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Un millier de tracteurs ont bloqué le périphérique parisien mercredi

Lien publiée le 29 novembre 2019

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Agriculteurs en péril : un millier de tracteurs ont bloqué le périphérique parisien

Mercredi, quelque 1.200 tracteurs ont convergé à Paris avant l’aube et bloqué le périphérique toute la journée. Des agriculteurs se sont rassemblés sur les Champs-Élysées pour dénoncer la faiblesse de leurs revenus et « l’agri-bashing » dont ils se disent victimes. Le ministre de l’Agriculture a reçu leurs représentants à 17 h.

  • Paris, reportage

« On a le sac de couchage, le réservoir est plein, on peut rester toute la nuit s’il le faut ! Nos responsables devaient être reçus aujourd’hui, c’était prévu, organisé. Tant qu’ils ne le seront pas, on ne bougera pas. Ils doivent au moins faire semblant de nous écouter ! » Ce mercredi 27 novembre, Thomas, 38 ans, a quitté son exploitation de Notre-Dame-de-la-Mer (Yvelines) en tracteur à 5 h du matin, direction Paris. Arrivé vers 10 h au niveau de la sortie porte Dauphine, dans le XVIe arrondissement, il a garé son engin agricole au milieu de 280 autres et en est descendu, déterminé à « ne pas lâcher » et à dénoncer la faiblesse des revenus agricoles ainsi que « l’agri-bashing »dont les agriculteurs s’estiment victimes.

Autour de lui, des dizaines d’agriculteurs en ont fait de même, commençant à discuter, allumant un brasero et faisant la queue devant la baraque à frites installée sous le tunnel. Beaucoup de gilets orange fluo, quelques drapeaux vert et blanc pour la FNSEA– le syndicat agricole majoritaire, qui soutient l’agriculture conventionnelle –, d’autres rouges pour les Jeunes Agriculteurs (JA), mais pas de trace du jaune de la Confédération paysanne, qui a refusé de rejoindre la mobilisation. [1]

En tout, 1.250 tracteurs venus des régions Hauts-de-France, Normandie, Île-de-France, Grand Est, Centre-Val-de-Loire et Bourgogne-Franche-Comté ont convergé vers la capitale au petit matin, avec l’intention de se rassembler avenue Foch, dans le XVIe arrondissement. Mais après que des éclaireurs ont aperçu le mur anti-émeute dressé par les forces de l’ordre entre l’avenue et l’Arc de triomphe et compris qu’ils risquaient de passer la journée enfermés dans une gigantesque nasse, il a finalement été décidé de bloquer le périphérique en quatre points et d’interrompre la circulation jusqu’à ce que l’exécutif accorde une entrevue aux agriculteurs. Finalement, le ministre de l’Agriculture Didier Guillaume et la secrétaire générale de l’Élysée Anne Payser ont reçu la présidente de la FNSEA Christiane Lambert et le président des JA Samuel Vandaele à 17 h. Les agriculteurs ont ensuite quitté le périphérique dans la soirée, après que que le Premier ministre Édouard Philippe leur a promis une nouvelle entrevue mardi 3 décembre à 9 h 30.

Installé en 2010, Thomas cultive 148 hectares en grandes cultures – blé, orge, colza et lin. « Je vends principalement à des coopératives. On nous soumet à règles de plus en plus strictes, alors que la France est le pays le plus sûr du monde en matière sanitaire. En parallèle, on importe via le Ceta [accord commercial de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada] et le Mercosur [communauté économique regroupant l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et le Venezuela]. Trouvez la cohérence ! »Autour de lui, Arnaud, 36 ans, cultivateur de céréales, lin, betteraves et pommes de terre à Perrier-la-Campagne (Eure), et Didier, 30 ans, ouvrier agricole dans une exploitation de blé, orge et colza à Mantes-la-Jolie (Yvelines), acquiescent. « Et les zones de non-traitement [ZNT, où l’épandage de pesticides est interdit] près des habitation ! Sur mon exploitation, 70 maisons sont réparties en plusieurs hameaux. Je n’ai jamais eu une plainte de riverain. Aujourd’hui, si le gouvernement impose des ZNTsur mon exploitation alors que je suis déjà limite et que je ne peux plus cultiver une partie de mes terres, comment je vais faire ? J’ai des terres en location et des propriétaires à payer ! », poursuit-il, encouragé.

(De gauche à droite) Arnaud, 36 ans, cultivateur de céréales, lin, betteraves et pommes de terre à Perrier-la-Campagne (Eure). Didier, 30 ans, ouvrier agricole en grandes cultures à Mantes-la-Jolie (Yvelines). Thomas, 38 ans, installé à Notre-Dame-de-la-Mer (Yvelines) sur 148 hectares de grandes cultures (blé, orge, colza).

