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    La grève des cheminots 1986/87 vue de l’agglomération rouennaise

    histoire

    Lien publiée le 27 décembre 2019

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    http://www.lesutopiques.org/greve-cheminots-198687-vue-de-lagglomeration-rouennaise-experience-dauto-organisation/

    L’unité, il a fallu la construire

    Une tradition unitaire existait depuis longtemps sur l’agglomération rouennaise, des rencontres, des bulletins de boites, des actions étaient régulièrement réalisés par des cheminots syndiqués à la CGT, à la CFDT ou non syndiqués. Cette génération ne se reconnaissait pas dans le syndicalisme tel qu’il était, elle refusait la division syndicale ainsi que les divisions catégorielles. En 1975 une trentaine de cheminots créent un modeste bulletin de 4 pages « La Basse Tonne » ; peu après, Comité Unitaire de Mobilisation des Cheminots (CUMC) est créé ; il préconise la lutte autrement que par des grèves de 24 heures à répétition et affirme la nécessité de l’unité syndicale large ; le CUMC s’exprime par tracts et pétitions, son audience est d’environ 500 personnes sur l’agglomération rouennaise. La 3ème tentative de regroupement unitaire à la base se fera autour du journal « Rail Bol ». Vendu à 500 exemplaires, il sera édité de mai 1985 jusqu’à mi-1986. Les mêmes personnes impulsent des actions de soutien au niveau international : soutien à Solidarnosc, soutien au Nicaragua, soutien aux mineurs anglais, etc.

    Les prémices de la grève

    Le contexte de cette fin d’année 1986 est marqué par un puissant mouvement de révolte de la jeunesse, cristallisé autour de lutte contre la loi Devaquet ; c’est une mobilisation d’un niveau inconnu depuis très longtemps. Localement et à la SNCF, il y a eu une grève de 41 jours au service intérieur du dépôt menée par la CGT, contre les contrôles de connaissances des agents de conduite (ADC). Au niveau national, fin novembre la fédération des cheminots CFDT dénonce un projet de la direction SNCF, qui vise à supprimer les indemnités touchées par de nombreux agents travaillant sur les terminaux informatiques. Les agents des services voyageurs de Paris Gare de Lyon et Paris St Lazare démarrent le 8 décembre une action originale, « la grève de la saisie ». Ils et elles restent à leur poste de travail, mais n’assurent pas la partie pour laquelle les patrons veulent leur supprimer l’indemnité (en fait, ils et elles ne délivrent plus de réservations, seulement des billets, des renseignements, etc.) ; chaque jour, ils et elles font grève une heure pour se réunir en Assemblée Générale. Utilisant les ordinateurs et le réseau téléphonique interne de la SNCF pour véhiculer l’information, les grévistes (soutenu-es par la CFDT puis 2 jours après par la CGT) étendent le mouvement en paralysant ainsi le réseau informatique. Ces actions illégales cessent le 18 décembre, pour basculer dans la grève totale ; une grève qui sera très forte notamment chez les agents de conduite et la plus longue jamais vécue chez les cheminots et les cheminotes, dépassant en durée celle de 1920.

    Chronologie de la grève

    Une assemblée générale des agents de conduite de Paris Nord avec la participation du responsable national CFDT de cette catégorie de personnel, Michel Desmars, décide un appel à la grève à partir du 18 décembre. Le comité de grève et la CFDT font immédiatement une vaste campagne d’information vers les autres dépôts, popularisant le cahier revendicatif :

    • retrait du projet de nouvelle grille des salaires, au mérite ;
    • maintien du statut ;
    • rattrapage du pouvoir d’achat ;
    • maintien ou réforme du système de primes tel que l’exprime les différentes catégories de personnel.

    Dès le 18 décembre, la grève démarre sur l’ensemble du réseau Nord, sur la Gare de Lyon puis s’étend au plan national. N’étant pas à l’origine de ce mouvement, la CGT commence par le combattre, des piquets antigrève sont organisés dans plusieurs sites ; devant l’ampleur de la mobilisation, la CGT rejoint la grève à compter du 20 décembre (à cette date, la grève touche déjà 83 des 94 dépôts de conducteurs de trains).

    Le 22 décembre, la grève se renforce considérablement avec la généralisation de l’entrée dans le mouvement des autres services où le mouvement était encore limité à certaines régions : contrôleurs, ateliers, agents de l’équipement, des gares, des directions. Le 23, la direction et le gouvernement sont face à une grève générale de la SNCF.

    Sur l’agglomération rouennaise, dès le 19, la CFDT organise une Assemblée Générale des agents de conduite qui décide la grève reconductible avec AG journalières et la création d’un comité de grève. Puis les autres secteurs se mettent en grève progressivement, le 23 la majorité des catégories de personnel est en grève, avec le soutien des organisations syndicales CFDT, CGT, FO voire CFTC. Dans chaque établissement, quotidiennement, des Assemblées Générales souveraines mettent en place des comités de grève (souvent sans la participation de militants CGT). A compter du 24 décembre, une coordination des comités de grève de l’agglomération de Rouen est créée, elle regroupe les représentants et représentantes mandatés des différents secteurs en grève.

