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    Portraits de Français en révolte

    Lien publiée le 18 décembre 2019

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    https://reporterre.net/Portraits-de-Francais-en-revolte

    Portraits de Français en révolte

    « J’arrêterai quand il y aura plus de dignité pour tous les citoyens... » : à Paris, Toulouse et Alès, Reporterre a écouté la colère d’hommes et de femmes dans les cortèges de la manifestation du 17 décembre. Ouvrier, aide-soignante, étudiante, biffin... Tous se battent contre la réforme en cours et pour tous les « acquis sociaux ».

    À Alès, Jérôme, ouvrier dans la métallurgie : « La retraite, je ne la vois pas »

    Ce sont les k-ways oranges de la CFDT Mineurs, un peu à l’écart, qui ont attiré notre regard : absents le 5 décembre, ils ont cette fois-ci répondu à l’appel à la mobilisation. Et puis, « Mineurs » interroge : tiens, il y en a encore à Alès (Gard) ? « En fait c’est la métallurgie », nous expliquent ceux qui portent la banderole, des ouvriers de l’une des dernières usines du coin, SNR, qui fabrique des roulements à billes. Parmi eux Jérôme, 36 ans, ouvrier à la fabrication, en horaires de nuit : 21 heures – 5 heures du matin. Il ne fait pas fait grève mais s’est organisé pour venir manifester : « Je n’ai pas travaillé cette nuit, sinon je n’aurais pas pu venir ce matin. »

    Jérôme, ouvrier dans la métallurgie.

    Il a un peu de mal à calculer depuis combien de temps il travaille. Une vingtaine d’années à peu près. « Mes parents galéraient, ils ne pouvaient pas me donner d’argent pour la voiture ou les sorties. Je me suis dit que j’allais travailler, je n’ai pas terminé mon CAP », raconte-t-il. Cela fait une dizaine d’années qu’il est en poste à SNR, en CDI. Les salariés font des semaines de 40 heures, ont gardé le rythme des trois huit et ont négocié des RTT en compensation. Les salaires, eux, sont bloqués au Smic, seules l’ancienneté et les primes permettent de le dépasser. L’ouvrier ne s’en sort pas. « Avec les primes de nuit, je fais 1.600 euros. J’ai 1.000 euros de crédit pour la maison, deux enfants, ma femme ne travaille pas. Avec les assurances, la voiture, la mutuelle, vous comprenez bien qu’il en manque. Mes comptes sont trop bas tous les mois, mais la banque ne veut pas étaler mon crédit : le système est fait pour les riches », constate-t-il. Un espoir d’amélioration tout de même, sa femme vient de trouver du boulot. « Elle va faire le ménage et la cantine dans une école à partir de janvier. »

    Il parle d’une voie basse, en phrases courtes, parfois couvertes par les sons des hauts-parleurs syndicaux. Il ne dit pas que son travail lui mange la vie de famille, ou l’empêche de s’épanouir. « Le temps on l’a, ce sont les moyens qu’on n’a pas, surtout pour sortir avec deux enfants. Donc on reste devant la télé, c’est ce qui coûte le moins cher. »Petite chance, il ne vit qu’à dix kilomètres de son usine, ce qui limite les frais de transport. Cependant, « on s’est sentis complètement concernés par les Gilets jaunes, surtout quand tu arrives à la pompe et que ça te coûte un œil… À l’usine, il y en a qui viennent de Nîmes ou Montpellier, cela leur coûte cher. »

    Avec ses collègues, leurs revendications ne s’éloignent pas de celles annoncées nationalement par la CFDT. Un point de vigilance particulier, cependant, pour ces ouvriers : la pénibilité. « Le travail de nuit, les gestes répétitifs », énumère Jérôme. « Moi j’ai des problèmes de dos, d’autres ça vient aux mains ou aux épaules. » Il n’y a pas de colère dans les yeux de Jérôme, simplement une sorte de résignation, sans doute aussi de la fatigue, tout simplement. « La retraite, je ne la vois pas. J’aimerais gagner au loto, travailler le moins longtemps possible. »

    • Regardez notre reportage photographique

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    La CFDT représentée dans le cortège cette fois-ci, notamment grâce aux salariés de l’usine SNRroulements.