« On veut zéro mètre de ZNT près des habitations, que les produits importés dans le cadre du Ceta et du Mercosur respectent les mêmes normes que les nôtres – pas d’hormones de croissance et de nourrissage aux OGM pour les bovins, pas d’OGM et de glyphosate pour l’éthanol en provenance du Canada –, un prix du lait fixé à 396 euros la tonne contre 320 euros aujourd’hui, un prix de la viande bovine fixé à 5,35 euros le kilo de carcasse contre 2,50 à 3,50 euros aujourd’hui et un meilleur rapport de force avec les quatre centrales d’achat lors des négociations commerciales de décembre et janvier, récapitule Charlotte Vassant, agricultrice dans l’Aisne et secrétaire générale de l’Usaa, une branche de la FNSEA. Idem pour les volailles, idem pour le sucre. Parce que pour le moment la loi Egalim qui était censée équilibrer les relations commerciales entre nous n’a rien changé. On trouve des paquets de sucre à 67 centimes le kilo au supermarché ! C’est forcément que les agriculteurs ont vendu la betterave en-dessous de son prix de revient. »

Prix de vente qui stagnent voire baissent, charges qui s’envolent, mais aussi poids des normes environnementales, manque de considération… La rengaine, amère, est ressassée dans toutes les bouches, que ce soit sur le périphérique ou avenue des Champs-Élysées où quelque 200 agriculteurs se sont rassemblés en début d’après-midi. Comme dans celle d’Albert, 65 ans, retraité depuis peu, qui cultivait 80 hectares de betterave, orge, avoine et maïs et élevait 80 moutons de race Île-de-France pour la viande avec son frère à Savy (Aisne). « Je me suis installé en 1977 avec mon père, puis quand il a pris sa retraite mon frère s’est installé à son tour, en 1985. Nous commercialisons – car mon frère travaille toujours – moitié coopératives, moitié négoce. En 1984, j’ai vendu du blé 130 francs le quintal, soit 200 euros la tonne. Aujourd’hui, si j’arrive à le vendre entre 130 et 150 euros la tonne, c’est déjà pas mal ! La betterave, je la vendais 36 euros la tonne il y a une douzaine d’années, 20 euros aujourd’hui. Pendant ce temps, tout le reste augmente. La baguette de pain était à un franc en 1984, elle est à un euro aujourd’hui. On nous a dit de faire du rendement pour compenser ces baisses de prix. Voilà où on en est ! On ne peut plus investir. Si on voit un agriculteur avec un tracteur neuf, on se dit que l’ancien a lâché. Quand on a acheté notre nouveau tracteur en 2008, on s’est serré la ceinture pendant sept ans. » Actuellement, lui touche 800 euros de retraite par mois et son frère se dégage entre 1.500 et 1.600 euros de revenus mensuels. « Mais avec trois enfants, ce n’est pas tant que ça. Et on n’est plus à l’abri du moindre aléa. En 2016, une très mauvaise année, on ne s’est payé que 500 euros par mois chacun. Heureusement, on a fini par toucher les assurances contre la grêle. Mais on n’a plus du tout d’argent de côté pour faire face aux coups durs. »

Albert, retraité de fraîche date, auparavant éleveur de 80 moutons et cultivateur (betterave, orge, avoine, maïs) sur 70 hectares avec son frère à Savy (Aisne).

Une situation que Jean-Paul, qui élève 160 vaches à viande charolaises et blondes d’Aquitaine et cultive 110 hectares de blé, betterave, colza en GAEC avec son frère à Juvigny (Aisne), connaît par cœur. « Nous vendons les vaches adultes à des négociants de Paris et du Nord entre 3,50 et 4 euros le kilo de carcasse. Ce prix n’a pas bougé depuis que je me suis installé, en 1982. La main-d’œuvre, par contre, c’est 1 à 2 % de hausse par an. Je vous laisse faire le calcul au bout de trente ans... » Son ami Bruno, installé à Bohain (Aisne) en grandes cultures et en élevage de poulets de chair, a carrément vendu son troupeau de 100 vaches Prim’Holstein : « Je ne m’en sortais plus financièrement. Et cette année encore, je vais avoir des revenus négatifs, à cause de l’effondrement du prix du sucre – 20 euros la tonne, alors qu’il devrait être à 25 ou 26 euros la tonne pour couvrir les coûts de production – en lien avec la fin des quotas et la concurrence de la canne à sucre venue du Brésil, d’Inde et de Thaïlande. Aujourd’hui, la rémunération d’un agriculteur oscille entre 3 et 5 euros de l’heure. On ne s’en tire qu’en travaillant 90 heures par semaine et grâce aux coups de main de la famille – le fiston de quinze ans, les parents retraités qui donnent un coup de main. Comment est-ce encore possible, alors que la loi Égalim promettait la fin des prix de vente inférieurs aux coûts de production ? »

(De gauche à droite) Bruno, installé à Bohain (Aisne) en grandes cultures et en élevage de poulets de chair. Éric. Jean-Paul, installé en Gaec avec son frère à Juvigny (Aisne), 110 ha hectares de cultures (blé, betterave, colza, orge) et 160 vaches charolaises et viande d’Aquitaine.