    A.G., comités de grève, coordinations, … mais surtout auto-organisation !

    Depuis des années, les actions étaient décidées, dirigées, fortement encadrées par les syndicats notamment la CGT, syndicat puissant à la SNCF. Compte tenu de l’absence de la CGT dans les premiers jours (voire son hostilité) et des bonnes relations entre les militant-es CFDT et une partie des militant-es et adhérent-es CGT opposé-es à la ligne majoritaire de leur syndicat, il a été décidé la création de comités de grève dans chaque Assemblée Générale, sur chaque secteur géographique de la région SNCF de Rouen (Rouen, mais aussi Sotteville, Le Havre, Caen, etc.) : dépôt des conducteurs, agents de trains, de l’équipement, des directions, des ateliers, des gares, avec une AG interservices à Dieppe parce qu’il s’agissait d’un site ferroviaire plus petit).

    L’Assemblée Générale est souveraine, elle seule a le pouvoir de décision, elle seule peut donner mandat aux diverses délégations et groupes de travail, c’est un mandat impératif. Les comités de grève sont composés de copains et copines élu-es à chaque Assemblée Générale, un siège de droit est réservé pour chaque organisation syndicale qui le souhaite (la CGT a refusé d’y participer dans certains secteurs), ils informent sur la situation nationale et proposent des actions aux Assemblées Générales qui les acceptent ou les refusent. Ces A.G. de secteur se réunissent le matin et mandatent une ou deux personnes pour intervenir à la coordination des comités de grève de l’agglomération rouennaise qui se tient au dépôt de Sotteville-lès-Rouen chaque après midi.

    Cette coordination n’a pas le pouvoir de prendre des décisions pour la grève ; elle vise à maintenir l’unité et la cohésion du mouvement et à proposer des actions coordonnées qui seront présentées, discutées et adoptées, ou pas, lors des A.G. de chaque secteur le lendemain. Quelles peuvent être ces propositions ? Par exemple, une distribution de tracts aux portes des usines rouennaises, ou la prise par les grévistes de la « côte 135 » (à 135 km de Paris c’est un point stratégique permettant d’interrompre le trafic ferroviaire) ou encore l’animation d’heures d’informations syndicales au centre de tri, aux chèques postaux, à la sécurité sociale, à la cité administrative, à Renault, ce peut être encore des actions de blocage…

    A la suite de rencontre entre les agents de conduite de Paris Nord initiateurs du mouvement, qui fonctionnent en AG permanente et ceux de Sotteville-lès-Rouen qui ont des expériences de travail en commun de manière unitaire et s’essayent à l’auto-organisation, le 28 décembre est créée la Coordination Nationale des Agents de Conduite. Ce sera un succès : 55 dépôts sur 94 rejoindront cette coordination avec des grévistes mandatés par leur A.G. Une représentativité incontestable (mais pourtant totalement niée par la fédération CGT) des conducteurs de train en grève ! Un peu plus tard, à l’initiative de militants de Paris Sud Ouest sera crée une coordination nationale inter-catégorielle, malheureusement peu représentative des différentes et nombreuses Assemblées Générales.

    La grève se termina sur une victoire partielle, la reprise fut progressive, la dernière A.G. a voter l’arrêt du mouvement le fit le 12 janvier 1987.

    Les résultats de la grève

    • Le projet de grille salariale au mérite est abandonné.
    • Des augmentations de salaire, certes insuffisantes, sont obtenues (1,7% en 1987)
    • Une prime uniforme est accordée.
    • Les indemnités et allocations sont revalorisées
    • Le projet de suppression de la prime de saisie informatique est enterré.
    • Des promotions sont accordées
    • Des améliorations des conditions de travail sont obtenues (temps de repos, nombre de jours travaillés dans une période, nombre de dimanches non travaillés, ainsi qu’en termes de conditions matérielles, notamment pour les « découchés » des personnels roulants)

    Au-delà de ces résultats, le principal acquis réside dans l’organisation démocratique du mouvement avec ses A.G. souveraines, ses comités de grève et sa coordination nationale des agents de conduite qui ont permis de maintenir l’unité jusqu’au bout évitant les « guéguerres » entre syndicats. D’ailleurs le réflexe de création de comité de grève et d’assemblée générale souveraine demeure encore aujourd’hui sur l’agglomération rouennaise. Certes, les initiatives extra-syndicales permanentes ont décliné ; c’est en grande partie due à l’implication ultérieure de cette (alors) jeune génération de militants et militantes unitaires à des postes de responsabilité dans leurs syndicats (CFDT puis SUD pour les uns, CGT pour les autres). La création de coordinations catégorielles ou interservices ne sont plus proposées dans les AG compte tenu de l’implication de la CGT dès le début des conflits et aussi de la création de SUD-Rail qui impulse des fonctionnements de grève participative et démocratique par la création de comité de grève et d’Assemblées Générales souveraines.