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La vérité sur les chauffeurs de la République

Lien publiée le 15 décembre 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

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(Challanges) ENQUETE - Dans les ministères ou au Parlement, élus et hauts-fonctionnaires abusent des véhicules avec chauffeurs. Un privilège typiquement français.

Véhicules dans la cour de l’Elysée

L’opération avait fait un joli buzz. En juillet, François Ruffin, député de La France insoumise, avait posté une vidéo dans laquelle il interpellait, dans la cour de l’Assemblée nationale, les ministres attendus par leurs chauffeurs, moteur allumé pour bénéficier de la climatisation, en pleine canicule. Alors que les ministères se situent, pour la plupart, à quelques centaines de mètres. « Pourquoi vous ne venez pas en métro, il y en a pour quelques minutes », avait-il lancé à Sibeth Ndiaye, la porte-parole du gouvernement. « Arrêtez de faire de la démagogie », avait rétorqué le ministre des Relations avec le Parlement, Marc Fesneau, au trublion de l’Assemblée. Jean-Michel Blanquer, dont le ministère de l’Education est à deux pas, visiblement gêné, avait tout de même admis : « Il faut faire des efforts. »

Attribut du pouvoir

Démago, Ruffin ? En tout cas, il a inspiré des candidats aux municipales, notamment à Paris. Pierre-Yves Bournazel (groupe Agir) a sorti une proposition choc : supprimer la centaine de voitures avec chauffeur (la ville affirme avoir réduit le parc à 41 véhicules), y compris celle attribuée au maire. « On ne peut pas souhaiter que les Parisiens renoncent à leur véhicule personnel et se déplacer en voiture avec chauffeur, critique-t-il. Paris n’est pas très étendu. On peut s’y déplacer à vélo ou en métro. »

Une exception française. Vu de l’étranger, les bataillons de chauffeurs dans les ministères, au Parlement ou dans les grandes villes sont un révélateur de nos mœurs politiques. « C’est une illustration des privilèges accordés au sommet de l’Etat, souligne le politologue américain Ezra Suleiman, de l’université de Princeton, qui collabore à l’Institut Montaigne. En France, cela fait partie du statut et beaucoup de personnalités que j’ai rencontrées étaient fières d’avoir un chauffeur. Aux Etats-Unis, seuls quelques ministres en disposent, pour des raisons de sécurité. L’Allemagne est beaucoup moins généreuse que la France et les pays scandinaves, eux, ont supprimé cet avantage. »

Un témoignage confirmé par l’ex-député René Dosière, inlassable contrôleur de la gestion de l’argent public : « Il y a une culture du chauffeur en France », lâche-t-il. Preuve récente : le Premier ministre Edouard Philippe a décidé, en septembre, de réduire les avantages de ses prédécesseurs. Ils ont droit désormais à une secrétaire pendant dix ans, et non plus de façon indéterminée. Mais il a confirmé l’attribution d’un chauffeur à vie. De son côté, Eric Woerth, le président de la commission des Finances à l’Assemblée, se souvient de ce que lui avait dit Jacques Chirac, lors de son éviction du gouvernement Villepin : « Ne t’en fais pas, tu auras un poste et un chauffeur. » Des excès confirmés par le député Charles de Courson : « Dans les villes et les départements, j’ai souvent constaté une utilisation abusive. »

Surprises et incohérences

Alors, quels sont les effectifs de cette armée de conducteurs de la République ? L’Etat, qui dispose d’un parc total de 65.000 véhicules, n’en sait rien. Un plan d’économies de la flotte automobile a bien été lancé par Nicolas Sarkozy en 2010. Depuis, aucun pointage des effectifs de chauffeurs n’a été réalisé au sein de l’administration. La liste des bénéficiaires potentiels est pourtant interminable : préfets (de région et de département), sous-préfets, directeurs d’administration centrale, directeurs régionaux, patrons d’établissements publics (de plus de 200 agents), recteurs… Selon Matignon, Edouard Philippe vient de demander à la Direction des achats de l’Etat de faire un recensement. Il était temps.

Toutefois, un austère document, le « jaune budgétaire », permet d’identifier les effectifs de conducteurs pour les cabinets ministériels : 218 en 2019 dans 34 ministères, selon le pointage effectué par René Dosière, soit 10 de plus qu’en 2017. Avec des surprises et des incohérences. Le plus gros utilisateur (voir graphique ci-contre) est le cabinet de Nicole Belloubet à la Justice (17 chauffeurs) devant Didier Guillaume à l’Agriculture (16), deux ministères qui ne sont pas les plus stratégiques. Ils comptent plus de conducteurs que de conseillers, dont les effectifs sont limités à 11, alors que seul le directeur de cabinet a droit à un chauffeur personnel. « Ces conducteurs sont affectés en pool pour conduire l’ensemble des membres du cabinet », précise le cabinet du Premier ministre.

Gourmandise parlementaire

Le document révèle aussi les efforts de certains : Matignon, qui compte pourtant 59 conseillers, emploie seulement 13 chauffeurs. Soit deux fois moins qu’à Bercy, où deux ministres, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin, et trois secrétaires d’Etat en utilisent 29. A l’Elysée, 36 conducteurs sont employés, dont 30 en pool à disposition des cadres et conseillers, selon les chiffres communiqués à Challenges. Cela peut sembler beaucoup par rapport aux effectifs du cabinet du président (47 en 2018). Mais c’est peu par rapport au Parlement, bien plus gourmand.

Le champion, c’est le Sénat, avec 49 conducteurs pour le président et « certains titulaires de fonction », dixit la chambre haute, alors que l’Assemblée en totalise 41, dont 15 en pool et 26 attribués aux questeurs et présidents (de commissions et de groupes politiques). Des avantages critiqués : « Je ne comprends pas pourquoi un président de commission dispose d’un chauffeur », s’étrangle Pierre-Yves Bournazel, qui est aussi député. Certains ont tenté de rationaliser le système : Roland Lescure, à la tête de la commission des Affaires économiques, et Barbara Pompili, qui préside celle du Développement durable, ont proposé que les patrons de commissions rendent leurs chauffeurs, peu actifs, au pool, à la disposition des autres membres de l’Assemblée. Refus catégorique des autres présidents. Un conservatisme qui passe mal, vu la rumeur – l’Assemblée ne communique pas sur le sujet – sur la rémunération des conducteurs à l’Assemblée : elle dépasserait celle des députés (5.623 euros d’indemnité de base). A Bercy, les salaires oscillent entre 3.000 et 4.000 euros par mois, avec les heures supplémentaires.

Peu à peu, nos dirigeants soignent leur addiction. Mis à part dans les cabinets ministériels, les effectifs ont tendance à diminuer : 12 conducteurs de moins à l’Elysée depuis 2012. Idem dans les grandes villes : à Marseille, souvent épinglé pour une utilisation massive, les effectifs sont passés de 61 à 41 entre 2014 et 2019, soit une économie de 700.000 euros, selon la ville. Au ministère des Finances, un haut fonctionnaire constate un changement d’attitude des directeurs, moins attachés à ce « signe extérieur de pouvoir »« Avant, c’était le chauffeur et la secrétaire. Aujourd’hui, c’est la tablette et le coaching », estime-t-il. Une évolution salutaire. Même si cette exception française a la vie dure.

Par Thierry Fabre