Audrey, 37 ans, cultive 20 hectares en maraîchage à Cergy (Val-d’Oise) avec son ancien maître de stage, devenu son associé. Elle arrive à se dégager 1.200 euros par mois. « On est en vente directe – on approvisionne trois marchés et on vend à la ferme. C’est ce qui nous sauve. Avant ça, mon associé a vendu à la grande distribution pendant dix ans, et il ne s’en sortait pas. Comment il aurait pu, en étant mis en concurrence avec des producteurs étrangers qui cassaient les prix ? Nous, le moindre salaire, c’est 1.500 euros par mois et la même somme à verser à la Mutualité sociale agricole. En Italie, certains producteurs paient leurs ouvriers 500 euros par mois. Et ils veulent qu’on leur ouvre la porte ? »

Audrey, 37 ans, maraîchère sur 20 hectares à Cergy (Val-d’Oise) en EARL avec son ancien maître de stage.

« Il y a 350.000 agriculteurs en France et quatre centrales d’achat qui se font la guerre des prix entre elles, abonde Patrick, 51 ans, installé avec ses deux frères à Grandchamp (Yonne) avec qui élève 80 vaches charolaises et cultive 250 hectares de blé, d’orge, de colza – « quand il veut bien pousser, on a eu deux années difficiles » –, de pois et de lupin. On est la dernière corporation à ne pas fixer nos prix de vente. Ça fait des années qu’on nous promet une meilleure répartition des marges. C’est ce que devait faire la loi Égalim, mais même Macron a admis que c’était un échec. » En attendant, joindre les deux bouts relève de l’acrobatie. « Ces dernière années, on s’autorise à se prélever 1.000 euros de revenu par mois en moyenne. Mais on ne les a pas vraiment, on mange du capital de la société pour y arriver. Ce n’est pas viable sur le long terme. »

Patrick, installé en Gaec avec ses trois frères sur 250 hectares de cultures de céréales et avec 80 vaches charolaises.

Vincent, installé sur 220 hectares de grandes cultures – betterave, colza, tournesol, lentilles, pois chiches, blé dur et blé tendre – à Château-Landon (Seine-et-Marne), connaît la même galère. « Disons que j’arrive à me faire 1.200 euros net en moyenne pour 55 heures de travail hebdomadaire, avec des pointes à 70 heures par semaine en été, mais c’est très irrégulier. C’est mon épouse, qui travaille à l’extérieur, qui assure toutes les dépenses du quotidien, avoue-t-il. Il y a trente ans mon exploitation faisait vivre quatre personnes. Mais aujourd’hui, le prix du blé stagne et on est confronté à une crise betteravière historique, face à la concurrence de la canne à sucre à 90 % OGM. Pascal Lamy, quand il était commissaire européen, nous a vendu la mondialisation. Mais il ne nous a pas dit qu’on aurait face à nous les États-Unis et la Chine, protectionnistes à l’extrême, et des Brésiliens prêts à toutes les destructions environnementales. »

Vincent, installé à Château-Landon (Seine-et-Marne), sur 220 hectares de grandes cultures (betterave, colza, blé, lentilles, pois chiches…).

Face à ces difficultés, il s’adapte tant bien que mal. « J’essaie de trouver de nouveaux marchés. J’ai tenté les pois chiches et les lentilles en me disant que ça pourrait intéresser alors que le végétarisme se développe, mais je n’arrive pas à les vendre. J’ai aussi été tenté par le bio, mais j’ai renoncé quand j’ai vu que mes copains qui avaient sauté le pas se rémunéraient surtout grâce aux primes. Quand on moissonne alors qu’il fait humide comme cette année, un blé traité aux fongicides tient le coup, un bio non. Et je ne veux pas d’une agriculture à deux vitesses, une bio pour les bobos qui ont les moyens et une industrielle pour les autres. » Surtout, il s’inquiète pour l’avenir de sa ferme. « Ce qui me navre, c’est que mes enfants, âgés de 18 et 20 ans, sont dégoûtés par tous les discours négatifs sur l’agriculture. J’aimerais qu’ils reprennent. C’est pourquoi j’essaie de ne pas trop polluer les terres que je cultive, qui pourraient leur revenir. Mais s’ils ne reprennent pas, qui aura encore les moyens de reprendre mes 220 hectares ? Un industriel ou un investisseur chinois, qui agrandira encore et cultivera avec des tracteurs automatiques, sans paysans ? Ce n’est pas cette agriculture que je veux. »