec l'appareil central. Arrive l'été 2018 : je me porte volontaire pour être candidat aux élections européennes, acceptant une place non éligible dès le départ. Fin août, la placardisation de Charlotte Girard est un premier voyant rouge pour moi. A cet instant, je n'ai plus mes lunettes roses ; je commence, comme des milliers de militants, à entrer dans un processus de dissonance cognitive. Je détecte de plus en plus d'éléments dans la machine qui sont contraires à l'idéal affiché. Cela aboutit à une rupture quand la balance est trop déséquilibrée du côté négatif. Les purges me font prendre conscience que les lanceurs d'alerte sur le fonctionnement dictatorial sont calomniés, placardisés, bannis, ou un mélange des trois. Pendant les fêtes de fin d'année 2018, je me demande quand je dois partir, et pas si je dois partir. Je décide d'attendre juin 2019 parce que je ne voulais pas lâcher les militants de terrain en pleine bataille électorale. Rétrospectivement, c'était une erreur, j'aurais dû quitter la France insoumise dès janvier. Il me paraît évident que le procès interne qui m'a été fait sur la base d'un dossier vide avait pour but de disqualifier d'avance ma parole critique avant qu'elle devienne publique, en provoquant ma mort sociale par déshonneur.

Certains Insoumis vous décrivent comme un opportuniste éloigné du terrain, désireux de se retrouver une place dans le système médiatique en "tapant" sur la France insoumise. Que répondez-vous à ces critiques ?

J'ai quitté mon emploi de l'époque, très bien rémunéré, par choix de m'engager à fond dans la campagne européenne alors que je n'étais jamais en position éligible. Ceux qui m'accusent de carriérisme racontent donc objectivement n'importe quoi. Prétendre que je n'ai pas fait de terrain est idiot : j'ai sillonné la Bretagne en long, en large et en travers pendant la campagne européenne. Quant à l'exposition médiatique, je l'avais avant et je l'ai après mon expérience à LFI.
 

Quelle responsabilité portent Jean-Luc Mélenchon et Sophia Chikirou dans les échecs électoraux de la France insoumise ? Vous les décrivez comme étant au centre de la "toile d'araignée" qu'est LFI...

J'ai cru pendant de nombreux mois à la légende du "gentil Jean-Luc" et de la "méchante Sophia". Ça n'a aucun sens : ces deux personnes fonctionnent en symbiose, ils sont une seule et même entité politique. Puisqu'ils ont voulu organiser LFI comme une dictature à leur solde, ils portent ensemble l'entière responsabilité de l'autodestruction de la maison Mélenchon. Les cadres de l'appareil central qui sont restés se partagent entre les suivistes sous emprise et ceux qui sont des rouages actifs du fonctionnement dictatorial.
 

Paradoxalement, l'ouverture démocratique d'un parti peut aussi donner une grande influence au microcosme militant et le couper de la société. La campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon, qui rompait avec beaucoup de codes traditionnels de la gauche, aurait-elle été possible avec une organisation classique ?

Dans le cas d'une campagne présidentielle, l'espace de temps est très serré. Un fonctionnement davantage par délégation est tout à fait concevable, à deux conditions : cela doit procéder d'un mandat clair et voté en amont, et sitôt la campagne terminée, le fonctionnement permanent de la grande force de gauche doit être démocratique. Une grande force politique de gauche, et fonctionnant de manière démocratique, est-elle possible ? Je prône le modèle du Labour britannique, qui imbrique dans le processus décisionnel le parti, les syndicats de gauche et tous leurs adhérents, en proposant d'élargir cela aux associations, aux ONG et aux abonnés des médias de gauche pour créer une très grande force politique, syndicale, associative et sociale qui soit une vaste coordination par la base. Je pense qu'elle doit être démocratique, d'abord parce qu'on ne peut pas plaider pour une vraie démocratie en France et organiser sa propre machine au quotidien comme une dictature. De plus, les contre-pouvoirs et les processus électoraux permettent à une démocratie de corriger en permanence ses erreurs. Quand le dictateur fonce dans le mur, on ne peut rien faire pour l'arrêter : Jean-Luc Mélenchon, ces deux dernières années, en est la preuve.

Selon vous, le succès de Mélenchon lors de la campagne présidentielle 2017 est largement dû aux électeurs de gauche qui ont choisi de voter pour lui plutôt que pour Benoît Hamon. La fameuse "stratégie populiste" n'explique pas le bon score de l'Insoumis selon vous...