    À Paris, Héloïse, aide-soignante : « On travaille à la chaîne, on n’en peut plus »

    Des syndicalistes Sud Santé, revêtus de blouses blanches, tentent de se frayer un chemin au milieu de la foule, place de la Bastille. Lorsqu’un journaliste de Reporterre les approche pour discuter, ils désignent Héloïse Vallés, 48 ans. Aide-soignante dans un Ehpad d’Arpajon, dans l’Essonne, elle tient à préciser qu’elle témoigne d’une situation « que n’importe quelle aide-soignante de France et de Navarre peut vivre, à la virgule près ». Ses camarades approuvent en hochant la tête.

    Héloïse, aide-soignante.

    Son histoire fait froid dans le dos. « Nos conditions de travail vont de mal en pis,raconte-t-elle. Il n’y a plus assez de personnel pour combler tous les actes de la vie quotidienne des personnes âgées, très démunies. » Elle évoque « une course perpétuelle » : les aides-soignantes « doivent faire au minimum une dizaine de toilettes par jour, donner à manger, faire de l’animation... » Le volume de sa voix ne retombe pas quand elle stoppe l’énumération, signe que la liste est longue. « On travaille à la chaîne, on n’en peut plus. Il y a une grosse perte de sens dans notre travail. »

    Une « perte de sens » car les personnes âgées, dont elles s’occupent, « souffrent, alors qu’elles ne le devraient pas »« Quand elles nous appellent et qu’on ne peut pas venir, c’est douloureux pour elles », dit Héloïse. Avant, « on avait quand même le temps de papoter, d’allumer la télévision, de les sortir un peu dehors ». Désormais, « c’est terminé... On va vite et on se rend complices, malgré nous, de maltraitance ».

    Cette maltraitance, aux yeux d’Héloïse, est « présidentielle » : « Macron est au courant de ce qui se passe et rien ne bouge ». Au contraire, elle accuse le Président d’accélérer l’entrée de la société française dans le libéralisme. « Tout est monnayable maintenant, même la santé. Il faut faire de l’argent, coûte que coûte, là où nous devrions plutôt penser à servir et à veiller sur les autres. » La réforme des retraites, pour elle, « c’est une affre de plus de Macron et son monde. La retraite ce n’est pas volé, c’est un dû ! Un moment, on a bien envie que ça s’arrête. A 62 ans, pour une aide soignante, c’est compliqué, notamment pour le dos qui est sans cesse mis à contribution. Déjà, quand je suis entré dans la profession, on savait qu’une personne sur trois partirait à la retraite avec un handicap. Je me demande ce que ça va donner les prochaines années... »

    Elle est déterminée à lutter pour le retrait de la réforme, pour que sa profession redevienne désirable, et pour ne plus être « complice de pareilles maltraitances envers nos patients »« Il n’appartient qu’à nous qu’à un moment donné, ça bascule, conclut-elle. Je me suis lancée dans le syndicalisme au moment de la loi Travail, je ne peux plus le quitter maintenant que la situation a empiré. J’arrêterai quand il y aura un peu plus de dignité pour tous les citoyens. »


    À Paris, Samuel, récupérateur : « Il faut s’inspirer de notre savoir-faire »

    Avenue de la Porte de Montreuil, un millier de Montreuillois marchent d’un pas décidé vers Paris et la place de la République. En queue de peloton, il y a un groupe de biffins, des recycleurs d’objets chinés dans les poubelles. « Les chiffonniers biffins sont des travailleurs qui pratiquent la collecte et la revente de biens d’occasion issus des déchets, explique Samuel Le Coeur, gilet jaune sur le dos. Ce métier est reconnu depuis 1270, mais il a toujours existé, puisque la base du développement économique des villes, c’est le marché. Les chiffonniers biffins récupèrent tout ce qui est abandonné, à Paris, depuis un millier d’années. »

    Samuel, récupérateur.

    Samuel Le Coeur est président de l’association Amelior (Association des marchés économiques locaux individuels et organisés du recyclage), fondée en 2012 pour la reconnaissance du droit au travail des biffins. Reporterre l’avait rencontré en 2014 sous l’auvent des halles de la Croix de Chavaux à Montreuil. Un jour par mois, le mercredi ou le samedi, se déroule sur la place le « marché des biffins ». Dans ce marché, il n’y a pas de produits neufs, mais « que de l’occas’ », précise Samuel.

