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Tenir la grève à Noël: une histoire de fierté pour le monde ouvrier

Lien publiée le 24 décembre 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.huffingtonpost.fr/entry/tenir-la-greve-a-noel-une-histoire-de-fierte-pour-le-monde-ouvrier_fr_5e011e5ee4b05b08bab97603?xtor=AL-32280680?xtor=AL-32280680

Par Gérard Noiriel

Le gouvernement s’insurge contre ces grévistes qui, arc-boutés sur leurs “privilèges”, refusent de respecter la “trêve de Noël”. Le mouvement ouvrier n’a jamais hésité à poursuivre son combat le jour de Noël, lorsque la classe dominante menaçait ses intérêts vitaux.

La chanson des mineurs, enregistrée en soutien aux grévistes de Trieux à Noël 1963, restés 79 jours dans...

La chanson des mineurs, enregistrée en soutien aux grévistes de Trieux à Noël 1963, restés 79 jours dans la mine.

Pour tenter de discréditer le mouvement de grève contre le projet de loi sur les retraites, le gouvernement et tous ceux qui le relaient dans les médias ont trouvé un nouveau cheval de bataille. Ils s’insurgent contre ces grévistes qui, arc-boutés sur leurs “privilèges”, vont jusqu’à refuser de respecter la “trêve de Noël”. Même en décembre 1995, ajoutent-ils, la CGT n’avait pas osé briser ce consensus, puisque le sommet social organisé à Matignon le 21 décembre avait mis fin au mouvement.

Face à cette propagande, il n’est donc pas inutile de rappeler que la lutte des classes ne connaît pas de trêve et que le mouvement ouvrier n’a jamais hésité à poursuivre son combat le jour de Noël, lorsque la classe dominante menaçait les intérêts vitaux des classes populaires.

Pour illustrer cette combativité, j’évoquerai dans mon blog d’aujourd’hui la grève des mineurs de fer à Trieux (dans le Pays-Haut lorrain). Le 14 octobre 1963, ils apprirent brutalement que 258 d’entre eux (soit la moitié des effectifs) allaient être licenciés. Le choc fut tel qu’à l’appel de la CGT, ils décidèrent unanimement la grève générale avec occupation. Ils restèrent ainsi mobilisés au fond du puits pendant 79 jours, jusqu’au 31 décembre 1963.

Cet épisode du combat ouvrier n’est pas très connu car il a été éclipsé par la puissante grève nationale des mineurs qui avait eu lieu quelques mois plus tôt, du 1er mars au 4 avril 1963, mobilisant quelque 200.000 ouvriers, employés, techniciens et agents de maîtrise. Ce mouvement social massif avait été déclenché par les syndicats pour protester contre la remise en cause des avantages acquis par la profession depuis 1945. En décembre 1954, un accord instituant une indexation des salaires miniers sur les prix, avec une clause d’évolution en fonction de la productivité, avait été signé, mais le gouvernement l’avait dénoncé unilatéralement en 1959; remettant ainsi en cause la progression du pouvoir d’achat des mineurs. La protestation de toute la corporation contre ces mesures fut tellement puissante que le Premier ministre, Georges Pompidou, finit par céder en accordant des augmentations de salaire aux mineurs, mais aussi en ouvrant des négociations sur la quatrième semaine de congés payés et sur la durée du travail. 

En octobre-décembre 1963, la lutte des mineurs de Trieux fut une grève “défensive”, l’une des premières grandes ripostes du prolétariat contre la politique de “restructuration” du capitalisme français, laquelle devait aboutir à la liquidation de pans entiers de la grande industrie dans les décennies suivantes.

Forts de ce succès, les mineurs de Trieux, qui avaient massivement participé à cette grève victorieuse, se lancèrent à nouveau dans l’action en octobre. Mais cette fois-ci, l’enjeu était différent. Le conflit de mars-avril 1963 s’inscrivait encore, en effet, dans le prolongement des grèves “offensives” qui avaient permis au monde ouvrier, depuis la Libération, d’améliorer considérablement son niveau de vie et ses conditions de travail. En octobre-décembre 1963, la lutte des mineurs de Trieux fut une grève “défensive”, l’une des premières grandes ripostes du prolétariat contre la politique de “restructuration” du capitalisme français, laquelle devait aboutir à la liquidation de pans entiers de la grande industrie dans les décennies suivantes.