Jean-Luc Mélenchon a fait presque 20% en 2017 malgré sa stratégie populiste, et pas grâce à elle. Son "rebranding" a remplacé tous les aspects "fier d'être rouge" de la campagne de 2012 par un message dépassant la gauche et la droite, des couleurs pastel, un vocabulaire portant à l'apaisement, et la proposition du peuple contre l'oligarchie des 1%. Avec ça, où en est-il en janvier 2017 ? Il retrouve en intentions de vote son score de 2012. Le "rebranding" est un échec. Mélenchon passe devant Hamon grâce à un effet dominos : quelques semaines après la victoire de Hamon à la primaire, il y a un exode d'électeurs de centre-gauche de Hamon à Macron, qui se disent que Macron est le mieux placé pour battre Le Pen. Hamon chute alors de 17 à 13% et perd l'effet vote utile. Arrivent alors les débats de premier tour : Mélenchon, sur le fond et la forme, est bien meilleur que Hamon. Il lui passe devant, et bénéficie alors du vote utile de gauche qui le catapulte à presque 20%. Pendant ce temps-là, les autres candidats restent stables, le déplacement de voix est donc bien interne à la gauche. Moralité, Jean-Luc Mélenchon en 2017 a été malgré lui un candidat du vote utile de gauche. L'analyse interne à la maison Mélenchon selon laquelle le score de 2017 valide la ligne populiste est une auto-intoxication idéologique. Penser qu'on pourrait rassembler 90, 80 ou même 70% du peuple contre les élites est une vue de l'esprit.

Certes, mais entre 2017 et 2019, LFI est revenu à une ligne politique beaucoup plus proche de la gauche traditionnelle, et le résultat de l'élection européenne a été très mauvais. Cette nouvelle stratégie n'est-elle pas tout simplement inopérante, y compris parmi les électeurs "de gauche" ?

De 2017 à 2019, Jean-Luc Mélenchon a suivi une logique de populisme alors qu'il avait fait 20% en étant malgré lui le candidat de l'union de la gauche. Il s'est donc condamné au rétrécissement avec une ligne de soulèvement du peuple contre les 1% quel que soit le sujet. Ça n'a fait qu'écarter de lui ceux qui avaient voté pour lui par vote utile de gauche et ne se reconnaissent pas dans une proposition de soulèvement.

La catastrophe de l'élection européenne s'explique par plusieurs raisons : la logique de soulèvement dont on a déjà parlé ; le plan A-plan B, qui à force de flou pour ne froisser personne a suscité la méfiance de tout le monde ; lors des perquisitions, la perte totale de contrôle de soi de Jean-Luc Mélenchon a provoqué une rupture d'opinion, fait rarissime. Contrairement à beaucoup, je ne pense pas que le problème soit la colère. C'est d'avoir vu cet homme perdre le contrôle de lui-même dans une situation de crise qui a détourné les gens. Au moment de l'élection européenne, le problème n'est pas la ligne de LFI, mais que personne y compris parmi les cadres dirigeants n'ait été capable d'expliquer la ligne : car personne n'en avait la moindre idée !

Que penser de la participation de la France insoumise à la marche contre l'islamophobie du 10 novembre ?

Le concept d'islamophobie pose problème, parce qu'il est polysémique et qu'il y a un débat très dur sur ce qu'il désigne. Quand un mot censé rassembler est lui-même facteur de divisions, il faut en utiliser un autre. En l’occurrence, il eût fallu parler de racisme anti-Maghrébins ou de racisme anti-musulmans. Ensuite, le texte de l'appel pose problème, car il est flou sur les "lois liberticides" envers l'expression du fait religieux musulman. On ne peut pas signer un texte flou sur un sujet aussi sensible, qui conduirait à marcher malgré soi contre le principe de laïcité. Enfin, parmi les initiateurs de l'appel, il y a des gens avec qui la gauche a trop de divergences absolument fondamentales (laïcité, refus de tout communautarisme). On peut signer aux côtés de gens avec qui l'on a de tels désaccords, mais impossible de signer un texte dont ils sont des porteurs.

L'intégralité des députés LFI a signé le texte. Il est donc hautement vraisemblablement que ce soit une consigne du sommet. La source d'incompréhension, pour beaucoup de gens à gauche, c'est que Jean-Luc Mélenchon ait pu apporter les signatures de la maison Mélenchon à un tel texte ayant parmi ses initiateurs de telles personnes. Mon hypothèse, c'est que Jean-Luc touche aux limites explosives de sa tendance à essayer d'être le François Hollande de la gauche radicale. Essayer de garder tout le monde ensemble en faisant la synthèse de la carpe et du lapin finit par lui exploser au visage.

Pour l'avenir, je le dis sans la moindre animosité envers quiconque à gauche : il faudra faire plus attention, dans la façon de militer contre le racisme, à ne pas faire la courte échelle à des gens qui ont d'autres agendas.