    En dehors de Croix de Chavaux, les biffins de Paris luttent pour exister et exercer leur activité au grand jour. « Les biffins n’ont aucun droit et sont considérés comme des vendeurs à la sauvette, déplore Samuel. Cela fait douze ans qu’on est quotidiennement harcelés par la police dans notre espace de travail, l’espace public. Nos biens sont confisqués et détruits, direction les bennes publiques. »

    Considérés comme persona non grata par les autorités, les biffins offrent pourtant une alternative efficace pour recycler les déchets. « Aujourd’hui, la gestion des déchets est dédiée à 85 % à l’incinération, une source importante de pollution », regrette Samuel. Alors, avec ses camarades biffins, il milite « pour une révolution dans la gestion des déchets », pour « considérer les déchets comme des ressources qu’il faut trier, collecter au porte-à-porte, sélectionner, valoriser », et non brûler.

    Ça tombe bien : le plastique, le papier, le carton, la ferraille, les métaux, le textile et les objets d’occasion n’ont pas de secret pour les biffins. « Il faut s’inspirer de notre savoir-faire », pense Samuel, lequel demande « l’octroi de 600 nouvelles places autorisées dans l’espace public pour l’organisation de nos marchés, trois jours par semaine et une reconnaissance de la contribution des travailleurs de la récupération des déchets. »

    Les biffins sont souvent « des personnes au chômage, des bénéficiaires du RSA, des sans-papiers, des retraités avec des petites pensions », raconte Samuel. La « récup » leur permet de survivre et de payer les factures. « Mes camarades vivent dans des conditions indécentes, dit-il. On manifeste contre la réforme des retraites par solidarité avec les autres travailleurs, mais aussi pour rappeler que les biffins n’ont pas les droits qu’ils devraient avoir. »


    À Paris, Anaïs, étudiante : « Les études sont comme un travail, une activité qui est utile et nécessaire pour la société »

    Avenue Beaumarchais, le cortège étudiant, enthousiaste et déterminé, donne le ton : « Les jeunes dans la galère, les vieux dans la misère, de cette société là on n’en veut pas ». Parmi eux, Anaïs, 22 ans, brandit fièrement une pancarte demandant un revenu étudiant. « Ce serait un revenu, financé par les cotisations sociales, qui reconnaisse les études comme un travail, une activité qui est utile et nécessaire pour la société, qui permet d’avoir des travailleurs qualifiés et de faire progresser les connaissances,déroule-t-elle avec assurance. On demande ce revenu pour arrêter de considérer la précarité étudiante comme un problème uniquement de pauvreté contre lequel il faut lutter par la charité. On n’a pas besoin de charité, on a besoin qu’on reconnaisse notre travail et notre activité. »

    À Paris, Anaïs, étudiante.

    Militante communiste, la jeune femme porte haut et fort cette revendication déjà esquissée par le Conseil national de la résistance. « C’est quoi travailler ? Est-ce que les études entrent dans cette définition ? s’interroge-t-elle. Les études sont une activité précieuse et essentielle pour la société, il faut permettre aux étudiants de réussir de la meilleure manière sans avoir à se salarier de l’autre côté. Si on veut relever tous les défis, écologiques, sociétaux… bref si on veut transformer la société, il faut qu’on ait des travailleurs qualifiés qui puissent maîtriser leur travail, leur savoir-faire. On se sauvera pas la planète sans se réapproprier l’économie. »

    Anaïs est étudiante en sociologie politique dans une université francilienne. Elle travaille à mi-temps à côté de son master afin de payer son loyer. « J’aurais pu rester chez mes parents, mais quand on commence à grandir, on a envie d’être plus indépendant, financièrement aussi », précise-t-elle. Pour elle, qui « rêve d’être chercheuse », la vie professionnelle, c’est la quadrature du cercle.

    « C’est un travail émancipateur, mais au prix de sacrifices, pense-t-elle. Je ne serais sans doute pas financée pour ma thèse, je vais sans doute galérer à trouver des contrats, je devrais sans doute avoir un mi-temps à côté, je ne choisirais pas là où je vivrais... Si on veut avoir une vie de famille, vivre en couple, au même endroit, c’est plus compliqué. Plus on a un travail précaire, moins c’est facile de planifier sa vie. » Comme nombre de jeunes de sa génération, l’avenir paraît plus qu’incertain, marqué par une « série de dilemmes », résume-t-elle. « Faire un travail où on se sent épanoui et libre, gagner sa vie, ne pas déménager tous les deux ans, ne pas habiter à 300 km de son copain ou sa copine ».