Les mineurs de Trieux étaient pour la plupart issus de l’immigration. Beaucoup d’entre eux étaient les enfants des prolétaires venus d’Italie et de Pologne dans l’entre-deux-guerres. Ils avaient fourni une contribution majeure au développement économique du pays, quand la France était l’un des premiers producteurs mondiaux de fer (et même le premier en 1930). À cette époque, aucun mineur de fond n’était français et ils n’avaient même pas le droit d’élire leurs délégués. Comme les militants syndicaux étaient impitoyablement pourchassés et que la sécurité des ouvriers était le dernier souci du patronat, le taux d’accident mortel dans ces mines était parmi les plus élevés au monde.

Les maîtres de forges avaient fabriqué de toute pièce cette classe ouvrière en la soumettant à un système de contrôle total, le paternalisme, dans le but de la fixer sur place et de l’attacher à la mine. En construisant des cités à proximité des puits, ils disposaient d’un puissant moyen de rétorsion puisque le mineur pouvait être chassé de son logement en cas de grève. Le logement en cité était aussi un moyen pour inscrire le mineur dans une cellule familiale, en instituant une séparation des rôles fondée sur la division sexuelle du travail. L’homme à la mine, son épouse à la maison. Transformée en “femme de mineur”, elle devait remplir une fonction disciplinaire (pour faire en sorte que son mari se comporte en “bon père de famille”, cesse d’aller au cabaret et rompe avec la sociabilité des mineurs célibataires qui défrayaient la rubrique locale des faits divers). La femme devait aussi s’occuper des enfants, assumant une fonction que l’on appelle, en langage marxiste, “la reproduction de la force de travail”.

Au début des années 1960, une trentaine d’années seulement après que l’industrie du fer eut connu son apogée en France, le capitalisme commença à démanteler cet univers social avec la même brutalité et la même violence dont il avait fait preuve pour le construire. Les raisons économiques sans cesse invoquées par les experts du patronat et du gouvernement (le minerai de fer lorrain étant présenté désormais comme “non rentable”) cachaient mal les facteurs politiques de cette stratégie de démantèlement. La fermeture des mines de fer lorraines était aussi une façon de liquider une classe ouvrière devenue trop combative. En voulant à toute force enraciner ce prolétariat immigré, en construisant des cités ouvrières juste à côté des puits de mine, le patronat du fer avait fortement contribué à homogénéiser ce monde social, cimentant du même coup une culture de classe. 

Les maîtres de forges avaient fabriqué de toute pièce cette classe ouvrière en la soumettant à un système de contrôle total, le paternalisme, dans le but de la fixer sur place et de l’attacher à la mine. En construisant des cités à proximité des puits, ils disposaient d’un puissant moyen de rétorsion puisque le mineur pouvait être chassé de son logement en cas de grève.

Ces “hommes du fer” n’avaient pas eu besoin de faire appel aux experts de l’INED pour trouver le chemin de “l’intégration”. Ils s’en chargèrent eux-mêmes, sans bruit, avec leurs ressources propres. Dans leur langage, “l’intégration” s’appelait “solidarité” face aux épreuves communes. Les mineurs de fer avaient pu constater, grâce aux leçons de l’expérience, que c’est seulement leurs luttes collectives qui leur avaient permis d’améliorer leur sort. Tout le baratin du patronat, des experts ou des journalistes à sa solde, n’avait aucune chance de les faire douter d’une vérité qu’ils avaient constamment éprouvée dans leur pratique sociale.

Illustration frappante de la dialectique de la lutte des classes, la domination paternaliste avait finalement provoqué le développement de nouvelles formes de résistance chez “ceux d’en bas”. Et c’est cette force collective qu’il fallait à présent détruire en délocalisant l’extraction vers les pays à bas salaire (en l’occurrence il s’agissait des gisements ferrifères de Mauritanie).

C’est dans ce contexte que les mineurs de Trieux s’engagèrent dans leur bras de fer avec les dirigeants du monde minier. Leur grève fut encouragée et impulsée, au niveau régional, par Albert Balducci, un militant ouvrier que j’ai connu personnellement et qui fait partie des dirigeants syndicaux que je place dans ma galerie personnelle des “working class heroes”. Le dictionnaire Maîtron, désormais disponible en ligne, lui a rendu hommage en lui consacrant une longue notice, rédigée par Michel Dreyfus, à laquelle je renvoie les lecteurs.

