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Avant les grandes manifs du 17 décembre: analyse
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://aplutsoc.org/2019/12/16/billet-editorial-du-16-decembre-2019-a-16h00/
De même que la théorie (c’est-à-dire l’héritage intellectuel et politique) ne peut fonctionner comme dogme, mais seulement comme guide pour l’action, de même les évènements qui surviennent ne sont pas la répétition des batailles du passé, mais leur continuation porteuse de nouveauté.
Le 5 décembre n’a pas relancé un « 95 » ni été une grève générale « classique » (ce qui d’ailleurs n’existe pas), mais a certainement encore moins été une journée d’action « normale ». Sa date a été imposée par en bas, voulue comme un mur pour vaincre Macron, et par là son contenu politique a été celui de la grève générale. On ne saurait juger la suite sans prendre en compte ce moment, ce tournant.
Suite au 5 décembre deux rythmes se combinent.
Celui des directions syndicales nationales (CGT/FO/FSU/Solidaires) qui tentent de chevaucher la vague en évitant qu’elle monte jusqu’à la chute du régime, contenue dans la chute possible du projet anti-retraites. D’où des « temps forts » assez rapprochés (10,12,17 décembre) et la thématique de l’« inscription dans la durée ».
S’y combine, s’y accroche, s’en détache aussi, le rythme de la montée de l’auto-organisation en bas, sous des formes variées : le mouvement concret vers les comités de grèves élus est là, et bien là, et il pèse, même si les formes sont éclatées et diverses.
Il comporte lui-même deux aspects.
L’un est l’émergence de couches de nouveaux militants actifs, tels ces profs du primaire et du secondaire agissant avec des cheminots sortant de leur gare à Moulins depuis la proclamation du « comité départemental de grève de l’enseignement public » par une AG ayant fait suite à l’invasion de l’Inspection d’académie. Les forces engagées le 5 se resserrent et se confortent pour se déployer.
L’autre aspect comporte les canaux de l’extension gréviste proprement dite. Arcelor-Mittal en grève à Dunkerque depuis le 5 décembre. Les barrages filtrants des routiers pour la hausse des salaires et le congé de fin d’activité, appelés notamment dans cette branche par l’une des dernières fédérations CFDT en prise sur les secteurs combatifs de sa profession, sont bien entendu adossés au mouvement d’ensemble, qui les ressent comme siens. Ce sont ces petites unités où tout ou partie des personnels se réunissent et décident la grève « pour les retraites » comme à la crèche de la petite ville de Bourbon-l’Archambault. « Pour les retraites » veut dire, certes, pour les retraites, mais veut aussi dire pour toutes et pour tous, pour la société, contre le pouvoir, et c’est pour cela qu’ils le font.
Ce sont aussi ces mouvements lycéens non généralisés nationalement, mais localement massifs comme à Lille, et ciblés physiquement par la répression. C’est le mouvement dans les ports et docks et les dépôts de carburant, les dizaines de blocages et d’affrontements autour de nœuds logistiques et de dépôts de bus, comme à Ivry le lundi 10 décembre où la police a attaqué un dépôt ayant voté majoritairement la grève. Sans oublier ces agriculteurs qui, dans le Loir-et-Cher, décident d’apporter à manger aux grévistes et le font savoir. C’est l’iceberg, la nappe qui, pour l’heure, s’étend, de ce que signifie grève générale : affrontement au grand jour des opprimés contre les oppresseurs.
Certes, ce n’est pas partout et c’est fluctuant. Assurément un mot d’ordre clair ne disant pas seulement « allez-y les gars et tenez bon dans la durée » mais « grève générale et tous contre le pouvoir exécutif », arracherait la victoire, comme l’ont demandé plusieurs assemblées générales comme celle d’une assemblée interpro de Reims initiée par la CGT, demandant à tous les syndicats de ne participer à aucune négociation et d’appeler à la « grève générale illimitée ».
Mais nous ne sommes pas devant un mur : le mouvement est ascendant, il prend conscience de sa force, des couches nouvelles le rejoignent.
Dans ce contexte, l’appel de 4 fédérations CGT (Cheminots, Transports, Mines-Energie, Chimie) en forme d’ultimatum d’une semaine au gouvernement pour retirer son projet, ne répond pas en fait à cette poussée car après avoir donné du temps, il laisse béante la question : si Macron ne bouge pas, on fait quoi ?
La grève des transports a sans doute la force de durer pendant les fêtes car elle est populaire. Mais la grève n’est pas une séance sportive d’apnée. Elle vise à gagner. La voie du succès, c’est l’extension. Et la voie de l’extension, c’est l’affrontement central : c’est parce qu’il faut battre et défaire Macron que les grèves démarrent et tiennent.
La voie pour gagner passe par l’auto-organisation. Plus il y aura de directions locales et sectorielles reconnues car nées dans la lutte et appartenant à ceux qui luttent, intégrant tout naturellement les syndicats si leurs responsables n’y font pas obstacle (à Moulins le comité de grève a au départ été proposé par la FSU), plus on avancera vers leur centralisation et leur regroupement.
Le rôle d’une force politique agissant pour gagner n’est ni de renchérir sur les mots-d ’ordre syndicaux nationaux, ni – encore moins – de présenter la situation comme un mur infranchissable tant que « les appareils » n’ont pas appelé à la grève générale et refusé toute négociation : il est de désigner le pouvoir politique du capital comme l’ennemi à abattre, et ainsi de susciter, d’appuyer et d’étendre toutes les formes d’auto-organisation, vers les comités de grève élus.
Le pouvoir manœuvre, mais mal : il est en difficulté car s’il espère tenir, il ne sait comment peut refluer la marée. Edouard Philippe, le mercredi 11, a été de l’avis des fins commentateurs en « dialogue social » très mauvais. La preuve : il se serait aliéné même la CFDT avec son « âge pivot » à 64 ans. Du coup les médias ont annoncé que « l’intersyndicale » allait comporter la CFDT (et l’UNSA, et la CFTC). Comme l’intersyndicale de 2010 qui avait organisé la défaite. Mais c’est impossible : l’intersyndicale CGT/FO/FSU/Solidaires ne peut pas cesser de dire « retrait » et ne peut s’élargir à une CFDT qui, en fait, ne « rejoint » pas le mouvement mais tente de désigner une voie de sortir impossible à Macron au nom du « régime universel ».
Dans les faits, la mobilisation historique du type grève générale peut se passer de la CFDT (nul doute que des milliers d’adhérents et délégués CFDT sont dans ce mouvement), dont la place de «1° organisation syndicale de France » est ainsi relativisée. On comprend que Macron soit vexatoire avec Bergé : à quoi sert une « 1° organisation syndicale de France » qui n’a en rien servi à éviter le mur du 5 décembre et sa suite ?
Ce lundi 16 décembre, après l’avoir défendu comme un grand et sincère honnête homme, le pouvoir exécutif doit accepter la démission du père du projet anti-retraites, Delevoye, politicien véreux à la fortune faite en jetons de présence et vieille figure du néo-gaullisme, lien vivant entre la camarilla V° République d’autrefois et la bande de soudards illettrés à laquelle ressemble de plus en plus celle de Macron.
La démission de Delevoye appelle toutes les autres. C’est un appel au combat pour des millions et tel sera le sens du 17 pour des millions et des millions :
Macron, Philippe, Castaner, Blanquer, TOUS DEHORS ! RETRAIT du plan anti-retraites ! Place à la démocratie ! Voila pourquoi, par la grève, il faut s’organiser !