    Et les retraites dans tout ça ? Anaïs défend « une société où chacun, chacune, on est solidaires les uns les autres et on fait en sorte que tout le monde puisse vivre décemment avant et après qu’on ait travaillé ». Elle plaide aussi pour que les jeunes cotisent dès leurs études pour leur pension, car si « étudier c’est travailler, ça devrait être normal qu’on puisse cotiser, et qu’on ne parte pas à 67 ans à la retraite. »


    À Toulouse, Carole, conseillère dans un centre d’appel téléphonique : « On veut que ça pète »

    « J’habite à dix kilomètres de Toulouse. Je suis conseillère clientèle au téléphone dans un centre d’appel où travaillent 200 personnes. A mon arrivée, 90 % étaient intérimaires. On est sous payés, soumis au burn-out, à la pression et à la surveillance. Il y a deux ans, on devait même demander une autorisation écrite à notre superviseur pour aller aux toilettes.

    Carole, conseillère dans un centre d’appel téléphonique.

    « Je me suis syndiquée à la CGT. Je défends mes collèges face aux licenciements abusifs et aux contrats pourris. On est traité comme du bétail. Leur centre d’appel avec ses grandes baies vitrées et son open space où chacun se tutoie, c’est juste de l’emballage. Une prison dorée. En réalité, les maladies professionnelles explosent, les dépressions aussi. On a des objectifs de rentabilité à tenir. Tout est chronométré. Je dois d’abord me logger à mon téléphone quand j’arrive, j’ai quatre minutes pour allumer mes logiciels, je dois répondre à six appels de dix minutes par heure. J’ai quarante secondes pour historiciser la conversation. À long terme, c’est intenable.

    « Alors si je ne manifeste, aujourd’hui, ce n’est pas seulement contre la réforme des retraites. Ça fait un an que je suis dans la rue, avec les Gilets jaunes. Je lutte contre les privatisations, pour la défense des services publics, contre la précarité. Ça va même au-delà. Le monde qu’on nous vend ne me fait plus rêver. Il nous pousse à la surconsommation. Il n’y a plus de valeur. Ce n’est pas ce que je veux proposer comme avenir à mes filles.

    « Nous, encore, on a de la chance. On arrive avec mon mari à faire nos mois. Mais je vois mes parents qui galèrent, mon père à 63 ans il est à la retraite mais ne gagne que 550 euros, il continue de bosser. Il organise des voyages pour des seniors. Il va bientôt avoir le même âge que ses clients. Ma mère a le minimum vieillesse. Elle a 64 ans, elle fait des ménages le soir de 18 heures à 22 heures dans les locaux d’Airbus.

    « Avec les Gilets jaunes j’ai retrouvé de la dignité, de l’entraide. Je n’ai raté que deux manifestations en un an. Je fais aussi toutes les grèves. C’est une forme de sacrifice. Je n’ai pas toujours une paie à quatre chiffres à la fin du mois. Dans la boite on arrive pas à insuffler des grèves. Les gens n’y croient plus. On a essayé de faire un débrayage d’une heure où on pose nos téléphones mais même ça, ça n’a pas fonctionné. Les collègues ont peur.

    « Faut pourtant que l’on se rappelle comment on a obtenu nos acquis sociaux. On s’est battu. On a posé des barricades. On n’a pas gagné qu’en chantant. Le pacifisme ne paye pas. Les syndicats sont d’ailleurs trop gentils. Heureusement, ils sont poussés par leur base. Je le vois dans ma boite, tous les syndicalistes sont révolutionnaires. On n’en peut plus. On veut que ça pète.

    « Je vais pas faire ce boulot jusqu’à la retraite. Lutter par contre je vais le faire toute ma vie ! Les Gilets jaunes nous ont sorti, avec mon mari, de l’individualisme. Ça nous a ouvert les yeux aussi. On s’est donné trois ans pour changer de mode de vie. Trouver une ferme, aller à la campagne, être dans la nature. Mes grands-parents étaient agriculteurs, ce milieu ne m’est pas inconnu. »