Mort en 2004, Albert Balducci est né le 26 septembre 1918 à Sogliano del Rubicone, un petit village de Romagne (Italie). Fils d’un ouvrier illettré, arrivé en France en 1925 pour échapper à la répression du régime de Mussolini, et qui devint manœuvre dans les mines de fer lorraines, Albert était l’aîné d’une famille de six enfants qui ne parlait alors ni le français ni l’italien, car ils s’exprimaient en patois comme beaucoup de Transalpins de l’époque. Il obtint néanmoins son certificat d’études en 1931 et fut recruté comme ouvrier sidérurgiste dans le bassin de Longwy-Villerupt. À l’âge de 17 ans, il s’inscrit aux Jeunesses communistes. C’est grâce à cette intégration au sein du mouvement ouvrier qu’il pourra enrichir, tout au long de sa vie, sa culture d’autodidacte, tout en s’engageant dans les grandes luttes politiques de l’époque. Fiché comme activiste révolutionnaire, l’État français rejette à deux reprises sa demande de naturalisation (en 1936 et 1938). Entré dans la Résistance en juillet 1941, il est emprisonné pendant quinze jours; ce qui l’oblige à vivre ensuite dans la clandestinité, jusqu’en 1945. 

Dans leur langage, “l’intégration” s’appelait “solidarité” face aux épreuves communes. Les mineurs de fer avaient pu constater, grâce aux leçons de l’expérience, que c’est seulement leurs luttes collectives qui leur avaient permis d’améliorer leur sort.

Au lendemain de la guerre, il refuse de retourner dans les usines sidérurgiques, préférant travailler à la mine, comme son père. Embauché à Trieux en 1947, il va jouer un rôle décisif dans le développement du syndicat des mineurs de fer, au niveau local et régional. En 1959, il est élu au secrétariat de cette Fédération puis réélu à cette instance en 1962. Lorsqu’éclate la grève de 1963, plus de 85% des mineurs de fer sont syndiqués à la CGT. Comme le souligne Michel Dreyfus dans sa notice, “les talents d’orateur, la capacité de s’adresser aux mineurs d’Albert Balducci, son charisme et son engagement physique y furent aussi pour beaucoup”. Après la grève générale des mineurs en mars-avril 1963, il crée le Comité de défense du Bassin ferrifère avec l’appui de la plupart des organisations syndicales. Ce comité jouera un rôle majeur dans le mouvement de solidarité qui permettra aux mineurs de Trieux de résister pendant 79 jours en occupant le fond du puits.

Les témoignages recueillis par des journalistes de FR3-Lorraine au moment du cinquantenaire de cette fameuse grève montrent bien comment a été construite l’unité d’action lors de ce conflit, et le rôle complémentaire joué par les hommes et les femmes.

Faire la grève ce n’est pas “cesser le travail”, mais plutôt travailler autrement en utilisant le laps de temps repris au capital pour inventer des formes de sociabilité dont les classes populaires sont généralement privées. La grève est une ”échappée belle” comme l’a justement rappelé Michelle Perrot. Daniel Longhi, qui était à l’époque mineur à Trieux, et qui participa activement à la grève, se souvient qu’il mit à profit les 79 jours d’occupation pour organiser des séances de cinéma et des concours de belote. Il eut aussi l’idée de composer un hymne à la gloire des mineurs dont il écrivit lui-même les deux premières strophes (cf ci-dessous).

Faire la grève ce n’est pas “cesser le travail”, mais plutôt travailler autrement en utilisant le laps de temps repris au capital pour inventer des formes de sociabilité dont les classes populaires sont généralement privées. La grève est une ”échappée belle” comme l’a justement rappelé Michelle Perrot.

Son épouse, Janette, raconte que cette lutte fut pour elle un “formidable révélateur”. La rencontre d’un prêtre ouvrier et d’un militant CGT lui permit de s’émanciper du schéma qu’on lui avait inculqué depuis son enfance en lui répétant constamment que la femme était “la bonne des autres”. La logique paternaliste: l’homme à la mine, la femme à la maison fut ainsi retournée contre le patronat. Le combat des mineurs au fond de la mine fut relayé et amplifié par le combat de leurs épouses dans la cité. Janette anima le comité des femmes de mineurs, dont le rôle fut unanimement jugé décisif. Comme toujours, la stratégie patronale consistait à diviser le mouvement en attisant le clivage entre les mineurs qui étaient licenciés et ceux qui conservaient leur emploi. Janette se souvient que les femmes de ces derniers n’osaient plus sortir de chez elles, parce qu’elles se sentaient “honteuses” d’avoir échappé au désastre qui frappait les autres. Le comité joua un rôle essentiel pour les intégrer dans la lutte commune, en contrant ainsi les manœuvres de division. 

Janette n’a pas oublié non plus ce fameux 31 décembre 1963, quand les mineurs sont sortis de leur trou. “Ce jour-là, il faisait un froid terrible, il y avait du verglas. Alors on a vu nos hommes remonter avec leurs baluchons sur l’épaule. Nous étions émues et tellement fières d’eux. Nous les avons applaudis et avons donné à chacun d’eux une rose rouge… Puis quand j’ai vu Daniel, je me suis accrochée à la grille et j’ai crié: “C’est bon les gars, on les aura les patrons!!!”.

Les mineurs n’ont pas eu gain de cause puisque le patronat n’a pas renoncé à son plan. Néanmoins, la lutte n’a pas été un échec. Les mineurs ont obtenu la création de centres de formation pour faciliter leur reconversion professionnelle. Ils ont pu conserver leur logement en cité jusqu’à l’obtention d’un autre emploi et ont négocié des compléments de ressources pour compenser d’éventuelles baisses de salaire. L’État s’est engagé dans la création de collèges permettant à leurs enfants de poursuivre leur scolarité au-delà du certificat d’études. Certes, avec le recul, toutes ces concessions peuvent être vues comme des “cadeaux empoisonnés”. Reclassés pour la plupart dans la sidérurgie lorraine, ces anciens mineurs ont été à nouveau confrontés aux menaces de licenciement une quinzaine d’années plus tard, lorsqu’à leur tour, les usines ont été fermées. L’espoir que les mineurs avaient placé dans l’école pour que leurs enfants échappent au sort qui avait été le leur a été fréquemment déçu quand ils ont compris que le diplôme n’était plus une garantie. Néanmoins, l’un des acquis de leur lutte qu’aucun pouvoir n’a jamais pu leur retirer, c’est le fait d’avoir défendu tous ensemble leur dignité. Le pire, pour un être humain, c’est de subir des agressions et des humiliations sans pouvoir réagir, en courbant l’échine. Les mineurs de Trieux s’inscrivaient eux-mêmes dans une longue tradition ouvrière qu’ils ont contribué à pérenniser pour que les salariés qui sont en grève aujourd’hui (et parmi eux, sans doute, leurs enfants ou leurs petits-enfants) n’oublient pas la leçon.

L'un des acquis de leur lutte qu’aucun pouvoir n’a jamais pu leur retirer, c’est le fait d’avoir défendu tous ensemble leur dignité. Le pire, pour un être humain, c’est de subir des agressions et des humiliations sans pouvoir réagir, en courbant l’échine.

Le “Noël au fond” des mineurs de Trieux a fait l’objet d’un hommage public. Le 13 octobre 2013, une stèle a été dévoilée à l’entrée de la commune, en présence de la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti dont le père Angelo, fut lui-même mineur de fond. (Sur ces témoignages et cette cérémonie, voir ici le reportage de France 3 Grand Est). 

En cadeau de Noël pour les laïcs qui veulent en finir avec le “divin enfant”, voici les paroles et la musique du Chant de la corporation composé au fond de la mine par les mineurs en grève pour célébrer Noël 1963, et chanté par la chorale des ouvriers de Trieux (diffusion: Le Républicain Lorrain): écouter ici.

Le Chant de la corporation

C’était hier le meeting des mineurs
Rassemblement de tous ces braves gens
Ils sont venus de toute la Lorraine
Pour protester contre les licenciements (bis)

Le défilé, d’une ampleur remarquable
Tous rassemblés devant le monument
On y brûla les lettres de menace
Que les patrons nous avaient envoyées (bis)

Et tous unis dans un élan sublime
Pleins de colère et d’indignation
Criant devant ces mesures scélérates
Leur volonté de rester des mineurs (bis)

Pauvre mineur c’est toujours toi qui trinques
C’est toi qu’on brime qu’on presse comme un citron
Mais aujourd’hui il faut que cela cesse
Voilà pour quoi nous occupons le fond (bis)

Oui notre lutte a été un succès
Au fond, au jour continuons le combat
Unissons-nous comme au fond de la mine
Alors ainsi, nous retournerons mineurs. (bis)